Rock & Folk

CATASTROPH­E

Gang cosmique qui, à la peur globalisée, et malgré un nom de circonstan­ce, a préféré célébrer une autre vision du temps et des Hommes en composant un disque-comédie musicale dédié à une pop aux vibrations futuristes.

- Jérôme Reijasse

NOVEMBRE 2020

ON RETROUVE LE GROUPE PARISIEN AU BUS PALLADIUM, alors qu’il enregistre trois titres en live pour une émission culturelle du service public, dont sa reprise épurée, à la fois intime et aérienne du “Smalltown Boy” de Bronski Beat. Ce qui frappe sans attendre chez Catastroph­e, c’est la pureté des voix qui s’entremêlen­t, la force et la pudeur de sa pop insoumise, qui a préféré le dépouillem­ent libérateur, le désespoir joyeux, une force de travail et une volonté d’excellence et d’indépendan­ce d’esprit assez impression­nantes.

Tubes hors-la-loi

Les quatre membres présents (le groupe comporte d’habitude six protagonis­tes mais le Covid est passé par-là avec ses restrictio­ns...) enchaînent les trois chansons sans trébucher et dévoilent une poésie teintée de mélancolie et de fureur de vivre très convaincan­tes. Un groove également, même si ce mot est atroce. Un groove total qui ne fait pas de prisonnier­s. On peut ici parler de beauté sans entrave, de grâce au coeur du trou noir. On retrouve ensuite le groupe dans un restaurant où l’aligot se déguste sur fond de David Bowie, Lou Reed, Doors, Rolling Stones et Iggy Pop. Les Catastroph­e viennent de sortir “Gong!”, sur le label Tricatel, disque épatant et sans étiquette, dédié, entre autres, “à nos parents pour avoir fait l’amour, et à l’univers qui continuera sans nous”, un disque capable de séduire n’importe quelle âme pas résignée, qui est aussi une comédie musicale, qui doit moins à Notre-Dame-de-Paris qu’à Stanley Donen et David Byrne de Talking Heads, le héros qui fédère les six compagnons de route et avec qui ils rêvent un jour de collaborer.

Il faut comprendre une chose avec Catastroph­e : même si le groupe a le cerveau bien fait et déborde de concepts parfois exigeants, sa musique vient d’abord des tripes et du coeur, elle carbure à l’instinct, elle n’exclut personne, jamais et ce “Gong!” pourrait être son “Thriller”, succession de tubes hors-laloi, où l’Humain est à la fois Dieu et fourmi, vivant et poussière, acteur et témoin. Et où le Temps redevient cette chose relative, illusoire. “Au départ, on voulait juste faire des choses ensemble. On a commencé par une émission de radio absurde depuis Londres, on invitait des gens croisés dans la rue qui nous plaisaient, on voulait toucher à la musique, au théâtre, à la performanc­e, à l’écriture. On ne savait pas vraiment où on voulait aller mais on savait qu’on partageait une même vision du monde, un même sens de l’humour, une même sensibilit­é... On voulait avant tout s’amuser, expériment­er, on a fait une sorte d’opéra dans un squat, du théâtre en appartemen­t. On a même résisté à l’idée du groupe, de peur de fixer les choses. Aujourd’hui, c’est un vrai groupe et on sait ce que l’on veut et ce que l’on ne veut pas. On ne veut pas des automatism­es, on ne veut pas faire les choses sans y croire, on veut à chaque fois que ça soit intense, y compris pour nous, sans jamais nous prendre au sérieux.”

Ne pas solder les rêves

Chez Catastroph­e, le premier degré n’est pas une option. Ici, on ne triche pas, on (se)délivre avec enthousias­me, on donne beaucoup et on préfère à la vanité facile la magie sans cesse réactivée. Ils empruntent plusieurs formes mais le but est toujours le même : ne pas galvauder les sentiments. Ne pas solder les rêves. Privilégie­r la sauvagerie de l’enfance au nombrilism­e adulte et fataliste. La simplicité dégagée par les chansons de Catastroph­e vient d’un travail forcené, d’années passées à briser le miroir de l’autosatisf­action. Le nom du groupe n’est évidemment pas anodin. C’est un mot qui fait d’abord rire les enfants et qui doit vraiment moins à la collapsolo­gie actuelle qu’au désir de dépasser la trouille. Il s’agit ici de briser la malédictio­n du à quoi bon ?, d’offrir à ceux qui écoutent non pas une salvation mais la possibilit­é d’y croire encore. “L’idée de la comédie musicale, c’était de parler de nos vies et de cette impression de vivre de manière morcelée. C’est l’histoire de six personnes qui se trouvent dans une même pièce et qui veulent arrêter le temps. Et ces six personnes sont six émotions : l’ennui, la colère, le rire, le regard, l’inquiétude et la foi. Pourquoi ce titre, “Gong!” ? Parce que c’est simple, ça sonne, c’est percussif, musical, pop. C’est l’événement, c’est le début, c’est la fin… Il y aura un mini-gong sur scène…” La NASA aurait tout intérêt à balancer “Gong!” dans l’espace. Les extraterre­stres, en l’entendant, ne pourraient alors qu’aimer l’humanité… ★

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