Rock & Folk

THE DIVINE COMEDY

- Nicolas Ungemuth

Un coffret monstrueux, réunissant rien de moins que vingt-quatre CD truffés d’inédits et de raretés, englobe trois décennies de musique merveilleu­se. Trente ans de bonheur avec The Divine Comedy. Retour sur une carrière exemplaire avec Neil Hannon, par téléphone, Covid oblige...

DE LA GÉNÉRATION BRITPOP, NEIL HANNON A ÉTÉ LE PLUS GRAND AVEC JARVIS COCKER. Mais The Divine Comedy, moins rock et moins glam que Pulp, est allé plus loin dans la délicatess­e. Des cordes partout, des mélodies sophistiqu­ées et des paroles à faire pâlir Ray Davies en personne, ce fut, à quelques rares exceptions près, un parcours sans faute. Vénéré par les fous de pop orchestral­e et ambitieuse, Neil Hannon évoque sa carrière sans équivalent. Derrière ses airs de dandy romantique l’Irlandais est en fait un homme simple qui aime se moquer de luimême et finit chacune de ses phrases par un grand éclat de rire : il n’est pas du genre à se prendre au sérieux. Mais sa discograph­ie, de “Liberation” à “Foreverlan­d” en passant par “Promenade”, “Casanova” ou “Absent Friends”, est tout sauf une blague.

“Les Français ont dû trouver cela exotique ! ”

ROCK&FOLK : Ce coffret célèbre trente ans de The Divine Comedy. Peu de musiciens peuvent se targuer d’avoir connu une carrière aussi longue…

Neil Hannon : Je pense que si j’ai eu une aussi longue carrière, c’est parce que j’ai refusé de disparaîtr­e. A mon avis, beaucoup de musiciens abandonnen­t trop facilement. Je suppose que j’ai sorti des albums suffisamme­nt idiosyncra­tiques pour développer un socle de fans fidèles. Et ces fans ne sont jamais partis. Donc, j’ai eu de la chance.

R&F : Particuliè­rement en France…

Neil Hannon : Oui, je ne sais pas trop pourquoi, sans doute parce que mon esthétique est très européenne, et que je chante des choses très anglaises. Les Français ont dû trouver cela exotique !

R&F : Retour au début : quelle musique écoutiez-vous adolescent ?

Neil Hannon : Je suis passé par plusieurs phases, comme la plupart des adolescent­s. J’ai commencé avec Nik Kershaw, puis je me suis acheté “Lexicon Of Love” de ABC. Ensuite, je suis devenu obsédé par Peter Gabriel en solo. Après, il y a eu “Hounds Of Love” de Kate Bush, un album que j’ai écouté en boucle et qui a énormément compté pour moi : c’est le disque le plus important de ma vie. Il m’a appris qu’on pouvait faire de la pop avec des cordes, presque de la musique de chambre. Cela a totalement changé mon sens des perspectiv­es. Et il y a eu U2 — j’avais quinze ans —, qui m’a fait découvrir le rock avec des guitares, après quoi je suis passé à REM, My Bloody Valentine, les Smiths et les Pixies, que j’ai adorés. Et j’ai également eu ma phase shoegazing : j’aimais beaucoup Ride et Slowdive.

Seul avec mon gin tonic

R&F : On vous aurait plutôt imaginé écouter les Kinks, les Walker Brothers ou Burt Bacharach…

Neil Hannon : Il m’a fallu beaucoup de temps avant de découvrir tout cela. Mais j’ai voulu tout explorer. Je pense que si j’ai fini par faire les disques que j’ai faits, c’est parce que je voulais créer une musique que je n’avais jamais entendue.

R&F : Quand est sorti “Liberation”, c’était l’époque du grunge et de la Britpop, avec beaucoup de grosses guitares alors que vous utilisiez du violoncell­e, du clavecin et des quatuors à cordes… Vous êtes-vous senti isolé ?

Neil Hannon : Je l’étais (rires) ! Le grunge ne m’a jamais intéressé. En Angleterre, il y avait le premier Suede, que je trouvais brillant, et Saint-Etienne, qui était un grand groupe, mais trop cool pour l’époque. Et puis Blur est arrivé, ensuite, Oasis. Et moi j’avais “Liberation” et

“Je voulais créer une musique que je n’avais jamais entendue”

“Promenade” et je me suis trouvé mon petit public, mais je ne pouvais pas lutter avec ces poids lourds. Avec “Casanova”, je suis vraiment entré dans la danse. Je voulais en être. Mais il n’y avait pas réellement de camaraderi­e, et j’étais un solitaire complet, timide, seul avec mon gin tonic dans les fêtes. J’écoutais Scott Walker et aussi Michael Nyman, que j’avais découvert via les films de Peter Greenaway, que je ne pourrais d’ailleurs plus supporter aujourd’hui…

R&F : Il paraît que vous lui avez envoyé “Liberation” pour le supplier de ne pas vous attaquer en justice ?

Neil Hannon : Oui, c’est vrai ! J’étais allé le voir en concert, je lui ai donné mon disque et je lui ai dit : “Voici mon album, s’il vous plaît, ne me faites pas de procès…” Et des années plus tard, il m’a dit :“Mais ça ne ressemblai­t en rien à mon travail (rires) !” Pour en revenir à la Britpop, quand j’ai commencé à avoir des morceaux dans les charts, j’ai voulu en avoir d’autres. Mais c’était très conflictue­l pour moi parce que je ne voulais pas faire que des tubes, je voulais faire de l’art. Le problème, c’est que dans le même temps, j’adorais la pop stupide…

R&F : Sur chacun de vos disques, il y a un équilibre inédit entre mélodrame et humour.

Neil Hannon : Je peux être très sérieux, mais j’ai une tendance à voir le côté drôle des choses. Si on ne distingue pas l’absurdité de la vie, alors on ne voit pas la vie. J’aime la musique dramatique, et il m’arrive d’en écrire, mais dans la vie, les drames me terrifient. Je déteste la confrontat­ion et le conflit. Donc, j’écris sur des petites choses tristes. Comme “Lady Of A Certain Age”. Ce qui m’intéresse, c’est d’évoquer des sujets importants dans des petites circonstan­ces. Les défauts des gens m’intéressen­t, mais les miens sont ennuyeux…

R&F : Vous avez sorti un album rock en 2001, “Regenerati­on”, qui détonne dans votre carrière. Qu’en pensez-vous aujourd’hui ?

Neil Hannon : C’est un album beaucoup plus sérieux que les précédents, mais en réalité, la réponse est simple : la Britpop disparaiss­ait, et je ne voulais pas couler avec elle. Alors j’ai pris le producteur à la mode, Nigel Godrich (Radiohead), un type sympa, et un nouveau groupe que j’ai viré ensuite (rires) ! Les pauvres musiciens n’y étaient pour rien. Je n’allais pas très bien à l’époque. J’avais voulu laisser plus de liberté au groupe, puis je me suis dit :“Attends, ce n’est plus The Divine Comedy !”

R&F : Car The Divine Comedy n’a jamais été un groupe… Neil Hannon : Non, pas vraiment, c’est le moins qu’on puisse dire (rires). Mais “Regenerati­on” n’a pas fait de The Divine Comedy un groupe de stades. Quand je le réécoute, je ne me sens pas très connecté. Heureuseme­nt, j’ai décidé de revenir dans ma maison préférée, qui est celle de Scott Walker.

“Les défauts des gens m’intéressen­t, mais les miens sont ennuyeux…”

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