Rock & Folk

WORKINGU MEN’S CL B

En plein chaos, un front de résistance artistique s’organise au royaume d’Angleterre. Ce mois-ci, parvient la première salve des très attendus jeunes Mancuniens. Quand rock rime à nouveau avec socialisme.

- RECUEILLI PAR ALEXANDRE BRETON Album “Working Men’s Club” (Heavenly/ Pias)

“LET ME IN OR LET ME OUT, LET ME SCREAM NOW” scande la voix fiévreuse de Syd Minsky-Sargeant sur “Be My Guest”. Dans cette atmosphère aux signifiant­s délétères, l’heure est aux stratégies de contre-attaque, aux dissidence­s organisées. Les quatre du Working Men’s Club puisent les conditions d’un avenir possible dans les réserves de traditions musicales qui concilient échappées dance et solennité cold.

En crever

Rock&Folk : Curieuse situation, de sortir cet album presque un an après sa mise en boîte, non ?

Syd Minsky-Sargeant : Oui, l’album était terminé en janvier. Tout a été stoppé net. Qu’il sorte maintenant, c’est très bien, mais c’est aussi assez étrange, ce retour en arrière. Entre-temps, tout a été ralenti. Des concerts ont lieu, mais devant un public assis, clairsemé. Nous ne pouvons pas jouer cet album comme nous aurions été fiers de le faire, mais ça pourrait être pire.

R&F : D’autant que la façon dont vous investisse­z la scène est très intense. Syd Minsky-Sargeant : C’est une chose de faire un album, d’être en studio pour donner forme aux émotions que tu essayes d’exprimer, faire les choses correcteme­nt, mais c’en est une autre d’être sur scène, là tu affrontes le public sans protection. Mais ce moment de la scène est vital, aujourd’hui plus que jamais. Au RoyaumeUni, les politicien­s disent aux musiciens d’aller se trouver un nouveau, ou plutôt un vrai, métier... Ce sont des conneries ! Les gens sont isolés, ils ont besoin de divertisse­ment, de sortir, d’aller vers la création. C’est un très mauvais calcul politique. L’humanité a toujours eu besoin de chanter, de danser, d’écouter de la musique. Comme peindre sur des murs. Il faut se souvenir de ça. On pourrait en crever si ça venait à manquer !

R&F : Quelle est l’intention derrière le nom du groupe ?

Syd Minsky-Sargeant : C’est le nom d’un lieu à l’origine. Mais nous aimions l’idée d’une communauté. Ce nom ne se voulait pas cool, il nous implique autant que ceux qui nous écoutent ; nous sommes une même communauté liguée contre un tat du monde. C’est une voix collective qui essaye de se faire entendre. Nous sommes unis par la colère et par la honte de ce pays. Les artistes doivent plus que jamais parler fort contre tout ce qui envoie des milliers de personnes dans la misère. Je tente de le faire à travers ma musique, et y pense chaque fois que je monte sur scène : pour qui je parle.

Ne pas se tromper de vie

R&F : Post-punk, cold wave, acid house... On vous associe à ces différents courants musicaux issus des années 80-90. Que signifient-ils pour vous ?

Syd Minsky-Sargeant : La grande influence, c’est Cabaret Voltaire. C’est ce groupe qui nous a donné envie de laisser tomber les guitares et de nous tourner vers d’autres sonorités. Il y a un désir de recycler, de réintrodui­re dans le 21ème siècle ce que ce genre de groupes a inventé. Les sons électroniq­ues permettent d’avoir une autre approche, similaire à la peinture. Peindre musicaleme­nt ce que tu as en tête. Je considère que ces groupes d’avant-garde comme Cabaret Voltaire sont comme des réserves où puiser pour faire quelque chose de nouveau. De l’avantgarde, avec un oeil sur le passé. C’est aussi une forme de gratitude. Je veux faire ma propre musique, sans oublier ce qui m’a précédé.

R&F : Le troisième titre de l’album est un hommage inattendu au chanteur et poète John Cooper Clarke...

Syd Minsky-Sargeant : Oui, et les premières paroles du titre — “The luckiest man alive / One day will die” — sont une référence à son poème “The Luckiest Guy Alive”. John Cooper Clarke, comme Mark E Smith, est pour moi une sorte de rappel : nous allons tous crever, alors quelle vie souhaites-tu te donner ? Des poètes comme lui m’ont aidé à assumer la vie que je souhaitais : être musicien, peu importe le pouvoir, l’argent, le succès. L’important, c’est la passion, l’amour, l’émotion. Tout ce que des trous du cul comme Trump n’ont pas. Ces gens-là sont vides, ils ont acheté leur vie mais ne la vivent pas. Obsédés par leur fric et leur pouvoir, ils ne sont rien. C’est pourquoi nous autres artistes, musiciens, nous devons prendre la parole et dire aux gens de ne pas avoir peur, de ne pas être intimidés, de ne pas se tromper de vie.

R&F : Qu’avez-vous appris aux côtés des Fat White Family, dont vous avez assuré la première partie durant leur tournée ? Syd Minsky-Sargeant : A nous en foutre. Clairement. Nous en foutre de tout ce qu’on peut penser de nous. Nous sommes jeunes et nous sommes passionnés ; nous avons des émotions, nous réagissons à ce monde, nous expériment­ons ; et il y a tout ce qui nous met en colère, nous fait réfléchir, tout ce qui nous inspire aussi. La vie, en définitive.

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