Un premier album ultra pop avec un batteur qui se prend pour Keith Moon
vraiment déprimé auquel s’identifièrent des millions d’ados esseulés. Les autres groupes n’étaient pas du tout de ce niveau, certains se contentant de faire un mélange lourdingue entre Neil Young et un metal au ralenti. Le grunge éclatait, les disques se vendaient par millions, Kurt Cobain, comme Ian Curtis avant lui, finit par se suicider. Nirvana terminé, le genre n’avait guère d’espoir de perdurer.
les Beatles étaient cités en permanence
L’Union Jack était partout
Les Britanniques, qui sont des insulaires, ont décidé que tout cette bouillie gémissante n’était pas faite pour eux, qu’il était temps de changer. Ils ont toujours aimé, depuis les chansons de McCartney chez les Beatles ou celles de Ray Davies chez les Kinks, se pencher sur leur propre culture. Mais Ray et Macca revisitaient le vaudeville des années trente, alors que les jeunes Anglais des années 1990 ont décidé de se pencher sur les sixties, et c’est là que Jarvis Cocker a raison. A une exception près : Suede, qui dès 1993 remit le Royaume-Uni au centre du planisphère en sortant de vraies chansons anglo-anglaises assez influencées par David Bowie. Ce fut un carton, même si on ne peut pas vraiment, musicalement parlant, qualifier la musique du groupe de britpop. Car en réalité, le premier album qu’on peut ranger dans ce tiroir est celui, merveilleux, des La’s, sorti dès 1990. Une féerie menée par le génial Lee Mavers, venu de Liverpool et lorgnant ouvertement sur les sixties, alignant chanson parfaite sur chanson parfaite. Voici les grands pionniers, sans doute arrivés trop tôt. Mais avec le succès de “There She Goes”, celui de Suede, et le rejet du grunge, les graines étaient semées, et bientôt, Londres allait se mettre à swinguer à nouveau. Il y eut d’abord Blur, qui fit très fort en sortant “Modern Life Is Rubbish” en 1993, puis “Parklife” l’année suivante, avec ses deux tubes énormes, celui qui donne son titre à l’album, bénéficiant de la voix de Phil Daniels, héros du mythique film mod “Quadrophenia”, et l’étrangement bowiesque “Girls And Boys”. Ce n’était qu’un début... La même année que “Parklife” arrivait, signé sur Creation Records (The Jesus & Mary Chain, My Bloody Valentine, etc.), le premier album d’Oasis. Le compositeur était un ancien roadie des Inspiral Carpets, et son frère, au micro, une grande gueule qui chantait comme un nouveau Johnny Rotten. Les deux avaient écouté les Sex Pistols, The Smiths, The Jam, The Stone Roses et... les Beatles. “Definitely Maybe” fut un succès instantané, la guerre Blur/ Oasis était lancée, la Britpop s’installa. Paul Weller, sorti d’une longue traversée du désert, fut catapulté parrain de la britpop, tandis que lui aussi vendait désormais ses albums par millions. Influences mod, pop, sixties, tout se mélangea, et l’Angleterre se mit à sérieusement regarder dans le rétroviseur : on ressortit les singles des Jam (il y eut même un album tribute consacré au groupe, avec entre autres Liam et Noel Gallagher), les Small Faces étaient réédités, les Beatles étaient cités en permanence (les Epiphone Casino se mirent à se vendre comme
Pulp
des petits pains), l’Union Jack était partout, Carnaby Street tentait vainement de renaître, Damon Albarn enregistrait “Waterloo Sunset” en duo avec Ray Davies... Les parkas, les costumes trois boutons et les Fred Perry étaient de retour. Cette même année, Pulp sortit le brillant “His ‘N’ Hers” et The Divine Comedy le grandiose “Promenade”. Ces deux-là étaient à part, et bien que l’influence de Scott Walker soit reconnaissable tant chez Jarvis Cocker que chez Neil Hannon, eux ne semblaient pas obsédés par les Beatles ni les Small Faces...
1995, année marquante
L’année 1995 fut l’apothéose : le fameux “(What’s The Story) Morning Glory?” armé de tous ses tubes – “Wonderwall”, “Don’t Look Back In Anger”, “Some Might Say”, “Champagne Supernova”, et le splendide
“The Great Escape” de Blur avec son hit entre les Kinks et Madness période pop, “Country House” (les Kinks avaient enregistré un morceau intitulé “A House In The Country” dans les sixties), et une grosse poignée de merveilles (“Entertain Me”, “Best Days”, “The Universal”...). C’est en 1995 également qu’Elastica, dont la chanteuse était la compagne de Damon Albarn, lâchait son monstrueux premier album, qui détonnait sérieusement avec ses influences Stranglers et Wire, très post punk, d’autant que la voix hyper sexy de Justine Frischmann affolait tous les compteurs. Cette même année vit l’apparition de Supergrass, groupe hyper doué et inclassable, redoutable sur scène, mêlant le punk mélodique des Buzzcocks à des chansons plus imprévisibles, mélodiquement très audacieuses, qui connaîtra un parcours sans faute jusqu’à 2002. C’est aussi en 1995 que The Verve, des amis d’Oasis, sortait “A Northern Soul”, pour véritablement exploser deux ans plus tard avec “Urban Hymns”. Cette même année, décidémment marquante, Cast, mené par un ancien La’s — les chiens ne font pas des chats —, sort un premier album ultra pop avec un batteur qui se prend pour Keith Moon (“All Change”). Inévitablement, désormais, toutes les maisons de disques se mirent à signer leur groupe britpop. Il y eut Ocean Colour Scene, ouvertement obsédé par le trip mod et capable de faire de vraies bonnes chansons bien produites par l’excellent Brendan Lynch. Mais qui se souvient de Shed Seven, Gene, Marion, Echobelly, Kula Shaker, Menswear, autant de tâcherons ayant pris le train en route ?
Boire des coups avec Tony Blair
Tandis que Pulp (“Different Class”) et The Divine Comedy (“Casanova”) ne cessaient de s’améliorer, Oasis se vautra totalement (pas au sens commercial), avec un album surchargé, boursouflé, le pénible “Be Here Now” dont même Noel Gallagher ne veut désormais plus entendre parler. Le groupe ne sortira plus jamais de bon disque. Auparavant, l’aîné des Gallagher était doué pour écrire des chansons sans la moindre originalité, mais d’une efficacité incomparable. Damon Albarn, lui, était plus curieux, et trop intelligent pour s’enfermer dans un carcan : Blur prit une autre direction avec “Blur” (voire le génial “Beetlebum” ou le très américain “Song 2”) et “13”. Bientôt, Albarn se mettra à multiplier les projets parallèles tandis qu’Oasis sombrera dans l’autoparodie. Pulp sifflera un peu la fin de la récréation en 1998 avec le sombre “This Is Hardcore”, quelques groupes parviendront à survivre mais, comme toutes les modes, la britpop devait avoir une fin. Tous ces groupes qui étaient invités au 10 Downing Street pour boire des coups avec Tony Blair, alors pris pour le messie travailliste mais qui s’avérera n’être rien de plus que le laquais de Bush, particulièrement durant la seconde guerre en Irak, vont connaître une grosse désillusion, même si certains s’en sont mis suffisamment plein les poches pour vivre paisiblement jusqu’à la fin de leur vie... L’arrivée des musiques électroniques, de Fatboy Slim, de The Chemical Brothers, du trip hop de Massive Attack ou de Tricky, allait rendre les chansons mélodiques et les guitares ringardes. Elles reviendront quelques années plus tard, mais cette fois-ci depuis l’Amérique, avec le premier album des Strokes. L’Angleterre entamera alors un déclin musical certain, mais peu importe, durant quelques années, elle aura bien divertis, tout en offrant une belle enfilade de chansons inoubliables. Un peu comme dans les sixties...
The La’s
(1990)
On l’a oublié mais l’unique album du groupe de Liverpool est la première pierre de l’édifice britpop. Sorti bien avant que le terme ne soit inventé, ce chef-d’oeuvre absolu, sec et dépouillé, au léger parfum sixties est un sans-faute total. On ne sait comment Lee Mavers a pu créer cette suite de chansons magiques (“Son Of A Gun”, “There She Goes” ou la sublime “Timeless Melody”), comme on ne sait pourquoi il n’a plus jamais rien écrit depuis. L’énigme reste entière.
Blur
(1994)
Damon Albarn et sa troupe font très fort avec ce troisième album qui est l’un des premiers classiques de la britpop, même si son prédécesseur, “Modern Life Is Rubbish”, montrait déjà un talent certain. La ritournelle “Girls & Boys” est entêtante, mais “Parklife” (avec Phil Daniels, le Jimmy de “Quadrophenia”), “Tracy Jacks”, “End Of A Century” et “To The End” sont du même calibre.
Oasis
(1994)
Et si le premier album, sorti durant l’année phare de la britpop, était le meilleur du groupe ? Spontané, brut de décoffrage, il charrie un lot de chansons montrant le savoir-faire inédit de Noel Gallagher, qui peut compter sur son frère en grande voix pour les emmener au firmament : “Supersonic” (“Give Me Gin And Tonic”), “Cigarettes & Alcohol”, “Shakermaker” ou “Live Forever” sont devenus la bande-son de cette année-là.
Supergrass
(1995)
Avec une énergie et un sens de la mélodie dignes des Buzzcocks — mais il semble bien que ce ne soit qu’une coïncidence —, le trio frappait très fort avec un premier album proprement génial, gavé de chansons extraordinaires qu’il ne faudrait pas réduire au classique et jovial “Alright”, porté par ses notes de piano hédonistes. Pour preuve, cette enfilade terrible de bombinettes : “Caught By The Fuzz”, “Mansize Rooster”, “Strange Ones”, “I’d Like To Know”, “She’s So Loose” ou le furieux “Sitting Up Straight”, sans doute le morceau le plus violent de toute la britpop. L’album suivant, “In It For The Money”, n’est pas à négliger non plus.
Pulp
(1995)
Le titre n’est pas mensonger : Pulp était différent, et Jarvis Cocker l’un des plus grands songwriters et paroliers de son temps. “Different Class” est un disque parfait, et ses chansons ont changé nos vies “Mis-Shapes”, “Common People”, “Sorted For E’s & Wizz”, on en passe. La production extraordinaire de Chris Thomas emballe le tout à la perfection. Le précédent (“His ‘N’ Hers”) est tout aussi précieux.
Elastica
(1995)
Versant plus dans le post punk que dans les sixties, le groupe de Justine Frischmann, alors à la coule avec Damon Albarn, a sorti un premier album merveilleux, dans lequel il n’y a pas une mauvaise chanson, même si quelques emprunts aux Stranglers ou à Wire étaient assez visibles. Il n’empêche... Quelle somme ! “Connection”, “Annie”, “Car Song”, “Line Up”, “Vaseline”... C’est parfait.
Oasis
(1995) L’album de tous les tubes, mais aussi le dernier grand disque d’Oasis (deux albums, c’est peu). Il semble que tout le monde connaisse son contenu par coeur, de “Wonderwall” (que Metallica adore) à “Don’t Look Back In Anger” en passant par “Champagne Supernova” ou le splendide “Some Might Say”.
Blur
(1995)
Pur concentré de pop, “The Great Escape” montre le talent gigantesque de Blur durant sa période classique. En une chanson (“Country House”), ils passent des Kinks aux Beatles (ces harmonies vocales !) les doigts dans le nez, rendent hommage aux Specials (“Stereotypes”) et alignent les chefsd’oeuvre comme “Entertain Me”, “The Universal”, “He Tought Of Cars”, etc. Tout cela est très impressionnant.
The Divine Comedy
(1996)
Ah, la pochette avec la fameuse cigarette qui a fait couler tant d’encre le mois dernier... Ici, Neil Hannon entre dans la cour des grands : “Something For The Weekend”, “Becoming More Like Alfie”, “The Frog Princess”, tout est une féerie.
The Verve
(1997)
Groupe à part flirtant avec le psychédélisme (voire le prog, diront les mauvaises langues), ces amis d’Oasis se sont rendus célèbres avec cet album se démarquant de ceux des concurrents, porté par quelques tubes imparables, dont le fantastique “Bitter Sweet Symphony”, “Lucky Man”, et le très mélancolique mais brillant “The Drugs Don’t Work”.