Sur un quatre-pistes à cassettes
Faut-il casser sa tirelire pour jouer la carte de la superproduction ou bien opter pour la modestie et rechercher l’efficacité ? Tel est le dilemme que se posent tous les groupes indé au moment d’enregistrer. Et à l’écoute des trente-neuf disques parvenus à la rédaction, il faut reconnaître qu’il n’y a pas de réponse systématique. Parmi les huit sélectionnés du mois, certains font appel à des producteurs ou des studios réputés alors que d’autres tirent un admirable parti des moyens du bord.
Derrière l’expérience Santa Maria Death Trip officie Jérôme Dayon, originaire de Cabestany, dans les PyrénéesOrientales (le fief des Limiñanas). Après avoir joué dans divers groupes locaux (dont Lost Station), il a décidé d’enregistrer seul ce premier album sur un quatre-pistes à cassettes. Et le résultat ne manque pas de panache : les six instrumentaux tirent habilement parti du dépouillement sonore et constituent une ode à la guitare, évoluant entre ambiances à la Sonic Youth et réminiscences surf. D’ailleurs, l’un des morceaux les plus réussis (avec l’intro “The Rose”) s’intitule “Shadows”, hommage au groupe référentiel des années soixante (“Instrumentals”, santamariadeathtrip.bandcamp.com).
Résurrection du groupe Ici Paris qui connut, entre 1979 et 1987, une existence hiératique faite de coups d’éclat prometteurs et de changements de personnel. Après un retour éphémère au début des années 2000, ce second album tente de promouvoir une formule qui réunit trois nouveaux venus (dont la chanteuse) et deux piliers historiques, le batteur Capitaine Mystère et le guitariste Shere Khan. Entre nouveaux morceaux (le très réussi “Tout Recommence”) et reprises de quelques titres cultes (“Maman Je N’Veux Plus Aller A L’Ecole”), l’esprit originel est respecté : croisement entre le twist yéyé et le rock déjanté des New York Dolls (“Ici Paris Circus”, facebook.com/ ICI-PARIS, distribution Aztèque Musique).
Depuis 2019, Mach Fly réunit à Marseille une chanteuse à l’étonnante voix masculine (ayant officié au sein de Black Frogs) et des musiciens venus de Blacklist. Autant dire que le quintette n’est pas néophyte dans la pratique du rock haute énergie. Les références affichées lorgnent du côté de Foo Fighters, Undertones ou Motörhead et les sept morceaux enregistrés dans le studio de répétition allient force de frappe et grosses guitares, mélodies entêtantes et vocaux hargneux, concision et efficacité, au croisement du heavy rock et du punk (“Bang Bang”, Alive My Studio, facebook.com/ MACH-FLY).
Après s’être fait les dents sur un single live, Animal Triste sort un premier album composé de sept morceaux originaux et d’une reprise décalée et réussie de “Dancing In The Dark” de Bruce Springsteen, choix qui ne correspond pourtant pas à des influences se situant plutôt du côté Nick Cave ou The National. Né à Paris il y a trois ans sous forme de trio, le groupe réunit aujourd’hui six musiciens issus de Radio Sofa ou de La Maison Tellier. Il cultive des ambiances sombres, parfois anxiogènes, et ses compositions sont marquées du sceau de la new wave et d’un lyrisme très prenant (“Animal Triste”, m/2L, facebook. com/animaltriste, distribution Pias).
Créé en 2008 à Toulouse, Westwego réunit quatre musiciens qui ont opté pour un folk acoustique et anglophone à base de contrebasse, harmonica, guitare, banjo et mandoline. Cet album séduit grâce à un son roots parfaitement adapté au propos.
Six chansons originales convaincantes et six reprises country millésimées, pour un folk qui n’a rien de démonstratif et privilégie la retenue et la délicatesse, et qui s’immisce en douceur au fil de mélodies accrocheuses portées par un chant et des orchestrations enthousiasmantes (“Bittersweet Moods”, facebook.com/westwego31).
Le quintette brestois Sheer.K, fondé en 2002, avait été repéré par les Transmusicales et Les Vieilles Charrues. Après une interruption de quelques années, il revient avec un album agréable et fidèle à l’option trip hop des précédents, sous influence Massive Attack ou Portishead, mais mâtiné de rock et de jungle. Après une ouverture plutôt sombre, un morceau comme “Cold Sweat” illustre parfaitement le propos, avec son groove soyeux, sa luxuriance instrumentale et l’alternance des deux chants anglophones, la voix masculine proche du hip hop et la voix féminine gorgée de soul (“Life In Color”, Arkal, facebook.com/Sheer.K).
Depuis cinq ans, du côté de Lyon, Supergombo affole les amateurs de métissage culturel. Ce septette cosmopolite revisite à sa façon des musiques africaines comme le mbalax sénégalais ou le soukous congolais en les mixant avec ses influences européennes et sa passion pour le funk jazzy et cuivré. Il cite Maceo Parker et Fela parmi ses influences, et son second album est à la hauteur de ses ambitions. Il regorge de bombes capables d’enflammer les pistes de danse et propose un afro funk irrésistible, au carrefour des musiques africaines et du funk (“Sigi Tolo”, Label Z, facebook.com/ supergomboafrofunk, distribution InOuïes).
Déjà repéré dans ces colonnes pour un premier essai, Bad Chili And The Crabs poursuit dans la veine garage avec un album dont la pochette champêtre, trompeuse, tendrait à annoncer une formation country. Il n’en est rien. Le quintette tourangeau fondé en 2017 (mais dont les débuts sont bien antérieurs) est fan des sixties anglaises et le prouve à travers les interventions de fuzz, d’orgue, une pause slow et même des refrains empruntés au Swinging London, mais également sérieusement influencé par la power pop, et même par le punk, illustré par un dub très clashien, “Streets Of Our Youth” (“Bad Chili And Crabs”, Bogdaprod, facebook. com/Bad.Chili.And.The.Crabs).
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