Rock & Folk

NUDE PARTY

A six ou sept, le groupe communauta­ire de l’Etat de New York sort un deuxième LP taillé pour les rodéos nudistes.

- Thomas E. Florin

C’ETAIT UN DIMANCHE SOIR DANS LA VILLE UNIVERSITA­IRE D’OXFORD, AU NORD DE L’ETAT DU MISSISSIPP­I. Les Nude Party, six sur le papier et sept sur scène, remontaien­t depuis Austin, Texas, vers l’Etat de New York, s’arrêtant chaque soir dans une ville pour remplir le réservoir et les gamelles. Ils n’avaient sorti qu’un minialbum sept titres (l’excellent “HotTub”) dont ils vendaient des copies sur CD gravés, ayant écoulé leur stock de pressage officiel au festival South by Southwest. Après ce concert de mars 2017, nous avions mis deux billets sur le fait que ce groupe serait le prochain gros nom du garage américain. Plus entendu parler depuis ? Cela ne prouve pas que le pari ait été perdu.

Un côté du crâne rasé

Nous sommes en 2020 et The Nude Party sort son deuxième album, “Midnight Manor”, toujours à six sur le papier et sept sur scène. Ce qu’il y avait de si traumatisa­nt à les découvrir dans un bar d’étudiants où la population portait des bonnets en laine sous 25° C, c’était la camaraderi­e, l’impression de fête idiote qui se dégageait de la scène, ce foutoir si particulie­r qu’on trouvait dans le Brian Jonestown Massacre des débuts et les Black Lips, mais avec une musique beaucoup plus américaine. Le parfait mélange du Bob Dylan de “Bringing It All Back Home” et un peu de Lou Reed. Qui s’atténue désormais au profit de la country rock comme elle se pratiquait entre 1969 et 1974. Oui, les Nude Party sont désormais un groupe de country-rock garage.

Sur scène, Austin Brose, le percussion­niste qui eut un temps un côté du crâne rasé, et dont les yeux se révulsaien­t lorsqu’il chantait des choeurs dans le même micro que Don Merrill, le pianiste. Patton Magee, chanteur et guitariste, mélange de Bobby Gillespie pour l’étrangeté et d’une star désuète de cinéma (Keanu Reeves ou David Duchovny ?) pour le sex-appeal, bougeait à peine les lèvres, bougeait à peine les yeux... bougeait à peine, ce qui le rendait extrêmemen­t cool au milieu de tout ce bazar. Dix ans auparavant, il y en a eu d’autres comme The Nude Party, plus agressifs et répétitifs, les excellents Strange Boys d’Austin, produits par Jay Reatard. Les Nude Party, eux, sont produits par Oakley Munson, batteur des Black Lips. Entre bons, on se reconnaît.

Le groupe des fêtes à poil

Le groupe se forme à l’Appalachia­n State University de Caroline du Nord en 2012 et acquiert très vite une réputation : “C’est le groupe qui joue pour les fêtes à poil” (the naked party band), surnom qu’ils ont changé pour le plus respectabl­e The Nude Party. Collège rock du nouveau millénaire si l’on veut, celui d’une Amérique où les nouveaux pèlerins du progressis­me se réappropri­ent certains éléments de la culture américaine profonde pour les rendre cool. Country donc, mais aussi chez les Nude Party, entre le vernis à ongles noir et les lunettes cerclées de fil de fer ; des chemises western, des bottes de cow-boy, des bolo ties. Les six, ou sept, membres, ont emménagé dans une ferme au nord de l’Etat de New York, dans le massif montagneux des

Catskills, où ils ont passé le confinemen­t avec des filles et des copains à élever des poulets, des canards et des oies, et se retrouvent aujourd’hui avec plusieurs kilos de tomates dans des bocaux ! Leurs idées et leurs vices sont ceux de leur génération : collapsolo­gie et exode urbain (“Cities”), drogue récréative (“What’s The Deal?”), alcoolisme (“Thirsty Drinking Blues”) et impossibil­ité d’assumer ses choix de vie après deux années passés sur la route (“Easier Said Than Done”). Tout cela donne vie à des chansons acides, méchantes, mais qui permettent de faire la fête (à poil). Extrait de l’ouverture de leur précédent album, “Feel Alright” : “It don’t look good. Standing in a nuclear breeze. The Earth at a cool negative ten degrees. But I feel alright. I still have my electric light.” Pendant deux ans, ils ont ouvert leur incessante tournée par cette chanson et en sont ressortis épuisés, meurtris, avec la gueule de bois et les deux mains pleines de nouvelles chansons. “Midnight Manor” est née de cela. Le besoin évident d’un groupe qui sonne avec autant de naturel qu’un ivrogne ronfle, de se retrouver et de vérifier que “la magie est toujours là”. Elle l’est, supérieure même. La faute à cette fameuse “maturité”. De son ouverture en jam bordélique (“Lonely Heather”) à son très beau single (“Shine Your Light”) et son final en hommage à Nashville, ancien temple de la country et du conservati­sme, devenu nouveau centre du hipsterism­e et de la musique indépendan­te (“Nashville Record Co”). Etre rock en 2020 ? C’est certaineme­nt à eux de nous l’apprendre.

HPAR THOMAS E. FLORIN

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