Rock & Folk

DEFTONES

Depuis ses débuts il y a vingt-cinq ans, le groupe californie­n creuse un sillon à part dans le vaste territoire du metal. Avec “Ohms”, les têtes chercheuse­s de Sacramento frappent une fois de plus un grand coup.

- Jonathan Hume

LE 25 SEPTEMBRE, APRES QUELQUES MOIS D’UN AGUICHAGE PLUTOT MODERE, LES CALIFORNIE­NS DE DEFTONES ONT SORTI LEUR NEUVIEME ALBUM, “OHMS”. Un disque important. Au-delà de ses évidentes qualités et de son niveau plutôt élevé dans la discograph­ie du groupe, il s’agit d’un de ces albums qui bravent la crise sanitaire pour atteindre coûte que coûte son public, quitte à sacrifier une tournée de concerts. Les groupes et artistes qui continuent, en ces temps fort incertains, de se prêter au jeu du calendrier des interviews promotionn­elles sont à saluer. Après avoir pris le temps de digérer ce dense et complexe nouvel opus, discussion avec Chino Moreno, un leader qui, au bout de vingt-cinq ans de carrière, demeure une des personnali­tés les plus énigmatiqu­es du business.

Cinq personnali­tés très différente­s

Rock&Folk : Derrière sa pochette minimalist­e, “Ohms” est un disque dense qui ne s’apprivoise qu’après plusieurs écoutes. Sa conception a-telle été différente de celle de vos albums précédents ?

Chino Moreno : Pas tant que ça. Nous ne nous sommes pas mis en tête de nous réinventer complèteme­nt avec “Ohms”, mais nous voulions néanmoins approfondi­r nos expérience­s précédente­s et pousser plus loin certains curseurs. Le noyau de Deftones, c’est le mélange de cinq personnali­tés très différente­s. Même si le groupe en soi ne va jamais totalement dévier de sa trajectoir­e, nous essayons toujours d’étendre notre son dans les cinq directions différente­s vers lesquelles nos affinités nous guident. Etre en mesure de continuer à créer de la musique après toutes ces années, car nous jouons ensemble depuis l’enfance, c’est un privilège que nous chérissons. Nous avançons toujours étape par étape. Nous nous retrouvons tous ensemble dans une pièce, l’un de nous va commencer à produire du bruit, un autre va le

suivre et, petit à petit, on s’efforce d’assembler harmonieus­ement toutes ces idées, ces éléments disparates. C’est notre mode de fonctionne­ment depuis nos débuts. Les meilleures choses que nous avons produites sont toujours arrivées de manière organique. Nous ne nous sommes jamais assis autour d’une table pour nous demander ce que nous allions faire avec un morceau, ou ce que nous voulions raconter avec tel ou tel album.

Les yeux d’Alain Delon

R&F : “Ohms” marque également le retour de Terry Date à la production. Il avait produit vos quatre premiers albums. Quel est l’impact de son investisse­ment sur votre travail ? Chino Moreno : Il a aidé au façonnemen­t de notre son tel qu’il est aujourd’hui. Il nous connaît parfaiteme­nt. Nous avons déjà travaillé avec des producteur­s plus interventi­onnistes. Il en est parfois sorti de très bonnes choses, parfois moins. Cette fois, nous ne voulions pas de quelqu’un avec qui il allait falloir apprendre à travailler. La spécialité de Terry, hormis ses évidentes compétence­s techniques, c’est de s’insérer de manière très fluide dans notre mode de compositio­n et de savoir quand capturer les moments de magie.

R&F : Vos paroles et visuels ont toujours eu un côté énigmatiqu­e et “Ohms” suit cette même voie. Cependant, un internaute pense avoir déchiffré le code de sa pochette. Il s’agirait des yeux d’Alain Delon tels qu’ils apparaisse­nt sur la pochette de l’album “The Queen Is Dead”, des Smiths. Vous confirmez ? Chino Moreno : Tu sais quoi, je ne sais pas si j’ai envie de répondre à cette question (rires). Ça gâcherait un peu le mystère, non ? Cela dit, je trouve ça génial que des gens essayent de trouver un sens à mes paroles ou à nos pochettes. J’étais très excité quand j’ai vu que ce mec avait lancé cette théorie que je ne peux ni confirmer ni démentir. Evidemment, les gens savent que je suis un grand fan des Smiths, “The Queen Is Dead” est mon album préféré du groupe, donc le rapprochem­ent est logique. Quand j’étais gosse, il y avait toute cette effervesce­nce autour de la pochette de “Seventh Son Of A Seventh Son”, d’Iron Maiden. Même si je n’étais pas le plus grand fan du groupe, c’était si cool de tenter de percer les secrets de cette pochette. Que mes paroles, notre musique ou nos visuels puissent susciter la même curiosité chez ceux qui écoutent Deftones me rend très heureux.

R&F : Difficile de faire abstractio­n du fait que “Ohms” sort dans une période étrange. Vous ne pourrez pas jouer ces morceaux en live avant au moins plusieurs mois. N’est-ce pas le risque de vous en sortir moins proches lorsque vous pourrez remonter sur scène ? Chino Moreno : Evidemment, c’est bizarre.

L’expérience du live a toujours été quelque chose d’extrêmemen­t important pour moi, autant en tant qu’artiste que membre du public. Je me souviens avoir vu Depeche Mode une semaine après la sortie de “Violator”. Découvrir ces morceaux chez moi, puis les voir s’épanouir et prendre vie sur scène, c’est quelque chose d’unique et, à l’heure où nous parlons, oui, on devrait être en tournée en train de vivre ce genre de choses avec le public. J’ai évidemment bon espoir quant au fait que nous pourrons jouer les chansons de “Ohms” sur scène mais malheureus­ement, ce plaisir de la découverte immédiate, cette adrénaline quand nous partageons des morceaux tout neufs avec le public, nous devrons nous en passer. C’est très étrange pour nous.

R&F : Comment occupez-vous vos journées depuis le confinemen­t ? Chino Moreno : Le bon côté de cette situation est que je prends enfin véritablem­ent le temps de maîtriser mon matériel de home-studio. Je ressors plein d’enregistre­ments, je compose pour le plaisir, j’apprivoise de nouvelles machines, de nouveaux logiciels. Tout ça de manière très tranquille, sans pression. Peut-être que tout ça mènera quelque part, peut-être pas. Mais c’est agréable de pouvoir composer des choses qui n’ont pas véritablem­ent de place définie.

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