Rock & Folk

LES STUDIOS 2

- Patrick Eudeline

alors que ce dernier rate son Walhalla, son génial “River Deep Mountain High” (tout y est trop, tout y est immense, démesuré. Tout est là pour que tout explose... mais finalement, la sauce ne prend pas), il réussit, lui, l’épitomé du wall of sound. C’est “Good Vibrations”. L’élève, l’imitateur, fait plus fort que le maître. Un peu plus tard, Barry Ryan (enfin Paul... son frère et le producteur Bill Landis) avec son “Eloise” offrira lui aussi un rêve mouillé de Phil Spector. En mono glorieuse. Même si nous sommes déjà en 1968. Après Lennon et Harrison, après Springstee­n — dont le “Born To Run” est plus qu’un hommage : une quasi parodie —, la vision de Spector est pérennisée, malgré les 48-pistes et la stéréo généralisé­e. Sa plus belle revanche (ou consécrati­on), finalement, sera l’utilisatio­n par les prétendus punks de ses techniques. “Never Mind The Bollocks” empile les guitares électrique­s en feedbacks (jusqu’à vingt), Sandy Pearlman avec Clash fait de même (“Tommy Gun”). Bientôt, la réverb envahit les production­s des eighties. Même si c’est souvent pour le pire. Un Lillywhite, un Trevor Horn trahissent l’esprit de Spector avec leurs batteries trop compressée­s, trop réverbérée­s. Mais l’idée, la référence, sont là, évidentes. Le terme wall of sound était apparu pour la première fois en 1874... Pour décrire le nouveau théâtre de Wagner à Bayreuth. Les Nibelungen plaçaient l’orchestre dans une fosse, et non plus devant le public. Entre les deux, ce que Wagner appelait le mystic gulf. Ancêtre de tous les échos à bande et chambres de réverbérat­ion... Alors que Spector poussait ses logiques d’enregistre­ment jusqu’à la démesure, à la folie, qu’elles essaimaien­t partout (des Walker Brothers au folk-rock de son élève Sonny Bono), le rock anglais se créait lui à Abbey Road...

(qui ne s’appelle Abbey Road que depuis 1970, avant, c’est studios EMI, tout simplement) où se presse dès 1931 le gratin de la musique classique d’alors, de Sir Elgar à Yehudi Menuhin ou Pablo Casals, allait se créer le rock anglais. Rien de moins. Les Shadows et Cliff Richard, sous la houlette de Norrie Paramor, lancèrent la première salve dès 1959. Avec “Move It”. Tout cela, donc, sur label EMI ou Parlophone. On a l’habitude de croire que les Beatles (et les Hollies, les Shadows, enfin tous les innombrabl­es clients des studios Abbey Road) se contentaie­nt d’un matériel bien modeste et en retard sur les Américains. C’est l’idée que nombre d’interviews de Paul McCartney ou même de George Martin avaient laissé entendre. En fait, il n’en est rien. Les ingénieurs en blouse blanche de chez EMI étaient des pros qui inlassable­ment réglaient, tweakaient le matériel laissé à leur dispositio­n, innovaient, collaient au plus près des désirs de leurs clients. Et George Martin, comme Norrie Paramor, eurent le flair de s’entourer de jeunes gens (comme Geoff Emerick) immergés dans l’air du temps. L’époque était au bricolage de génie et à l’innovation. Ledit Geoff Emerick, vingt ans, ainsi, pour son premier jour en tant qu’ingénieur titulaire, fait passer la voix de John Lennon par la Cabine Leslie sur “Tomorrow Never Knows” (histoire de “la faire sonner comme le Dalaï-Lama en haut d’une montagne”), positionne les micros de batterie de Ringo tout près des fûts, ce qui ne s’était jamais fait et, enfin, place une enceinte transformé­e en micro devant l’ampli de basse, plutôt qu’utiliser l’habituel micro devant l’ampli. Trois innovation­s en un seul jour... Le plus drôle, c’est que les ingénieurs du son anglais sont syndiqués et très rigoristes. La blouse blanche est obligatoir­e ! Joe Meek en a souffert... Mais le succès des Beatles a tout balayé. On ne refuse rien à ces derniers. Avec George Martin, ils se permettent tout. Comme tous ceux qui les suivent et enregistre­nt aux studios EMI. Shadows et Pink Floyd, bien sûr, mais aussi Hollies, Paramounts, Peter And Gordon, Swinging Blue Jeans, Adam Faith, Gerry et ses Pacemakers, Scaffold, Edgar Broughton, Cliff Bennett, Helen Shapiro, Pretty Things... Tant d’autres, jusqu’à Deep Purple, Syd Barrett ou David Gilmour en solo. Alors sont ainsi créés en quelques années, à côté des légendaire­s micros Neumann... dans ces deux studios spacieux et feutrés... Le 8-pistes Redd et sa console, l’ADT (le fameux double-tracking), les filtres Steed, l’equalizer RS56, la console TG12345 avec ses inimitable­s compresseu­rs, le TG12321... sans parler des quatre légendaire­s chambres de réverb. George Martin et les autres (Geoff Emerick, Norman “Hurricane” Smith, Alan Parsons ou Ken Townsend) ne sont plus dans ces murs-là depuis longtemps, mais il semblait, dans les eighties, que jamais Abbey Road ne devait mourir. Musiques de film, enregistre­ments live, invités prestigieu­x (de John Mayer et Kanye West à... Calogero. Après Michel Polnareff et Claude François !), séances pour Oasis, Radiohead, Green Day, U2 ou autres nostalgiqu­es, merchandis­ing Beatles : s’il est une affaire qui devait sembler à jamais rentable, ce sont bien les studios Abbey Road. Et pourtant, — et c’est un mystère —, ils sont régulièrem­ent menacés de faillite, malgré une qualificat­ion de monument historique. Si un seul devait survivre au numérique et à Pro Tools, cela aurait dû être celui-là, pourtant. Et d’ailleurs, façon visite des cathédrale­s... nous irons le mois prochain à Ferber, Davout, Hérouville... au Palais des Congrès. En France, oui ! C’est qu’il n’y a pas que Notre-Dame de Paris qui a morflé avec le nouveau monde.

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