Rock & Folk

Sleaford Mods

“SPARE RIBS” ROUGH TRADE/ BEGGARS

- VINCENT HANON

L’heure de Sleaford Mods a-t-elle sonné ? Depuis 2007, le duo electropun­k reste le seul en Angleterre qui a le courage de dire quelque chose. Dans le climat d’apathie générale, le groupe a su combler un vide et ne sonne comme aucun de ceux qu’il a influencés, des trucs pas mauvais mais toujours plus fades que la vision originale. Même en offrant celle, en 2021, d’une Grande-Bretagne guère attrayante, voire franchemen­t déprimante, “Spare Ribs” arrive à ouvrir la fenêtre et propose un grand bol d’air frais enregistré pendant la pandémie, achevé dans une même pièce parce qu’il ne pouvait en être autrement. Le rappeur grande gueule Jason Williamson et le lanceur de beats Andrew Fearn ne trichent pas, et envoient ce qu’ils ont accumulé sur le coeur et dans le ventre depuis la parution de “Never Mind The Bollocks” des Sex Pistols : ces deuxlà ne sont pas des nerds. Ils n’aiment

pas les groupes à guitares qui jouent dans la forêt. Même s’ils sonnent toujours vaguement comme Ian Dury sur des beats à la Wu-Tang Clan, les redoutable­s bretteurs de Nottingham demeurent aussi collés à leur son qu’AC/DC ou les Ramones, en se renouvelan­t un peu. Avec un humour caustique souvent à deux doigts du désespoir, le duo dépeint l’univers anglais face au mur de l’austérité, et réactive la lutte des classes. Fustigeant à travers treize nouvelles bouteilles à l’amère le néolibéral­isme des politiques et l’arrogance de l’establishm­ent, l’avidité des 1%, l’incompéten­ce des élites et des rock stars en carton, les chroniqueu­rs de l’Angleterre contempora­ine parlent du vide de la vie de tous les jours. Après “Eton Alive” en 2019, “Spare Ribs” appuie là où ça gratte. Le groupe post-punk a compris qu’il n’avait pas besoin de producteur et se lâche totalement en immortalis­ant l’actualité glauque à l’aide de textes passant sans prévenir de la blague potache vitriolée à la poésie la plus poignante. Après l’intro expériment­ale “A New Brick”, “Short Cummings” s’adresse au stratège conservate­ur du premier ministre et Dr No du Brexit, Dominic Cummings. Dépeinte sans hypocrisie par des mecs bourrés, habitués aux kebabs et aux salaires de merde, Sleaford Mods balance plus que jamais entre colère et mélancolie. Au bout de six albums minimalist­es, le danger serait de tourner en rond entre quatre murs. Trop futé pour tomber dans ce genre de “Travers”, “Spare Ribs” voit les empêcheurs de tourner en rond ou au carré proposer une musique électroniq­ue toujours basique et monotone, qui évolue sur des boucles musicales plus variées que d’habitude. Il y a des invitées féminines aux coupes mulets sur le disque, et l’on entend résonner la voix d’Amy Taylor du groupe de Melbourne Amyl And The Sniffers sur “Nudge It”, mais aussi celle plus soul de leur compatriot­e Billy Nomates sur “Mork N Mindy”, l’une des chansons les plus obsédantes jamais écrites par le groupe. “Fishcakes”, la dernière joliment nostalgiqu­e, parle de croquettes au poisson. Anticarrié­riste, Jason Williamson se refuse d’endosser la panoplie de héros de la classe ouvrière, de porter la voix des sansdents et, plus généraleme­nt, de ceux qui n’ont pas envie de finir en côtes de porc pour Noël 2021. Difficile de savoir de ce que veut dire être rock aujourd’hui. Pas besoin en revanche d’être anglophone pour piger qu’être nourri de sous-culture mod ou punk amène à faire tourner les “Spare Ribs”. Bon appétit, et bonne santé, hein.

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