Stiff Little Fingers
“ORIGINAL ALBUM SERIES”
Parlophone (Import Gibert Joseph)
Un coffret économique bienvenu pour ceux qui ne possèdent pas les quatre premiers albums de Stiff Little Fingers, ni le live classique “Hanx!”. Les plus jeunes ont oublié à quel point le groupe a été populaire en France, en Angleterre comme aux Etats-Unis — la pochette intérieure de “Nobody’s Heroes” ayant directement inspiré celle de “Let It Be” des Replacements — et vénéré par les punks des années 1990, de Rancid à Green Day. Ces Irlandais du Nord — Belfast — ont été régulièrement moqués par les Undertones, également paddies mais originaires de Derry, rebaptisée Londonderry par les Anglais, qui leur reprochaient, non sans raison, d’instrumentaliser à outrance la situation politique locale et de se faire écrire leurs textes par un journaliste, Gordon Ogilvie. Mais SLF avait dans sa manche d’autres cartes à jouer. Un sens du riff infernal, un don pour les mélodies, et la voix gutturale de Jake Burns, tellement écorchée qu’il sonne comme un Lemmy du punk anglais (rappelons que, contre toute logique, l’Irlande du Nord est britannique). Ils savaient également distiller des influences reggae très crédibles (sonnant nettement mieux que le Clash de “Police And Thieves”) et jouaient très bien. Le premier album, “Inflammable Material”, est devenu mythique pour ses deux singles invraisemblables de férocité, “Alternative Ulster” et “Suspect Device”, deux des plus grands titres punk jamais enregistrés. C’est une charge colérique, enregistrée live, avec seulement deux overdubs de guitare. D’autres morceaux comme “Wasted Life”, “State Of Emergency”, “Law And Order”, ou le quasi fifties “Barbed Wire Love” font de ce coup d’essai un album mythique. Pourtant, c’est avec le suivant, “Nobody’s Heroes”, que le groupe marque encore plus les esprits. Un nouveau batteur, Jim Reilly est recruté, c’est un phénomène. Le beau gosse joue comme une mitraillette et assure comme une bête sur les morceaux reggae. C’est l’un des plus grands batteurs du punk avec Mark Laff de Generation X et Rat Scabies des Damned. La pochette du disque — le nom du groupe écrit comme un code-barres illisible — était sur tous les badges des jeunes punks. Nous sommes en 1980 et Stiff Little Fingers a eu le bon goût de ne pas
verser dans le punk bourrin à la Sham 69 ni dans la oi!. Tout au contraire, le groupe prend son envol et sort une suite de morceaux mélodiques impressionnants, avec toujours ce sens du riff implacable. Burns s’arrache tellement la gorge qu’on se demande comment il peut tenir un morceau entier. Mais les merveilles sont là : “Gotta Gettaway”, “Fly The Flag”, “Nobody’s Hero”, “At The Edge”, “Wait And See”, “Tin Soldiers” ou la reprise des Specials, “Doesn’t Make It Alright”. “Bloody Dub”, poursuit le mariage entre le reggae et le punk (sur le premier album, le groupe avait déjà repris “Johnny Was” de Bob Marley). La section rythmique est aussi impressionnante que celle des Jam (Bruce Foxton rejoindra les Fingers des années plus tard), et les guitares sont parfaites. Mais c’est la voix de Burns et la qualité des chansons qui fait de “Nobody’s Hero” l’un des meilleurs disques punk sortis alors que le genre était mort ou caricaturé. La même année paraît “Hanx!”, live furibond réunissant le répertoire des deux premiers albums — sur scène, le groupe était formidable, même si les concerts étaient parfois assez dangereux pour ceux qui y assistaient —, puis en 1981 paraît “Go For It”. Régulièrement oublié, c’est l’un des meilleurs albums du groupe. Sensiblement moins punk, mais toujours avec quelques influences jamaïcaines, le disque aligne encore une suite de morceaux extraordinaires portés par la voix démente de Jake Burns.
Il y a “Roots, Radicals, Rockers And Reggae” (très Clash, un groupe auquel on les a souvent comparés), “Just Fade Away”, “Hits And Misses”, “Kicking Up A Racket”, le superbe “Safe As Houses”, “Silver Lining”, et le clou du disque, ce “Piccadilly Circus” aussi beau que mélancolique, l’un de leurs meilleurs titres. Le coffret s’achève avec “Now
Then”, sorti en 1982, alors que le punk n’est plus qu’un souvenir sauf chez les débiles de la oi!. Stiff Little Fingers tente alors l’album mainstream pour survivre. Le résultat n’est pas désagréable mais n’atteint pas le niveau des trois premiers albums. Mais vu le prix de l’objet, il serait idiot de tergiverser.