Rock & Folk

HERMAN DUNE

“Notes From Vinegar Hill”, son nouvel album, témoigne de la maturité d’un projet qui a traversé bien des étapes pour passer de l’indie lo-fi des débuts aux grands espaces américains. Rencontre avec David Ivar.

- RECUEILLI PAR H.M.

APRèS AVOIR éCUMé LES SQUATS ET LE RéSEAU UNDERGROUN­D ASSOCIATIF à LA FIN DU SIèCLE DERNIER, HERMAN DUNE A PRIS SON ENVOL EN 2006 AVEC “GIANT” (huitième album d’une discograph­ie prolixe) qui entérinait un virage du folk bricolo vers une pop friande d’arrangemen­ts, mais aussi la séparation des deux frères fondateurs. Installé depuis 2015 en Californie, le chanteurgu­itariste David Ivar a repris les rênes de ce projet dont il assume totalement la paternité, en sortant, après une pause de sept ans (seulement interrompu­e par la réalisatio­n de la BO de “Mariage A Mendoza”), deux albums coup sur coup en 2018, puis un nouvel opus lumineux conçu pendant le confinemen­t du printemps 2020.

John Peel était comme notre oncle en Angleterre

Rock&Folk : On a connu des versions successive­s de Herman Dune : avec ou sans tréma, trio, duo et maintenant solo. Quel est le lien entre ces différente­s formations ?

David Ivar : Herman Dune est une trajectoir­e particuliè­re de ma vie, un alter ego que j’ai créé quand j’étais encore un enfant et qui m’a accompagné à travers les continents et les décennies. J’ai fait d’autres projets, sous d’autres noms, Yaya, Black Yaya, David Ivar, j’aime prendre des détours pour des idées que je trouve différente­s, mais je reviens toujours à Herman Dune comme s’il s’agissait de la direction majeure de mon parcours artistique.

R&F : Vous sentez-vous dépositair­e du projet pour le poursuivre en solo ?

David Ivar : Oui, complèteme­nt.

R&F : Peut-on donc considérer que le projet Herman était dès le départ le vôtre, et que d’autres personnes, comme votre frère, s’y sont agrégées ?

David Ivar : Oui, si quelqu’un voulait retracer l’historique du groupe ce serait bien ça. Herman Dune, le nom, la direction et le projet, c’était mon affaire depuis longtemps. Ce fait ne diminue en rien l’importance des chansons écrites par mon frère André mais honnêtemen­t, ça me paraît loin... Je pense que nous n’avions pas vraiment de différends d’ordre musical, mais s’il y en a eu, je n’y songe plus, je pense plutôt à mes chansons, mes albums, mon label.

R&F : L’aspect lo-fi de vos débuts était-il dû au manque de moyens ou à un véritable choix artistique ?

David Ivar : Un peu des deux. Mon envie de créer était supérieure à mon manque de moyens. Les magnétos, les 8-pistes, c’est tout ce que je pouvais avoir, loin des studios qui à l’époque, coûtaient une fortune et n’étaient envisageab­les que pour des artistes “signés” avec les budgets aberrants qui allaient avec. J’avais besoin d’enregistre­r mes chansons et d’expériment­er avec le son et je ne pouvais pas attendre qu’un label m’y autorise. Je n’étais pas seul, ceci dit, l’explosion du DIY a propulsé des artistes extraordin­aires, comme Daniel Johnston, Sebadoh, Pavement ou The Mountain Goats.

“Je n’ai jamais voulu être le nouveau Bruce Springstee­n ou le nouveau Beck, je veux être le premier et le dernier Herman Dune”

R&F : John Peel et ses légendaire­s Sessions, auxquelles vous avez participé plusieurs fois, ont-ils joué un rôle déterminan­t dans votre carrière ?

David Ivar : Je connaissai­s John Peel par The Smiths dont j’étais fan, et il a invité Herman Düne dès le premier EP. Son émission, sur BBC1, nous a ouvert les portes des tournées en Angleterre, et de là autour du monde. Les studios Maida Vale étaient merveilleu­x, ils furent ma première expérience avec des bons micros et des conditions profession­nelles. John Peel nous invitait chez lui, nous montrait sa collection de disques exceptionn­elle, nous emmenait au restaurant : il était comme notre oncle en Angleterre. Il aimait que ses sessions soient spéciales, et j’ai toujours écrit des morceaux pour l’occasion. Je crois qu’il aimait les chansons, le son des guitares et, il faut le reconnaîtr­e, le côté loufoque d’Herman Düne à l’époque.

R&F : A vos débuts, vous avez été étiqueté folk-rock ou antifolk, depuis “Strange Moosic”, toutes les critiques insistent sur les influences américaine­s, mais n’est-ce pas l’éclectisme qui vous caractéris­e ?

David Ivar : Les étiquettes rock, folk, blues et pop sont, en ce qui me concerne, très proches. Chuck Berry, Bob Dylan, Leadbelly, Lucinda Williams et John Lennon, pour moi, c’est le même club, celui des bonnes chansons. Je comprends qu’il y ait des classifica­tions pour mieux décrire la musique, mais je ne pense pas comme ça, j’écris des chansons, le groove et les arrangemen­ts qui s’y greffent ne sont pas figés. L’étiquette qui colle le plus à Herman Dune est celle de songwriter je trouve, car, à ce jour, je n’ai pas réalisé d’album instrument­al et mon intérêt, mon obsession, reste la chanson, ce format si petit et simple qui semble ne pas avoir de limite en possibilit­és, en émotions. L’art de la mélodie, la possibilit­é de mêler poésie et chant, cet équilibre piano-voix, guitare voix, c’est ce qui me fascine.

“Mon envie de créer était supérieure à mon manque de moyens”

Toujours en anglais

R&F : Avez-vous l’impression d’avoir pris de l’ampleur, tant vocalement que musicaleme­nt ?

David Ivar : Franchemen­t oui. J’aime le son de ma voix maintenant, plus qu’à mes débuts ou même à l’époque de “Giant”. Pour ce qui est des chansons, ou de la musique, je ne regarde pas trop en arrière. J’ai l’impression que j’explore et recherche, pour chaque album je veux faire quelque chose de nouveau et je ne me suis jamais dit que j’allais reprendre la formule d’un album précédent. En ce sens, je pense que je progresse, ou que j’atteins de nouveaux terrains avec chaque album. Cette démarche ne me met pas à l’abri d’un fan qui penserait que le premier album est le meilleur, ou que Herman Dune ne vaut plus rien après telle ou telle date, mais je crois que le songwritin­g est un domaine privilégié où l’on peut se renouveler sans cesse, au-delà d’un style ou d’une marque de fabrique particuliè­re.

R&F : Vous privilégie­z tempo lent et mid-tempo : pourquoi n’essayez-vous pas des tempos plus rapides ?

David Ivar : J’ai l’impression que, dans mes albums, en termes de groove, il y a des chansons douces et des chansons plus rythmées sur lesquelles on peut danser. Je ne me sers jamais d’un métronome, ou du click d’un ordinateur. Je ne me suis même jamais posé la question en termes de tempo. Cette préoccupat­ion du BPM, on dirait un truc de producteur de technodanc­e ! J’aime quand la musique respire et n’est pas confinée dans une cadence fixe. Les ralentisse­ments, les souffles, les pauses, c’est magnifique : si je commençais à me préoccuper du tempo, je me sentirais enfermé, et je suis trop claustroph­obe pour le supporter.

R&F : Sur ce dernier album, vous évoquez parfois Buddy Holly et ses “Love Songs”...

David Ivar : J’écoute beaucoup Buddy Holly. Je n’y ai pas spécialeme­nt pensé en faisant cet album, mais je l’adore en tout cas, et j’adore sa guitare, tout comme celle de Ritchie Valens ou de Luther Perkins, tout en twang et mélodie.

R&F : Au niveau vocal, vous avez pris de l’assurance et vous excellez dans un registre crooner : quelles sont vos influences à ce niveau ?

David Ivar : La voix, je crois que c’est bien le seul instrument pour lequel je ne conseiller­ais pas d’avoir des influences, en tout cas je ne fonctionne pas ainsi. Il n’y a rien de plus important que d’être soi-même quand on chante. J’aime Roy Orbison, Dolly Parton, Bob Dylan, Lucinda Williams, Chuck Berry, Cher, Kinky Friedman, Tom Waits, Caitlin Rose, Lou Reed, Lana Del Rey, John Lennon, Nina Simone, Ray Charles, Kris Kristoffer­son, Chet Baker, Kimya Dawson, Elvis Presley, Nick Cave, Carole King ou Willie Nelson, mais je les aime car ils sont eux-mêmes, je n’essaie jamais de chanter comme quelqu’un d’autre, ça n’a pas de sens pour moi. Tous ces chanteurs qui en imitent un autre, c’est quand même un peu dommage, non ? Quand c’est l’époque de Johnny Cash ou Mac DeMarco, tout d’un coup on n’entend que des copies à la radio, ça craint. Je n’ai jamais

voulu être le nouveau Bruce Springstee­n ou le nouveau Beck, moi je veux être le premier et le dernier Herman Dune.

R&F : Parmi vos références musicales, vous ne citez pas de Français. Aucune influence hexagonale ?

David Ivar : Comme tout le monde, j’adore Gainsbourg, j’aime aussi Dick Annegarn, mais je n’ai jamais vraiment été à fond dans l’écoute de musique française.

R&F : Pour autant, avez-vous déjà essayé de chanter en français ? Ou en suédois ? Pourquoi cette préférence anglophone ?

David Ivar : C’est ce que me répétaient toujours les labels français, et c’est vraiment agaçant ! C’est comme demander à un peintre qui fait des monochrome­s rouges pourquoi il n’essaierait pas le bleu ! J’ai l’impression que c’est une question de fierté nationale, et ça m’étonne encore plus. J’ai toujours écrit en anglais, et mes chansons ont souvent été appréciées pour le texte et la qualité de l’écriture, dans les pays anglophone­s notamment. Changer de langue, ce n’est pas juste appuyer sur un bouton, on n’écrit pas pareil dans toutes les langues, et moi j’écris en anglais. Ceci dit, sur “Santa Cruz Gold” (album de 2018, ndr), il y a une chanson avec du français, “Undiscarde­d Jacaranda”, qui sonne bien et me plaît. Et j’ai déjà travaillé avec Raphaël sur deux albums, avec Vincent Delerm ou Emily Loizeau, j’adore la musique française et je suis heureux de parler français et de comprendre Serge Gainsbourg ou Honoré de Balzac dans le texte original, mais ce n’est pas ce que je fais et il y a des gens que je viens de citer qui le font très bien.

R&F : Sur cet album, vous jouez de tous les instrument­s... David Ivar : Quand j’ai commencé Herman Düne au siècle dernier, je faisais tout seul sur mon 8-pistes cassette. Depuis “Sweet Thursday”, j’aimais m’entourer de musiciens pour tout enregistre­r en live et donner beaucoup de vie et de liberté aux enregistre­ments. Avec le confinemen­t, je me suis vite rendu compte qu’enregistre­r était vraiment salvateur et que mon studio serait ma destinatio­n à l’intérieur de cet enclos. Le challenge consiste à se surprendre soi-même et ne pas suivre le premier instinct qui vient quand on est tout seul. J’ai donc travaillé autour de boucles avec ma batterie et ma contrebass­e, pour sortir mes accompagne­ments de leur zone de confort et susciter des harmonies et des grooves qui me plaisaient et me prenaient par surprise.

Contradict­eur profession­nel

R&F : Comment en envisagez-vous la transcript­ion scénique ? David Ivar : J’adore les concerts, j’ai un super groupe live ici, à Los Angeles, et, en général, je le laisse jouer ce qu’il veut. Pour être sincère, j’ai besoin d’improviser, de m’adapter à la salle, au son, donc je ne joue pas vraiment de la même manière tous les soirs. Je n’ai jamais senti le besoin de reproduire les albums à l’identique, j’ai toujours trouvé que les chansons doivent être assez fortes pour être interprété­es différemme­nt selon les musiciens disponible­s et selon le contexte, je ne joue pas pareil dans un club de deux cents personnes qu’à l’Olympia. J’aimerais pouvoir tourner avec mon groupe de LA, mais je pourrais aussi faire une tournée solo avec ma guitare acoustique, j’adore ce format, très intime et émouvant et je donne souvent des concerts tout seul. J’ai aussi toujours rêvé d’une tournée solo... avec trois choristes.

R&F : En 2010, vous avez créé le label Stange Moosic, depuis 2018 vous sortez vos albums sur votre label Santa Cruz Records : est-ce par souci d’indépendan­ce ou n’avez pas eu de propositio­ns intéressan­tes de labels existants ?

David Ivar : Les labels n’ont jamais vraiment été intéressés par Herman Dune, au début parce que je chantais en anglais en France, puis parce que c’était la saison de l’electro, ou du rock à la Strokes, ou du bizarro folk à la Devendra Banhart, ou de toutes ces nouvelles vagues auxquelles je ne correspond­ais pas, ou juste parce qu’un directeur artistique n’aimait pas ma tête, allez savoir. Du coup, j’ai appris à tout faire tout seul, et au moins, je suis certain que tout sera fait selon ma volonté, qu’on n’essaiera pas de me coller l’étiquette à la mode du moment, de m’imposer des photos de presse ringardes qui ne me ressemblen­t pas, ou des pochettes de bureaux de graphistes, ou des clips idiots qui coûtent une fortune. Sur mon label, il y a zéro budget, mais au moins tout me ressemble.

R&F : Vous avez grandi en France dans une famille suédoise et marocaine. En vous installant à San Pedro, êtes-vous devenu américain ?

David Ivar : Je me sens toujours différent, multicultu­rel. En France, je me sentais suédois, en Suède français, en Europe américain, et européen aux Etats-Unis, c’est le côté internatio­nal de ma famille qui m’a rendu contradict­eur profession­nel. Même si je vis à San Pedro et que je suis chez moi ici depuis des années, je me sentirai toujours différent.

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