Rock & Folk

Sept chansons capitales

En 2017, on avait passé en revue dix albums du Coop’ que le grand public, même rock, a eu tort de négliger. Cette fois, mise en lumière de sept péchés capitaux, une chanson méconnue par album que le Alice Cooper Group a publié entre 1969 et 1973. L’art de

- Album “Detroit Stories” (Verycords)

“Quand Iggy, Ziggy et le MC5 écumaient la ville, Kid Rock et Eminem étaient encore en couches-culottes !”

Et puis, on venait d’avoir vingt ans, on ne savait pas ce qu’être claqué voulait dire. Prendre des vacances ne nous a jamais traversé l’esprit ! Et donc on a enchaîné : “Killer”, “School’s Out”, “Billion Dollar Babies”, et on entendait nos chansons partout.

Bette Davis

R&F : Finalement, qu’est-ce qui vous a éloigné de Detroit ? Alice Cooper : Le succès ! Le fait qu’on passait tout simplement le plus clair de notre temps en tournée ou à New York. Le bureau de notre manager Shep Gordon était là, et le groupe avait besoin d’un endroit plus grand. Il nous a loué cette résidence gigantesqu­e, The Galesi State. Plus de trente pièces, un délire, avec une salle de bal ! On y répétait. Et la propriété était si grande que personne n’habitait autour, on pouvait faire tout le bruit qu’on voulait. La voisine la plus proche était l’actrice Bette Davis. Elle déboulait devant la maison en voiture, elle cognait à la porte en hurlant : “Montez le son, je n’entends rien !”.

R&F : Au bout d’un moment, le split a été inévitable. Alice Cooper : Oui. Pourtant, on dominait les charts de la planète, on ramenait plus de monde en concert que les Rolling Stones, mais surtout, on ne s’était jamais arrêté pour reprendre notre souffle. Et avec “Muscle Of Love”, qui se barrait un peu dans tous les sens, les premières fissures sont apparues. Bob Ezrin ne l’a pas produit. Il nous arrivait de rechigner un peu, mais on suivait ses conseils car il avait toujours raison. Certains, dans le groupe, pensaient qu’on pouvait se passer de lui. C’était une erreur. Alice Cooper est devenu dysfonctio­nnel. Le succès a fini par creuser un fossé entre nous. Et il ne faut pas oublier non plus qu’on était les uns sur les autres depuis le lycée, on se voyait tous les jours, on n’avait pratiqueme­nt pas de vie privée, et l’idée de “Welcome To My Nightmare” a commencé à germer dans mon esprit. Je suis resté avec Shep et Bob, et les autres ont fait ce qu’ils voulaient. Mais je tiens à insister sur un point : il n’y a pour ainsi dire jamais eu d’animosité entre nous, pas de procès. Et cette amitié tient toujours. Le Alice Cooper Group joue sur quelques chansons du nouveau disque et j’en suis ravi. La seule ombre au tableau, c’est que Glen Buxton n’est plus là. Il était notre Keith Richards, le coeur et l’âme de la formation.

R&F : Faire enrager les parents, ça a été une des clefs de votre succès ?

Alice Cooper : Oui, on savait que si eux nous détestaien­t, les kids allaient nous adorer. Je me suis pointé avec le serpent, la guillotine, on m’a pendu sur scène et à tous les coups, ça marchait. Le plus drôle, c’est que ceux qui ne comprenaie­nt rien nous prenaient pour des satanistes ou je ne sais quoi, ce que, bien sûr, nous n’étions pas. On a tous eu un background chrétien et nos paroles n’abordaient jamais de sujets diabolique­s. Les gens ne comprenaie­nt pas qu’en fait, Dennis, Glen et moi avions été étudiants en journalism­e et, dans nos paroles, on essayait de décrire la société dans laquelle on évoluait. Et nous n’avions pas besoin d’être caricatura­ux ! Si je décidais de m’inspirer d’un article de journal, je choisissai­s celui qui parlait d’un enfant né avec une tête de chien plutôt que celui sur les réductions d’impôt (rires) ! J’avais un appétit pour le sensationn­el et on essayait de reproduire ça. Nos plus grands fans sont ceux qui ont été sensibles à notre sens de l’humour. Les crétins pensaient qu’on habitait tous ensemble, comme des vampires, dans un château quelque part… Il faut se rappeler qu’il n’y avait pas Internet, pas de réseaux sociaux, et les gens imaginaien­t des trucs pas possibles. Aujourd’hui, on peut tout voir et, d’un certain côté, c’est vraiment nul. C’est comme les vidéos. Il est indéniable qu’elles ont été un formidable outil marketing, mais, quand j’écoute une chanson, je n’ai pas besoin qu’on m’impose des images ; j’imagine les miennes et c’est bien mieux comme ça. Lorsque, adolescent, j’ai commencé à les écouter, j’ignorais totalement à quoi ressemblai­ent les Rolling Stones, et ce que j’imaginais a bien évidemment renforcé ma connexion avec leur musique. Pour moi, ils étaient dangereux, vivaient dans un trou à rats et ça me fascinait autant que leurs chansons.

Une chance sur un million

R&F : Une phrase ou deux à propos de quelques morceaux de “Detroit Stories” ? “Rock’n’roll” qui, à l’origine, figurait sur “Loaded” du Velvet Undergroun­d…

Alice Cooper : Je m’entendais bien avec Lou Reed et, même si sa chanson a été écrite pour New York, elle colle aussi très bien à

“Ma créature a plus d’un demi-siècle et elle est là, dans mon ombre”

l’esprit de Detroit. Je chante d’ailleurs “Detroit station” à la place de “New York station”. Et puis dessus, il y a Steve Hunter à la guitare, qui a joué avec Lou et moi. Le reste du groupe est également de la ville.

R&F : “Our Love Will Change The World”, reprise d’une chanson de Matthew Smith pour sa formation Outrageous Cherry, un tellement bon choix…

Alice Cooper : Ah, c’est drôle que vous disiez ça car les avis sont très partagés à propos de cette reprise. Je viens justement d’apprendre qu’elle cartonnait à la radio anglaise. En vérité, elle me fait penser (il entonne les deux premiers vers… — ndA) à “Getting Better” des Beatles. Quelque part, c’est un morceau joyeux, mais il traite de sujets graves. C’est contestata­ire, la jeunesse qui menace les parents… Du genre : “On va changer le monde, ça ne va pas vous plaire, mais vous devrez vous y faire.”

R&F : Vous aviez des titres très

Yardbirds, Kinks et même Pink

Floyd sur vos premiers albums…

Alice Cooper : Bien sûr, nous sommes la génération d’après. Nous avons commencé à écrire en essayant d’être aussi bons que John Lennon et Paul McCartney ! Nos morceaux étaient souvent dingues, mais joués simplement au piano, ils tenaient parfaiteme­nt la route. Bob Ezrin refusait qu’on mette sur les disques quelque chose qu’on n’aurait pas pu chanter. Nous avons mesuré très tôt l’impact que pouvaient avoir les bonnes mélodies. Lorsque j’écoute la radio aujourd’hui, je suis obligé de les chercher, j’en trouve très peu…

R&F : Le groupe original est sur “Social Debris” ?

Alice Cooper : Ouais, ils étaient dans le coin, je les ai appelés, on a fait tourner quelques trucs et celle-là est apparue. Elle me plaît car elle sonne vraiment comme ce que nous étions avant. Le plus drôle, c’est qu’il y a ce musicien à Londres qui est un fan absolu de Glen et on a décidé de le faire intervenir sur le titre. On lui a envoyé la bande et pour lui ça a été une sorte de rêve qui devenait réalité. Il joue de la guitare dans le même esprit et pour le coup, on croirait un flash-back (rires). Il avait une chance sur un million qu’un tel truc lui arrive.

R&F : “Detroit City 2021”, la carte glam jouée à fond… Alice Cooper : C’est un remake d’une chanson de 2003 sur “The Eyes Of Alice Cooper”. Bob l’aimait bien, sauf le refrain qu’il trouvait trop Broadway et qu’on a donc zappé. J’ai un peu modifié les paroles et c’est vraiment l’époque, quand Iggy, Ziggy et le MC5 écumaient la ville. Kid Rock et Eminem étaient encore en couches-culottes !

R&F : “Wonderful World”, c’est carrément votre hommage aux Doors, non ?

Alice Cooper : Tommy Henriksen, qui joue de la guitare avec moi, m’a proposé ce titre et je me suis aussitôt dit qu’il avait un côté “I Love

The Dead”. Le texte est à la fois drôle et terrifiant : c’est Satan qui remarque à quel point le monde serait merveilleu­x si tous les gens étaient comme lui. Ça se défend, non (rires) ?

Une dose de surréalism­e

R&F : “Don’t Give Up”, chanson à message ? Ce n’est pas votre spécialité…

Alice Cooper : Au départ, j’y parlais de suicide. C’est un sujet grave dans toutes les grandes villes américaine­s. Et lorsque la pandémie est arrivée, on s’est dit qu’en changeant quelques mots, le texte pouvait devenir non pas le message d’Alice adressé à son public, mais au virus lui-même. Il est hors de question que ce truc continue à nous faire peur ! Il va nous emmerder encore un peu, c’est certain, mais au bout du compte, la race humaine en réchappera.

R&F : Un message d’espoir donc… Alice Cooper : Exactement ! Oui, le Covid tue des gens, mais la grippe aussi. Tout un tas de saloperies tue, alors il faut arrêter d’être terrorisé.

R&F : Et voir tout le monde masqué dans la rue, vous qui avez créé un personnage horrifique, qui vous déguisez pour monter sur scène et faire peur, ça doit être bizarre… Alice Cooper : Vous savez, j’ai dû apprendre à affronter le regard des autres, et aujourd’hui, je le fais d’autant mieux que ma créature a plus d’un demi-siècle et elle est là, dans mon ombre. Au départ, je n’étais pas si hardi que ça, mais le maquillage m’a permis d’oser faire des choses. Comme David Bowie avec Ziggy Stardust. Sans le maquillage et les tenues de scène, je n’aurais été qu’un chanteur de plus. Et si les gens ont trouvé ça super, tant mieux. En tout cas, ça a été très intéressan­t à vivre. En live, évidemment, et aussi dans la vraie vie où je n’ai jamais été personne d’autre qu’un type normal.

R&F : Alice, vous savez que la légende prétend que Molière est mort sur scène. Au train où ça va, on ne vous imagine par arrêter. Ce genre de pensée vous traverse-t-il parfois l’esprit ? Alice Cooper : Eh bien, puisque je ne rajeunis pas et puisque je ne me produis jamais moins de deux cents fois à chaque tournée, la probabilit­é que ça arrive augmente avec le temps ! Mais bon, il n’y a pas d’urgence et je vais laisser Dieu décider de ça. On a déjà commencé à travailler sur un nouvel album. Personnell­ement, le Covid m’a boosté. On a tiré un maximum de profit du temps qu’on n’a pas pu passer sur la route. Vous savez, ce rythme des sixties et des seventies qu’on évoquait tout à l’heure a finalement toujours été le mien. Et puis, il y a également un nouvel Hollywood Vampires dans les tuyaux. La roue n’a pas fini de tourner.

“Reflected” “Pretties For You”

1969

Parue à l’origine en face A du premier single du groupe, “Reflected” est surtout fameuse pour avoir été retravaill­ée et publiée en 1972, alors que Richard Nixon venait d’être réélu président des USA, sous le titre “Elected”. Livré à Bob Ezrin, le morceau produit à l’origine par le groupe, sera débarrassé de ses oripeaux floydiens (Alice et les musiciens ont vu le quatuor anglais à l’époque de Syd Barrett) et squattera les Top 10 mondiaux, mais pas l’américain.

“Beautiful Flyaway” “Easy Action”

1970

Une rareté puisqu’ici, c’est Michael Bruce qui s’y colle. Au chant. Le guitariste, co-compositeu­r majoritair­e de plusieurs autres merveilles du Alice Cooper Group, joue également le piano sur ce morceau pop baroque et totalement surréalist­e qui démontre que les Beatles n’ont pas influencé les musiciens américains qu’à leurs débuts : leurs expériment­ations psychédéli­ques, inspirées du flower power, allaient retraverse­r l’Atlantique et impacter la plupart des albums du ACG.

“Caught In A Dream” “Love It To Death”

1971

En ouverture du premier 33-tours produit par Bob Ezrin, ce titre rock, basique mais efficace, et brillammen­t exécuté, est un peu l’arbre qui ne parvient pas à cacher la forêt qui lui succède sur la face : “I’m Eighteen”. Propulsé par un riff de Michael Bruce, “Caught In A Dream” est un renard dans un poulailler qui met en exergue le parolier tapi en Alice Cooper : il anticipe, en évoquant ses risques, le succès qui comme par hasard va tomber sur le groupe avec ce disque.

“Desperado” “Killer”

1971

Ecrite à plusieurs, cette ode à la conquête de l’Ouest et ses tueurs à gages (le look du tueur est celui de Robert Vaughn dans “Les Sept Mercenaire­s”) doit beaucoup au talent de tisseur de Bob Ezrin. Ses arrangemen­ts de cordes d’orchestre ajoutent à la dimension théâtrale d’une chanson dont le riff de départ, menaçant et joué par Michael Bruce, lui servait pourtant et jusque-là… à s’accorder.

“Alma Matter” “School’s Out”

1972

Une tuerie totale, facile à jouer à la guitare, même sèche et même à treize ans. Souvent attribuée à Alice Cooper — qualifié de romantique au coeur d’artichaut par son épouse Sheryl —, cette ballade qui s’énerve en son milieu est pourtant et principale­ment l’oeuvre du batteur Neal Smith. Comme tout le monde (et notablemen­t George Lucas qui tournait “American Graffiti” cette année-là), il a vu son adolescenc­e foutre le camp. Et ça l’a gonflé.

“Generation Landslide” “Billion Dollar Babies”

1973

Cette dernière chanson enregistré­e pour l’album culminant qui allait précéder le chant des cygnes doit beaucoup à Glen Buxton, pas toujours fiable et contraint, certaineme­nt par Bob Ezrin, de laisser Steve Hunter jouer le solo final à sa place. Selon Michael Bruce, le ACG se délitait gravement dès cette époque, mais sa cohésion rock, ici, est impossible à prendre en défaut. Comme Mick Jagger, le Coop’ est un harmonicis­te de talent et il le prouve.

“The Man With The Golden Gun” “Muscle Of Love”

1973

Qu’elle ait été faite pour ou pas (Michael Bruce dit qu’on leur a proposé de l’écrire et qu’elle a été refusée, Alice soutient qu’elle est née avant et qu’il souhaitait la soumettre aux producteur­s du film), cette chanson, qui sonne un peu comme si John Barry l’avait produite, n’aurait pas déparé dans le neuvième James Bond (sur les écrans l’année suivante). C’est évidemment une grosse production et, en tout cas, une bien meilleure compositio­n que celle finalement retenue, interprété­e par l’Ecossaise Lulu.

Richard Nixon venait d’être réélu président

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