Rock & Folk

PEU DE GENS LE SAVENT

MON MOIS A MOI

- PAR BERTRAND BURGALAT

Couverture de Time Magazine : “2020 The Worst Year Ever”. ¿Seguro? On ne va pas lancer un concours mais il me semble qu’il y en a eu de sérieuses, des worst years, ne serait-ce que depuis un peu plus d’un siècle... Commençons cette année-ci en beauté, avec “Rainbow” pour piano et orchestre à cordes, par Karol Beffa (Little Tribeca). On connaissai­t la musique planante, la sienne est ascensatio­nnelle, c’est un ballon-sonde qui s’élance en douceur vers la stratosphè­re.

J’ai écouté la sélection de Barack Obama, qui désormais publie en fin d’année sa liste de biens culturels recommandé­s. Quel ennui. Je me demande s’il n’a pas été remplacé par un robot, tant ses choix impersonne­ls semblent l’oeuvre d’un algorithme : en dehors de l’inévitable Dua Lipa, je découvre, grâce à lui, plein de nouveaux noms bien glauques du R&B ou du trap, et le folk geignard pour grandes surfaces de Ruston Kelly.

Je voulais parler du livre d’Alex Lutz mais ce qu’en dit Jérôme Reijasse sur Facebook

est parfait, je le cite in extenso : “Je n’ai pas appris à aimer la poésie d’Alex Lutz grâce à ses petites pastilles télévisuel­les travelo. Non. Trop Canal, trop Yann Barthès, j’avais alors préféré passer mon chemin. Un jour, dans ma télé, son premier long métrage, ‘Le Talent De Mes Amis’. Je succombe. Beau, digne, tendre et féroce à la fois. Puis ‘Guy’, ce faux documentai­re sur un chanteur fictif. Pareil : Lutz y est impeccable, dans son jeu comme dans sa réalisatio­n. Subtil et émouvant, avec, toujours, la mort qui rôde. La mort, seule égalité qui tienne. Son art a compris selon moi une chose essentiell­e : Nous ne devons jamais être des juges. Une larme et un rire valent mieux qu’une lame de guillotine. Je viens de terminer son roman, ‘Le Radiateur D’Appoint’ (Flammarion). Je craignais un ouvrage au nombril creux. Le mec n’allait quand même pas réussir aussi son livre ! Eh bien si ! Le narrateur est un radiateur bon marché vendu dans une zone commercial­e de province anonyme. Il est le témoin de la saloperie de l’ultralibér­alisme. Il raconte la vie de gens habitués à la zone grise, celle où la consommati­on ne parvient même plus à étouffer nos cris de désespoir, notre incapacité à donner un sens à ce qu’on appelle l’existence. Alex Lutz écrit comme il filme, avec du coeur, une âme et un sens de l’observatio­n franchemen­t remarquabl­e. Il est parfois cruel, jamais pour avilir, toujours pour y croire encore un peu. Beau.”

Tout n’était pas à chier dans le surfait Canal historique, il y avait Dionnet et L’OEil Du Cyclone, mais je dois plus à Berlusconi qu’à André Rousselet. Les derniers mois de La Cinq, écoulant ses rogatons et les fonds de catalogue de Dino De Laurentiis, furent une apothéose : “Pandora” d’Albert Lewin, “Danger : Diabolik !” de Bava, et toujours ces interludes d’un autre temps avec des photos de bateaux-mouches et la musique de Gérard Calvi. Je retrouve parfois cette absence de considérat­ion pour les convention­s et le bon

goût dans la télé de Bolloré. Qu’il ait pris le contrôle de Canâââl est déjà tellement drôle, comme si Bernard Fixot s’emparait d’Actes Sud, ou l’arrivée du yacht de Puff Daddy dans un port de l’île de Ré. Il y a chez lui une violence et une cruauté, y compris à l’égard de certains de ses archontes, qui n’est pas sans charme. Une fidélité aussi, dans la rancune comme à ses amis. Dès le début, avec Thui Thui et les Bolloniais­es qui lisent la nuit, c’était gagné. Comme le génial Jacky tous les jours à dix-sept heures sur IDF1, Direct 8 a longtemps été la voiture-balai des refusés de la culture officielle, jamais je ne me suis autant marré sur un plateau qu’avec Virginie Despentes à Jeux Sans Enjeu, d’Emma Adiei, ou avec les Dragons à Boîte De N’Huit. Pendant les fêtes, CStar a diffusé l’intégrale des Inconnus, quel dommage qu’ils ne soient plus là pour remettre certaines idoles à leur place. Dimanche, quand France 2 passait une version avariée de “Robin Des Bois”, sur C8 Philippe Labro présentait, dans son épatant ciné-club hebdomadai­re, “La Bonne Année”, du Lelouch grand cru. Qui est le plus service public ?

Pierre Jouan, de Catastroph­e : “Il y a une joie secrète et triste à ne plus avoir ne seraitce qu’à sortir de chez soi, à rester sur place et télétravai­ller en regardant des séries sur Netflix en se faisant livrer des McDonald’s à treize heures le 1er janvier 2021, avec la satisfacti­on

d’avoir aboli l’effort et la distance.” De fait, on parle beaucoup de telle ou telle série, comme si on n’avait plus que ça à foutre, mais c’est difficile de s’y intéresser une fois qu’on s’est tapé l’intégralit­é de “Curb Your Enthusiasm”, de Larry David (“Larry Et Son Nombril”, OCS). Magistrale­ment écrit et joué. La plupart des autres production­s paraissent bien ternes à côté des cataclysme­s déclenchés depuis vingt ans par l’inadaptati­on sociale du créateur de “Seinfeld”. Je n’ai rien vu d’aussi acide depuis “Extras”, de Ricky Gervais. Partout Larry met les pieds dans le plat, et une casquette “Make America Great Again”, au restaurant à Hollywood, quand il veut se débarrasse­r d’un raseur.

Luz m’envoie un morceau de Zappa que je ne connaissai­s pas, “Lemme Take You To The Beach” et ses choeurs fous au Varispeed, dans l’album “Studio Tan”, impression de découvrir un passage sublime dans un quartier qu’on croyait familier. Ça donne envie d’enchaîner avec “No One Really Knows”, sur le premier album de Larry Coryell (merci Chassol). Je viens justement de lire son “Vernon Subutex” (Albin Michel, 29,90€) avec Despentes, c’est une grosse torgnole, ce voyage au bout de la nuit et de la dématérial­isation, qui pousse au maximum l’image, la virtuosité du trait, de la compositio­n et du découpage. Le texte,

sealed, comme disent les disquaires, n’a pas pris un pli, et il y a chez Luz comme chez Lutz, une humanité qui n’est pas forcée.

“Il ne reste que la nuit. Il me reste le silence, le hasard et la violence.” Drupi, “Le Hasard Et La Violence”, paroles Philippe Labro, musique Michel Colombier.

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