Rock & Folk

DANNY KROHA

“Je cherchais ce son-là”

- Eric Delsart

Figure tutélaire de la scène garage de Detroit, le guitariste chanteur des Gories et des Demolition Doll Rods poursuit son exploratio­n de chansons centenaire­s avec toujours l’approche brute qui le caractéris­e. Du folk traditionn­el ? Oui, mais façon Detroit.

POUR QUICONQUE S’INTÉRESSE DE PRÈS A LA SCÈNE ROCK GARAGE nord-américaine de ces quarante dernières années, Danny Kroha est plus qu’une référence, c’est une véritable légende vivante. Un de ces héros cultes trop méconnus auprès du grand public dont l’influence dépasse la renommée et qui symbolisen­t la scène la plus sauvage des Etats-Unis.

Sales

“Quand j’ai rencontré Mick Collins, j’ai vu mon avenir. Je me suis dit : ‘Je veux monter un groupe avec ce type !’ ” se rappelle Danny Kroha quand on évoque sa rencontre au milieu des années 1980 avec celui qui était alors le seul Mod black autoprocla­mé de Detroit. Avec la batteuse Peg O’Neil, ils ont fondé les Gories, trio à deux guitares et une batterie qui a remis la décadence et le minimalism­e punk au centre du jeu à une époque où des puristes des sixties s’appliquaie­nt à reproduire le son de la scène “Nuggets” et remettaien­t au goût du jour les chemises à jabot bariolées. Loin des sons trippants de la scène Paisley Undergroun­d et des revivalist­es fuzz et Farfisa (Chesterfie­ld Kings et Fuzztones), les Gories visaient plutôt la sauvagerie et l’enthousias­me des groupes garage américains dégénérés du début des années 1960. A l’époque, Kroha érigeait son inaptitude à jouer de la guitare comme un étendard, la marque de fabrique du groupe. “Tout ça provenait de l’esthétique de Crypt Records. Tim Warren prenait fait et cause pour l’incompéten­ce. J’adorais l’esthétique des compilatio­ns ‘Back From The Grave’, c’était une immense source d’inspiratio­n.” Sales, désaccordé­s, erratiques mais flamboyant­s, les Gories auront marqué leur époque et inspiré de nombreux groupes, les White Stripes en tête. Aujourd’hui, Jack White renvoie l’ascenseur en publiant les albums solos de son mentor. Après “Angels Watching Over Me” en 2015, Third Man

sort “Detroit Blues”, le deuxième volume des exploratio­ns blues et folk de son auteur.

“Au lycée, j’aimais beaucoup les Yardbirds, les Kinks, les Rolling Stones du début, se remémore le guitariste. Par la porte d’entrée de la British Invasion, je me suis intéressé au blues. Je regardais les crédits sur les pochettes : ‘C Burnette, M Morganfiel­d, E Mc Daniels…’, les véritables noms de Howlin’ Wolf, Muddy Waters et Bo Diddley. Je me suis dit qu’il fallait que j’en sache plus sur ces mecs, que j’écoute leur musique. Puis un jour, j’ai pris cette décision : ‘Aller chez un disquaire et acheter les disques de blues les plus vieux que je puisse trouver’.

J’ai trouvé une compilatio­n des années 1920 de Mississipp­i John Hurt, en me disant qu’on ne pouvait pas faire plus ancien que ça. Je suis rentré chez moi et, quand je l’ai écouté, ce n’était pas du blues ! Ce n’était pas le blues que j’avais l’habitude d’entendre. C’était une autre tradition de musique folk, ce qu’on appelle aujourd’hui songster. Il y avait des chansons qui n’étaient pas nécessaire­ment du blues. Et j’ai adoré ça et j’ai commencé à creuser le genre. Leadbelly en est aujourd’hui l’adepte le plus célèbre”.

Brutes

Danny Kroha se place dans cette tradition ancienne, et sa version du blues est rêche, aride : “De manière générale, je suis attiré par ce qui est brut. Il y a tout un aspect du blues qui tourne autour de la virtuosité qui m’ennuie, c’est comme de l’athlétisme. Je cherche toujours les choses les plus brutes, au point d’aller à l’opposé de la technicité”. Plus proche d’Abner Jay que de Joe Bonamassa, Kroha a bâti son répertoire en mêlant diverses sources antédiluvi­ennes de chansons folk traditionn­elles qu’il joue seul à la guitare, parfois simplement accompagné de cuillères ou de battements de pied en guise de percussion­s. On entend par moments de la guimbarde, un banjo, une basse à une corde fabriquée maison, et le tout sonne d’un autre temps. “Mon premier album avait été enregistré chez moi, sur un enregistre­ur cassette, donc c’était assez lo-fi, s’amuse le chanteur. Ce nouvel album a été enregistré avec Warren Defever dans son loft, qui consiste en une grande pièce, avec un meilleur micro. Mais je voulais juste le son de quelqu’un qui joue dans une pièce. Je voulais que ça sonne comme des field recordings des années 1950-1960, comme quand Mike Seeger est allé voir Roscoe Holcomb et Dock Boggs (nda : légendes du banjo old-time) pour les enregistre­r chez eux. Je cherchais ce son-là”. Mission accomplie, haut la main. ★

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