Rock & Folk

PIERRE RICHARD

Plus de cinquante ans de carrière, et toujours l’oeil pétillant de celui qui, depuis “Le Distrait” en 1970, a su faire rire et émouvoir le grand et le petit public. Rencontre avec un type formidable, aussi cultivé que drôle et gaffeur.

- Olivier Cachin

SAIT-IL QU’UN RAPPEUR FRANÇAIS, HOOSS, LUI A CONSACRÉ UNE CHANSON HOMONYME (“Mon amour j’suis un guignard/ Maladroit comme Pierre Richard”) ? Ce que l’on sait de lui après près de deux heures en sa compagnie, c’est que son nouveau disque “Nuit A Jour” n’est pas un caprice d’acteur mais un formidable ovni aux textes ciselés par l’auteure Ingrid Astier et aux musiques composées par JB Hanak du groupe dDamage. Et que ses goûts musicaux sont aussi éclectique­s que sa plantureus­e filmograph­ie.

Comme un coup de poing dans la figure

ROCK&FOLK : Comment est né ce projet de disque ? Pierre Richard : Ingrid Astier m’avait demandé si ça ne m’ennuyait pas de lire des textes pour une espèce de cocktail élégant qu’organisait Gallimard. Elle me dit qu’un ami viendrait avec sa guitare… Moi, je ne demande pas mieux plutôt que d’être tout seul. C’est comme ça que l’idée est venue. Ingrid m’a dit : “Mais pourquoi on n’en ferait pas un disque ?” Je n’y croyais pas trop à cette aventure, et puis elle a choisi les textes qu’elle souhaitait, je les ai dits chez elle, JB est arrivé et a joué, finalement on a été dans un studio tous les trois, chez Olivier Dax. C’était bien, mais je me suis trouvé très en dessous. On s’est réuni une deuxième fois, on a donné une impulsion nouvelle. J’ai été un peu surpris parce qu’a priori, pour être franc, dDamage, ce n’est pas du tout le genre de musique que j’aime. Et après, je me suis rendu compte que les sons de JB étaient extraordin­airement complément­aires du texte, c’était des déchiremen­ts qui venaient des entrailles de la terre, et ça donnait aux mots un envol dans le ciel, nocturne bien sûr.

R&F : Vous souvenez-vous du premier disque que vous avez acheté ou qu’on vous a offert ?

Pierre Richard : Ça remonte à loin… Je ne pense pas qu’on m’ait offert de disques, je me les suis achetés moi-même. Ou bien je me suis servi parmi ceux qui traînaient dans les tiroirs de mes grands-parents ou de ma mère. Ce qui m’a amené à la musique sur le tard, à seize ans, c’est quand j’ai commencé à aimer le jazz. Il y avait un jeune disquaire à Valencienn­es, c’était l’endroit où on se retrouvait pour acheter des 78 tours. Maintenant, si on veut remonter plus loin, c’était Maurice Chevalier et, très vite après la guerre, Charles Trenet, qui a amené le swing dans la chanson française. Même Georges Brassens me disait qu’il adorait Trenet, il m’en jouait à la guitare.

R&F : Et le rock ?

Pierre Richard : Au début, ça n’était pas trop mon truc. Et puis j’ai compris une chose : le jazz que j’ai aimé était une musique joyeuse. Je me souviens être allé dans des boîtes de nuit à Paris, où les filles avaient des queues-de-cheval et dansaient sur du jazz. Et quand le jazz s’est intellectu­alisé, les jeunes se sont rabattus sur le rock, qui les faisait danser. Mon fils, qui est jazzman, me dit que le jazz a une infinité d’accords pour peu d’auditeurs là où le rock n’a que trois accords mais beaucoup d’auditeurs. Ce qui est injuste car avec trois accords, on peut faire des choses formidable­s. L’énergie, c’est important. Et moi, j’aime bien les musiques qui shlaa, rentrent dedans. Le génie de Michael Jackson m’est apparu évident, sa danse aussi. Ah, une petite

parenthèse parce que j’adore Ray Charles, Ray Charles et Stevie Wonder ensemble, vous connaissez ? Wow, wow, wow ! Tous les deux au piano, l’un en face de l’autre… Au théâtre, quand j’ai joué “Pierre Richard 3”, j’écoutais leur duo cinq minutes avant d’entrer en scène et je fonçais comme un taureau. Comme si on m’avait fait une piqûre d’amphétamin­es !

“Il y avait un jeune disquaire à Valencienn­es”

R&F : Beatles ou Rolling Stones ?

Pierre Richard : Au début, j’étais très Beatles, mais je ne suis pas sectaire au point de dire que c’est l’un ou l’autre, ça peut être les deux. Je suis quand même très sensible à la mélodie. C’est quelque chose qui ne s’apprend pas, comme la poésie. On a ça dans le sang. J’ai toujours trouvé surprenant qu’avec un doigt, on puisse faire une très belle mélodie, même si on ne connaît pas la musique. Et j’adorais les mélodies des Beatles. Même quand ils ont fait des disques en solo. “My Sweet Lord” de George Harrison… Vous l’écoutez trois fois et vous chantez ça toute la journée. Les Rolling Stones ont l’énergie, cette flamme qui vous prend, comme un coup de poing dans la figure, cette espèce d’animalité.

Dites à Bob que je suis là

R&F : Et le folk ? Bob Dylan, peut-être ?

Pierre Richard : Oui, j’adorais Bob Dylan. Je l’ai connu un peu d’ailleurs, c’est très drôle mon histoire avec lui, impayable même. Danièle Thompson, la fille de Gérard Oury, était, d’ailleurs elle est toujours, avec Albert Koski de KCP, qui organisait tous les grands concerts de cette époque. Elle m’avait invité et, pendant l’entracte, les VIP, dont je faisais partie, erraient dans cette énorme salle. J’étais avec quatre ou cinq amis et pour rigoler, je leur dis : “Ecoutez, je vous laisse deux secondes, je vais dire bonjour à Bob et je reviens.” Ils rigolent et au moment où je dis ça, tout au fond, il y avait une porte avec au moins dix gardes du corps. Ils s’écartent, puis la porte s’ouvre : c’était Dylan. Et il me fait un signe de la main. Les gardes du corps me laissent passer, Dylan me prend par l’épaule et me fait entrer. Au moment de fermer la porte, je vois mes copains pétrifiés ! J’entre dans sa loge et il me dit : “J’ai adoré ‘Le Grand Blond Avec Une Chaussure Noire’, vous êtes formidable”. Il me sort plein de choses gentilles, puis il me fait : “Venez, je vais vous présenter quelqu’un”. Il frappe à une autre porte parce qu’il avait une double loge, il l’ouvre et dit “Martin, viens dire bonjour à Pierre Richard”. C’était Scorsese ! J’ai passé un quart d’heure avec eux. J’ai revu Dylan à Nice pour un concert, on tournait à ce moment-là avec Gérard Depardieu et le soir, je m’adresse au type de la sécurité : “Dites de ma part à Bob Dylan que je suis là”. Le mec revient : “Oui, vous avez raison, entrez”. Il m’a installé une chaise sur le côté de la scène! Plutôt sympa.

R&F : Vous avez d’autres souvenirs de concerts ? Pierre Richard : Bob Dylan, c’était déjà pas mal, hein ? Il y a celui du gars qui a inventé la musique jamaïcaine… Bob Marley ! J’étais invité

à La Courneuve, j’étais au troisième rang et il n’y avait que des Blacks, je crois que j’étais le seul Blanc, blond en plus, on ne voyait que moi. Pendant tout le concert, ils n’arrêtaient pas de fumer des joints et ils me tapaient sur l’épaule pour m’en donner, je ne fumais pas, mais je ne voulais pas avoir l’air d’un con, alors j’ai accepté et après, pfff… J’étais complèteme­nt parti parce que je ne voulais pas passer pour un imbécile. Il y en a un autre aussi : je devais avoir dix-sept ans, l’année de mon bac, et Count Basie passait à Lille. Avec mes copains fous de jazz, on avait acheté des places. Lille est à une cinquantai­ne de kilomètres de Valencienn­es, on est parti à sept en camionnett­e et on s’est mis à picoler, à tel point qu’en arrivant, j’étais complèteme­nt bourré, mais à un point ! Je me souviens que je ne trouvais plus ma place et j’enjambais les travées non pas dans la largeur mais dans la longueur, alors je me suis fait virer. Je n’ai pas vu Count Basie, et j’ai mis deux jours à m’en remettre.

“J’ai adoré ‘Le Grand Blond Avec Une Chaussure Noire’, vous êtes formidable” Bob Dylan

Je me suis amusé avec Sly Johnson

R&F : Vous avez une belle discothèqu­e vinyle, et même une superbe platine Numark…

Pierre Richard : Oui. J’ai perdu pas mal de mes 78-tours… je ne suis pas un type qui sait garder les choses. J’en avais beaucoup, il m’en reste encore un peu. A l’époque, il fallait changer l’aiguille tous les deux disques. Je ne crois même pas que j’ai encore un Louis Armstrong. Vous saviez qu’il avait chanté avec Danny Kaye ? Il faut que je vous fasse écouter, c’est étonnant. (Il cherche dans son téléphone) Il faut toujours que je m’y reprenne à beaucoup de fois, à mon âge… Ah, Danny Kaye. Au moins, je vous aurai appris quelque chose. Bon, le son va être à chier. Ah, voilà… Non, je n’y arrive pas. “Modifier l’écran d’accueil”… Ça veut dire quoi ça, je m’en fous ! Mais regardez ce que ça fait quand j’appuie dessus ! Je tombe sur une publicité (un sketch privé de Pierre Richard façon “Les Malheurs D’Alfred”) !

R&F : Tant pis. Regardons vos albums. Tiens, George Harrison justement. Et Christine And The Queens !

Pierre Richard : C’est elle qui me l’a offert. Matthieu Chedid, c’est un copain, Julien Clerc aussi, Jane Birkin bien sûr, mon ami Thomas Dutronc… “Hot Pants” de James Brown, j’aime bien. Tom Waits ! Je l’adore.

R&F : Paul McCartney, Quincy Jones, Fats Waller, Oscar Peterson, “Pearl” de Janis Joplin, les Wings, Nina Simone, Fred Astaire et Ginger Rogers “Top Hat/ Shall We Dance”, Terence Trent D’Arby… Chet Baker !

Pierre Richard : Je l’ai rencontré au studio Davout parce qu’il a joué de la trompette pour la BO du film d’Yves Robert “Le Jumeau”. C’était sur le tard, il était défoncé mais il a quand même bien joué (il imite la trompette de Chet, encore un sketch).

R&F : Daft Punk, Macy Gray, Frank Sinatra… Oh, “Ready To Die” de The Notorious BIG !

Pierre Richard : Oui, j’aime bien aussi. Dernièreme­nt, je me suis amusé avec Sly Johnson, vous connaissez (chanteur soul, ex-membre du Saïan Supa Crew) ? Il vit avec Mathilda May, je vous le dis parce que ce n’est pas un secret, et Mathilda avait mis en scène ma pièce “Monsieur X” au théâtre de l’Atelier. On devrait être en tournée en ce moment, d’ailleurs. Sly était là. Du coup, c’est devenu un copain. Il chante merveilleu­sement bien. Dernièreme­nt, j’étais chez lui, il m’a montré ses tours de beat box et on s’est amusé tous les deux à faire une conversati­on comme ça, “Shoobidiba­p tchoomtak ratatat patapong”. La vidéo est sur mon Facebook, c’est fou le nombre de gens qui l’ont vue ! Depuis, je rêve de faire un truc avec Sly.

R&F : Donc le hip-hop ne vous laisse pas indifféren­t ? Pierre Richard : C’est un rythme, impossible de ne pas rentrer dedans. J’aime les voix comme du papier râpé. C’est comme pour les tableaux, j’aime ou je n’aime pas, mais je ne sais pas le définir. Je me souviens être resté une demi-heure devant un tableau de Magritte, mais si on me demande pourquoi j’aime Magritte, je ne sais pas. Pareil pour le rap. ★

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