Rock & Folk

MUSIC ON HOLD

C’est un trio à une tête qui, avec son premier album “30 Minutes Of...” honore une certaine idée de la pop, celle qui préfère, aux postures pénibles, aux bégaiement­s stériles, l’immédiatet­é libératric­e.

- Jérôme Reijasse

UN JOUR D’HIVER, À PARIS. Des mouettes fondent sur la fontaine SaintMiche­l, convoitant les restes d’un kebab abandonné par un touriste quelques minutes auparavant. Il pleut, à peine. Emile Cartron-Eldin, de Music On Hold, est ponctuel. Il a vingt-sept ans. Parisien. C’est un géant filiforme et adorable. Très cultivé. Pas dupe. Pas cynique non plus. Qui aurait pu choisir d’embrasser une carrière classique et financière­ment attractive. Au moment d’évoquer les groupes qui lui ont transmis, adolescent, la passion de la musique, il préfère parler d’alibi plutôt que d’influence : “La musique, tu l’aimes parce que c’est celle que tu vois, c’est un alibi pour sortir…”

Les Ramones à six ans

Grâce à ses parents, il a découvert les Ramones à six ans, Devo et Kraftwerk à huit, vu des centaines de concerts, d’abord ceux des autres. Il a traîné, expériment­é, écouté et regardé. Puis il s’y est mis. A organiser des soirées. La guitare reste son instrument de prédilecti­on. “Le seul où je suis suffisamme­nt bon pour rejouer ce qui me vient. Le clavier, je peux aussi, ça commence. Et sur les démos, je peux tout faire…” DIY, pas par posture. Parce que les choses sont arrivées comme ça. Peutêtre aussi parce qu’Emile n’a pas forcément envie de collaborer n’importe comment avec n’importe qui. On sent chez lui que le plaisir prime sur une éventuelle réussite. Il est moins étoile qu’explosion. “Depuis que j’ai quatorze ans, j’ai des groupes. J’ai même fait un album, du garage punk de l’époque... Là, on est trois. Après, c’est mon truc. Je compose, j’écris, j’enregistre les morceaux en démo. À la base, j’ai juste pris mes deux meilleurs potes en fait (Guillaume Dufour à la basse et Ray Jane aux keyboards, ndlr). Il n’y a pas de guerre d’ego.” Music On Hold, c’est un premier album magnifique, aux chansons simples, directes, pas faux derche pour un sou. En anglais. Le nom du groupe pourrait tromper l’auditeur. Musique d’attente. Celle qu’on supporte au téléphone en attendant qu’un inconnu accepte enfin de nous aider. Si Emile est modeste, s’il a tendance en entretien à relativise­r fréquemmen­t sa musique, à la décrire comme générique, il ne faut pas s’y tromper : ce disque dévoile des petites ogives imparables et une production impeccable. Music On Hold s’infiltre et ne lâche plus sa proie. C’est de la pop, le mot qui fait honte, qui discrédite sans attendre. On se demande bien pourquoi.

Les flirts et les songes

Les chansons d’Emile pourraient, toutes, servir de générique à un film de John Hughes. Elles libèrent quelque chose, elles n’exigent rien et donnent beaucoup finalement, avec très peu. “Ce disque, c’est juste un truc qui me ressemble. C’est la première fois que je fais de la musique pour moi, en fait. Ça relève d’une certaine vérité objective. Si c’est vraiment toi, les gens le sentent. Si ça ne me ressemblai­t pas, ça serait de la rétro-pop.” Ce n’est pas faux. La pop d’Emile est donc à son image, à ce qu’il est au fond de ses entrailles. Et c’est heureux. Ses chansons sont faites pour la vie, pour les douches, les voitures, les flirts et les songes. Elles ne paradent pas, elles ne singent pas, elles ne se plaignent pas, jamais. Elles sont. Le premier titre du disque s’appelle “Adam’s War”. Au loin, on croit parfois entendre le “Sweet Home Alabama” de Lynyrd Skynyrd. “Je m’en suis rendu compte tout de suite. Je ne suis pas un énorme fan de ce groupe. Et donc, j’ai moins de scrupules. Je ne le connais pas assez bien pour que ce soit conscient. Mais de toute façon, c’est la base de la pop, on s’en fout.” Évidemment. L’album, Emile le certifie, a été conçu sans la moindre touche noire. Il ne compose qu’en majeur. D’où ce soleil qui perce au détour d’un refrain, d’une mélodie. “S’il y a un truc que le disque n’est pas, c’est psychédéli­que. C’est une chose que je ne maîtrise pas. J’en écoute ! Mais ça ne rentre pas. Moi, je suis assez rigide. Mes chansons, ce sont des formats pop, riffs, couplets, ponts, couplets, refrains, solos, refrains, bref…” Emile parle, beaucoup, sans jamais lasser son interlocut­eur, il parle de glam, de Danzig, la formation de l’ex-Misfits, de Jean Yanne, de Lou Reed, Joy Division, Franquin, de kétamine, de Philip K Dick, de Warum Joe, Depeche Mode, de Saint-Ouen, de son lycée porte de Clichy, de ses potes chiliens, de l’époque fan de metal, de ses paroles à double sens. C’est une évidence. Il a en lui des dizaines de disques. Des millions de possibilit­és. Il ne déborde pas. Il stocke les souvenirs pour, un jour, les ressuscite­r en musique. C’est une excellente nouvelle. ★

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