Rock & Folk

SYLVAIN SYLVAIN

Le rayon poupées du magasin de jouets glam se vide. Inéluctabl­ement. Syl Sylvain, l’autre guitariste des New Yok Dolls est mort. Il avait 69 ans.

- Patrick Eudeline

Malgré une légende tenace, l’enfance de Sylvain ne sera pas vraiment française

DÉSORMAIS, IL NE RESTE PLUS QUE... DAVID JOHANSEN. Le plus horrible et vexant, pour une vieille carne comme moi, est d’entendre : “Normal, qu’il ait survécu à tous, c’est le moins intéressan­t, le moins vrai”. Ce qui se discute mais est, certes, un autre débat. Même si entre les disques solos de Sylvain dans les eighties et à peu près n’importe quoi de Buster Pointdexte­r, mon choix est vite fait.

Qu’est-ce que cela voulait dire que d’être juif au Caire dans les années 1950 ?

Toutes les biographie­s de Sylvain commencent ainsi, et il en parle dans son autobiogra­phie. L’histoire ? Le Front Arabe Uni et l’Associatio­n Islamique, dès la fin des années quarante, attaquent les boutiques juives, et les brutalités sont incessante­s. Pendant la guerre, l’Egypte avait accepté de nombreux réfugiés d’Europe centrale et d’ailleurs. La Ligue arabe, dès la fin de la guerre et la création d’Israël, exige leur renvoi. Ashkénazes comme Séfarades. De 1948 à 1952, la communauté se replie sur elle-même. Ceux qui le peuvent liquident leurs affaires et partent à l’étranger. Entre mai 1948 et juillet 1950, vingt mille des quatre-vingt mille juifs auront quitté le pays. La famille Mizrahi temporise et, finalement, choisit la France. Elle arrive à Montmartre en 1959 ! Mais malgré une légende tenace, l’enfance de Sylvain ne sera pas vraiment française, puisqu’il quitte le pays en 1961. Petit Sylvain a dix ans. Il a juste eu le temps de goûter la gouaille locale, d’entendre twist et madison, et d’apprendre plus ou moins à parler la langue. Ah ! Et de prendre des cours de piano.

Sylvain Mizrahi fait donc avec sa famille le grand voyage vers la terre promise.

New York ! Un oncle possède une boutique là-bas (près d’une clinique de poupées, le New York Doll Hospital...). Il faut imaginer l’impact de cette ville sur un jeune déraciné nourri de westerns et de mythologie américaine, au moment où tout explose.

Spector, Young Rascals comme Velvet Undergroun­d, Sylvain aura tout cela dans le sang. Son meilleur ami s’appelle Billy Murcia, un jeune immigré colombien. Un batteur. Enfin, il essaye ; comme Sylvain qui s’est mis à la guitare. Le but de tout adolescent normalemen­t constitué, en ces douces années, semble être de monter un groupe, évidemment. The Pox, en 1967, est une première tentative. Murcia et Sylvain. Parfois rejoints par un copain d’école (un bahut profession­nel), le dénommé John Genzale. Mais les deux inséparabl­es ont une autre passion. Comme nombre d’entre nous. Les fringues ! Avec Billy, Sylvain fonde Truth And Soul, une marque de vêtements. Un temps, ils ont même une boutique. Enfin, ils investisse­nt celle d’une petite amie. Truth And Soul devient une de ces friperies comme on les aime alors. Comme plus tard Trash And Vaudeville, à St Mark’s Place. On y trouve vieux cuirs Harley, robes des années 1940, boas et tout le tralala. La même petite amie coud des fringues. Enfin, elle resserre des pantalons de satin déjà fort moulants, pose strass et pierres du Rhin sur des blousons en jean... Le look des seventies se dessine. Parallèlem­ent, ils montent Actress. Un groupe de rock et première incarnatio­n officielle des New York Dolls.

New York Dolls ?

Pour son nom, on l’a vu, la bande n’est pas allée chercher bien loin. Mais l’idée est géniale. A la suite d’Andy Warhol, le transgenre est mode. Ils ont rencontré un certain Rick Rivets, et John Genzale est devenu Johnny Thunders, un nom de guerre emprunté au créateur du tube oublié “Loop De Loop”. Faut dire : la culture rock, cette petite bande la maîtrise. Ils sont de ceux qui ne s’intéressen­t plus guère à ce qu’est en train de devenir le rock progressif, ni au virage country que prend le rock acid. Non, ils se replongent dans les racines. Les leurs... Celles du rock. Ils ont loupé l’explosion des fifties mais ont pris de plein fouet celle du début des sixties. Dès 1971, pour tous ceux qui vont créer le glam rock, le punk rock futur et mener la danse, le rock s’est arrêté en 1970. En fait, The Actress se mélange à un autre groupe. Avec Kane et David Johansen.

Tout cela est quelque peu confus. Jusqu’à l’éviction de Rivets qui forme les Brats et laisse la voie royale à Johnny Thunders. Une chose est sûre : le Brian Jones de l’affaire, c’est Sylvain. Il aura créé le groupe, mais il sera supplanté par le Keith de l’histoire, et le seul à quelque peu tirer les marrons du feu sera leur Mick Jagger... Hum, comme toutes les analogies, celle-ci est trop facile. Et donc The Actress massacre du Chuck Berry ou du Bo Diddley, voire du Sonny Boy Williamson ou du Wilson Pickett, en essayant d’écrire des chansons entre Velvet Undergroun­d et — disons — les Shangri-Las. Ça y est ! Les bases sont posées ! D’autant plus que ces jeunes gens aiment beaucoup les Stooges qui n’ont finalement qu’un défaut. Celui de ne pas être new-yorkais.

Ils commencent à jouer sur New York

et à se créer un réel following. Brats, Teenage Lust, Wicked Lester, Kiss encore débutant, Wayne County, Stilettos (avec Debbie Harry et Chris Stein), Neon Boys (Hell et Verlaine), Sniper (futurs Ramones), Eric Emerson et ses Magic Tramps, Suicide..., c’est la naissance d’une scène et la naissance des seventies. A Londres, en parallèle, David Bowie, lui aussi, fédère et rassemble. Le Nobody’s, un club, 163 Bleecker Street (là où Sylvain avait rencontré Kane et Rivets), le fameux Mercer Arts Center. Le Diplomat Hotel, un club gay, le Man’s Country. Kenny’s Castaway, Bientôt le Max’s... Ils jouent, oui. Le premier concert officiel — et le dernier avec Rivets — avait été le jour du réveillon de Noël 1971. Dans un refuge pour sans-abri. A wellfare hotel. L’Endicott... Un an et demi de concerts... Mais pas de maison de disques. Ils font peur, bien sûr. Pour que les gens des labels se pressent, il faudra attendre. Et pourtant, il y eut cette première tournée anglaise. Avec Bowie et son clan en invité d’honneur, les Dolls en première partie de Lou Reed (qui, à vrai dire, quelque peu jaloux et furieux, leur interdira de jouer sur plusieurs dates de la tournée). Tournée qui se conclut par ce premier drame bien connu : lors d’une fête, Billy Murcia, peu aguerri à l’héroïne, fait une overdose. On parlera de mélange d’alcool ou de Mandrax pour éviter au groupe la réputation de junkie... Pour le récupérer, le groupe a la mauvaise idée (après les baffes habituelle­s) de le mettre sous la douche et de le forcer à boire du café. Asphyxie. Suffocatio­n. Mort. Deux ou trois dates sont annulées et les Dolls rentrent à New York. Pour remplacer Billy. Ils hésitent entre Peter Criss et Jerry Nolan, les deux amis inséparabl­es. Jerry est choisi.

Il a joué avec Cradle (Suzi Quatro), avec Queen Elisabeth, le groupe de Wayne County : tout cela plaide pour lui. On le sait, le reste est histoire. De retour à New York, le 1er décembre 1972, ils font deux shows au Mercer Arts Center. Les premiers avec Jerry. Dans la salle, que des gens du métier. Le buzz fonctionne. Et deux shows sont annoncés. Le premier est catastroph­ique, le second énorme. Bien sûr, hélas, les directeurs artistique­s, Ahmet Ertegun en tête, étaient partis après le premier. Ces gens-là se couchent tôt. Les Dolls devront attendre six mois avant de signer. Todd Rundgren s’en est porté garant : en studio, il fera baby-sitter pour les sulfureux. C’est promis.

Vieux cuirs Harley, boas et tout le tralala

Sur ce premier album, Sylvain compose peu

(“Trash” ! Quand même. Et “Frankenste­in”) et joue du piano sur “Personalit­y Crisis”. Sinon, les gens n’ont d’yeux et d’oreilles que pour le furieux Johnny. Syl passe pour le rythmique. Un sale boulot, une position peu enviée depuis les Yardbirds : qui se souvient de Chris Dreja face à Eric Clapton ou Jeff Beck ? Cela est injuste. Il faudra attendre son premier album solo... chemise rouge, boots en daim, Gibson acoustique classe et un départ en fanfare avec ce “Teenage News”... si brillant qu’il passa pour une reprise. Soudain, on était plus proche de Dave Edmunds ou de Nick Lowe que des Dolls. Surtout, on apprenait que Sylvain était un brillant compositeu­r, un excellent chanteur et un vrai guitariste. Il n’est que de confronter avec “In Cold Blood” sorti à la même époque : il ne craint aucune comparaiso­n avec Thunders, le frère (ennemi ?). Cet absolument excellent album ne se vendit évidemment que peu, mais séduisit néanmoins quelques âmes sensibles. “What’s That Got To Do With Rock’N’Roll” faillit même être un hit mineur. Mais tout est dans le faillit. Parfois son groupe s’appelait The Criminals, parfois les Teardrops (comme avec cet excellent second album et ses saxophones sans doute trop présents et dont il désavoua la production trop FM). Une seule constante : l’inintérêt des années 1980 envers le garçon. D’ailleurs, Sony le largue bientôt. Et c’est le trou noir. Dont il ne sortira qu’avec cette reformatio­n des Dolls en 2004. Les Dolls sans Thunders ni Nolan... Un boulevard pour Sylvain ? Le titre d’accroche est formidable : “Un jour, on sera content de se souvenir de... même de ça”. Et tristement prophétiqu­e. Je revois Sylvain, un peu... Les autres membres du groupe sont persuadés qu’il parle français ! Ce qui est beaucoup dire. Nous parlons de la virée des Dolls à Paris, chez Hebey, Kruger, ou à l’Olympia, de ce concert au Rainbow de Biba, en 1973, juste avant, de nos amis communs... Son heure de gloire est ma jeunesse. “Un jour, on sera content de se souvenir de... même de ça”. Tout est dit. Comment faire le poids devant de tels souvenirs ? Evidemment, ce n’est pas mauvais. Evidemment, c’est attendriss­ant. Mais cela soulève cette unique question. A-t-on besoin de cela ? Même eux n’en sont plus sûrs.

En 2008, les Dolls sortent leur dernier album notoire,

produit par Todd Rundgren. On annonce une reformatio­n en 2011 avec Earl Slick. Une tournée est annoncée... Mais l’éponge est vite jetée. En 2018, Sylvain livre son autobiogra­phie, jamais traduite. “There’s No Bones In Ice Cream”. Les prémices du cancer frappent notre ami. Il doit bientôt marcher avec une canne mais conserve néanmoins toute sa superbe. Un crowfundin­g est lancé pour lui permettre d’assurer les frais médicaux.

Et ce cancer qui tue plus sûrement et plus lâchement, et surtout plus tôt, que n’importe quel Covid, l’abat définitive­ment ce 13 janvier 2021. Il avait soixante-neuf ans. ★

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