Un océan de perfectos
Rappels Mémoires D’Un Manager FRANÇOIS RAVARD AVEC PHILIPPE MANOEUVRE Harper Collins
S’il y a bien un métier du show-biz — le seul ? — qui manque de paillettes aux yeux du grand public, c’est sans aucun doute la redoutable et cruciale position de manager. Au contraire, même, ceux qui ont marqué l’histoire du rock l’ont fait en instillant une sainte terreur, à la Peter Grant, l’effrayant manager de Led Zeppelin, en piquant les fafiots ou, pire, en fourvoyant leur protégé, à la Colonel Parker avec Elvis. Mais pourtant, jamais un grand groupe n’a réussi sans grand manager, et certains ont été si déterminants dans la réussite de leurs poulains qu’elle leur est attribuable autant qu’aux musiciens eux-mêmes. François Ravard qui fut, entre autres, manager de Téléphone, est de ceux-là et ses mémoires, “Rappels”, écrites avec le soutien d’un de ses/ nos vieux camarades de jeule prouvent, presque autant que les royalties que le groupe, lucide, a choisi de partager à parts égales avec lui depuis les débuts. Que l’on soit fan de Téléphone ou pas, son récit, discrètement bluffant, couvre plus de quatre décennies de rock et nous régale d’une époustouflante série de rencontres pas du tout fortuites avec tout le petit peuple du rock français de la fin des années 1970 et des années 1980, comme avec, ensuite, l’Olympe du genre au grand complet, en gros. Name dropping de malade donc, mais sans ostentation ni vantardise, factuel mais étourdissant. Le secret du jeune homme en éternel costume qu’il était — dans un océan de perfectos — se dévoile l’air de rien au fil des pages, son humour, sa réserve, son efficacité et une indéniable, quoique discrète, folie douce expliquent sans doute son succès auprès des musiciens, comme auprès des dames les plus distinguées du rock auxquelles il rend hommage avec l’élégance d’un gentleman. Quand il en parle ; le lecteur attentif remarquera vite l’absence totale de Corine de toutes les pages post-Téléphone, et en particulier de celles sur les Insus, ce qui sans doute évite toute erreur d’interprétation ou suite judiciaire, va savoir, même si la tendresse et la générosité que ladite Corine manifestait dans son autobiographie à l’égard de ses ex-compères et plus largement de l’humanité tout entière, expliquent peut-être cela. Cette lecture entraînante et jubilatoire, quoique légèrement teintée par une jalousie naturelle du lecteur devant le parcours et le carnet d’adresses du monsieur, est aussi un joli témoignage de ces années fécondes et relativement innocentes d’un rock français qui se cherchait. Ravard n’est jamais mesquin et ses coups de griffes, aussi rares que mérités — en particulier sans doute aux yeux de ceux qui en ont connu les cibles,— disparaissent derrière la curiosité et la détermination qui muent encore aujourd’hui ce vieux jeune papa. Et si des lecteurs de Rock&Folk se posent encore en 2021 la question “C’est quoi être rock ?”, la carrière et la vie de cet enfant du siècle électrique sont à elles seules une réponse inattendue mais aussi juste et adéquate que celles des plus grandes rock stars aux exploits plus voyants.
Damon Albarn L’Echappée Belle NICOLAS SAUVAGE Camion Blanc
Damon Albarn est l’un des rares cas — le seul ? — où être beau gosse a presque été un handicap pour sa carrière de musicien. Trop guilleret, trop charmant sans doute aux yeux des critiques majoritairement masculins ; pour ce chanteur séduisant mais techniquement pas ultra-puissant, atteindre un statut de superstar n’était pas gagné d’avance, d’autant plus que la concurrence était rude et les combats de la Britpop, entre shoegaze et Madchester, cruels et sans prisonniers. Nicolas Sauvage, manifestement fan hardcore de Albarn remet les choses dans le bon ordre dans son dernier livre “Damon Albarn, L’Echappée Belle” et replace donc exactement l’oeuvre et la personnalité de Albarn dans le contexte et à la place que cet artiste follement ouvert et créatif mérite. Car tout autant que musicien, c’est bien en artiste complet que Albarn a choisi d’explorer la musique aussi bien que les arts visuels. Novateur, expérimentateur, passionné de musiques du monde, joyeux performer, Albarn est aussi le représentant d’un certain Brit aussi cool que populaire même si, comme le montre Sauvage, sa carrière musicale, faite “de fulgurances et coups d’arrêt” ne prendra vraiment son envol qu’au troisième album de Blur pour ne plus jamais cesser finalement, sous un nom ou un autre. Car Damon Albarn est joueur et aime surprendre, et c’est donc sous le nom de Gorillaz et sous l’identité de ce groupe virtuel imaginé avec le génial Jamie Hewlett, qu’il a, après la première séparation de Blur, à nouveau dominé le game. Maintenant quintessentielle star Brit tout à fait incontournable, Albarn n’est pas l’un de ceux qui en profitent pour se reposer sur des lauriers et des hits incontournables, et il continue inlassablement tournées, multiples collaborations et recherches artistiques tous azimuts sans avoir perdu ni sa beaugossitude ni son inspiration.
La song machine n’a donc pas fini de tourner. ■