Rock & Folk

ALAIN BASHUNG

“Covers”, compilatio­n vinyle de reprises extraite de “L’Intégrale”, est l’occasion de revenir sur ce qui faisait du chanteur un cas unique.

- Thomas E. Florin

ON POURRAIT PRESQUE L’ACHETER JUSTE POUR ÇA. LA POCHETTE. Tellement la photo de Pierre Terrasson est belle. La chemise, la Jazzmaster, le Neumann, la Kronenbour­g à peine cachée, la botte un peu trop pointue et le jean parfait. D’ailleurs, cette cover est peut-être la seule bonne raison d’acheter “Covers”, la compilatio­n de reprises d’Alain Bashung. Pour ça, et pour comprendre ce qui faisait de Bashung un grand.

Voix rauque

La “cover” a été son compagnonn­age. Depuis les bals de villages alsaciens où les baisers des filles du pays laissaient les lèvres pleines de crevasses, jusqu’à ses premiers engagement­s au Club Pierre Charron, une boîte du quartier des Champs-Elysées dont la brochette de filles au comptoir n’était constituée que de profession­nelles. Ici, Bashung s’initie à bien des métiers, dont celui de reprendre ce qui est américain. Le look, l’attitude et surtout le rock pionnier qu’il a découvert sur les bases de GI. Puis, quand les temps ils ont changé, ce furent les chansons de Bob Dylan et Barry McGuire, seul avec une guitare acoustique et un porte-harmonica. Aussi, c’est à lui qu’on fait appel pour les voix rauques des compilatio­ns “Rock & Roll Story”. S’il faut chanter du Ray Charles ou du Little Richard en pas trop lavabo, Alain Bashung du Rock Band Revival fait le taff. Il le fait même très bien. Son “Lucille”, harmonisé façon Cream avec Dick Rivers, est vraiment cool. Malheureus­ement, ce n’est pas ce qui nous préoccupe aujourd’hui. Car ces reprises-là ne figurent pas sur “Covers” qui sort ces jours-ci. Les reprises n’ont pas vraiment porté chance à Bashung. D’autant qu’en bon imitateur, il commence sa carrière en faisant du “A la manière de”. Antoine en 1966, Herbert Leonard en 1968, Baschung avec un “c” cherche son style et sa voix. Les dix premières années de sa carrière s’écrivent dans l’ombre des stars qu’il copie ou de celles pour lesquelles il arrange, produit ou compose. D’après lui, dans les maisons de disques, il n’y avait plus de place pour “le rock” dans cette fin des années soixante ; tout était trop “variet’ ”. Il faut croire qu’il en était de même en 1977 quand sort “Romans-Photos”, son premier LP.

Les chansons y sonnent comme du préBalavoi­ne (qui y fait des choeurs). Pourtant, tout n’est pas à jeter dans ce disque. Il y a ce morceau, “C’est La Faute A Dylan”, une quasicover de JJ Cale avec un texte en “VOST” comme les appelait son auteur, Boris Bergman.

Accent margoulin

De “Roulette Russe” à “Passé le Rio Grande...”, Bashung sonne comme personne, c’est le moment où il est unique. Il chante avec l’accent margoulin des textes en apache moderne qui parlent de tout ce que l’on peut faire dans une ville la nuit. “Station Service”, “J’Sors Avec Ma Frangine” ou, plus simplement “Vertige De L’Amour” forment les meilleures chroniques nocturnes des années new wave. Et même quand Alain fait du rockabilly nucléaire — “Ma bignole lit Rock&Folk” dans “Ça Cache

Quekchose”, “Reviens Va-T-en”, inutile de le comparer à son homologue new-yorkais Alan Vega, ou à son prédécesse­ur, Christophe. Absolument unique en son genre, Bashung est aussi à cette époque le plus fascinant. Preuve de son originalit­é : c’est aussi la moins couverte par la compilatio­n de “Covers”. Seule une reprise enregistré­e dans ces années y est. C’est “Hey Joe”.

Puis arrivent les années 1990, celles de la reconnaiss­ance et de Jean Fauque à la plume. La période pontifiant­e. Bashung abandonne progressiv­ement l’accent faubourien pour aller vers ces envolées nasales à la Kermit. Et comme la grenouille de Jim Henson, l’homme ne semble jamais avoir été à l’aise dans sa peau. A cette époque, il tente d’en changer. Sur l’album “Osez Joséphine”, il reprend “Blues Eyes Crying In The Rain” (chanson traumatisa­nte dans la version de Willie Nelson), puis “She Belongs To Me” de Dylan et “Nights In White Satin” que l’on retrouve sur “Covers”. Après ces expériment­ations, Bashung semble avoir bloqué sur Tom Waits : en 1992, il collabore avec Marc Ribot, son guitariste des années fastes ; en 2003, il reprend un “Avec Le Temps” qui sonne comme un quasi-hommage. Mais on ne retrouve plus ce Bashung unique. Même sa reprise psychopath­e de “Les Mots Bleus”, très prenante il est vrai, fait terribleme­nt penser à… Daniel Darc.

De nos jours, Alain Bashung est un square du 18ème arrondisse­ment de Paris. Lieu de ralliement de mineurs isolés, des gamins entre treize et vingt ans viennent s’y laver sommaireme­nt et écraser quelques heures, entre deux défonces et larcins. Cet automne, un petit y a été retrouvé mort, poignardé. En 2021, la nuit ne ment plus vraiment et les milieux interlopes que décrivait le Bashung original ont disparu pour laisser place à quelque chose de très très tragique.

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