Rock & Folk

FRUIT BATS

Le meilleur groupe pop du moment a un nom de chauve-souris, un statut culte et une cote US en hausse. Au vingt-et-unième siècle, un génie mélodique comme Eric D Johnson peut passer vingt ans sous les radars. Mais une fois flashé, plus rien ne devrait pouv

- Léonard Haddad

SUR “THE GLORY OF FRUIT BATS” (2016), UN DISQUE VENDU AU STAND DU MERCHANDIS­ING EN TOURNÉE — QUAND IL Y AVAIT ENCORE DES TOURNÉES — et récemment rendu disponible sur plateforme­s de streaming — puisqu’il y a toujours des plateforme­s de streaming — se trouve une illustrati­on parfaite des paradoxes d’Eric D Johnson, l’homme par qui les Fruit Bats arrivent. Entre quelques chansons à lui (le splendide morceau titre, une ballade introspect­ive sur le fantasme pop) et une poignée de miniinstru­mentaux d’ambient acoustique, se sont glissées deux reprises, aux deux extrémités du spectre, entre sensibilit­é culte et inconscien­t collectif : “The Man I Love” de Judee Sil, interprété­e toute en discrétion, et “I Will Always Love You” de Dolly Parton (puis Whitney Houston), entonnée sans clin d’oeil mais en (s’)y croyant. Conclusion numéro 1 : Johnson chante comme un dieu. Conclusion numéro 2 : il aime les chansons d’amour féminines/nistes. Conclusion numéro 3 : rien ne lui fait peur, ni les morceaux (bien) choisis dans les recoins sombres, ni les pièces de résistance exposées dans les galeries mainstream. Pile, trésor caché (jusqu’ici), face, en pleine lumière (désormais), telles sont les deux mamelles de Fruit Bats, un groupe pop comme on en fait de moins en moins et comme on n’en fera bientôt plus.

Wilco comme boussole

“Ah vous y étiez ? C’est notre dernier concert parisien, neuf ans déjà.” On vient d’évoquer un Petit Bain, fin 2012 devant une cinquantai­ne de pékins égarés, le moment où tout a commencé à changer, au moins dans notre perception. Les premiers disques de Fruit Bats, “Echolocati­on” (2001), “Mouthfuls” (2003), “Spelled In Bones” (2005), étaient mélodiques, intimes, très acoustique­s (guitares), légèrement expériment­aux (synthés). Les morceaux étaient bons (“Filthy Water”), souvent beaux (“The Earthquake Of ‘73”) mais rarement excitants (“When U Love Somebody”, tout de même). “Oui, j’étais un songwriter avec sa guitare, on me décrivait comme americana ou indy, et j’imagine que je l’étais, avec Wilco comme boussole puisque je viens de Chicago. Et puis…” Et puis, quelque chose s’est mis à bouger, irrésistib­lement. Ça a commencé par les têtes qui dodelinent ; puis les pieds des garçons qui tapent en cadence ; et enfin les hanches des filles qui s’animent parce qu’on ne leur laisse plus le choix. L’esprit folk était toujours là, mais le corps de la musique avait changé. Comme une épiphanie : la découverte que le combo texte/ mélodie n’est pas toujours le moteur d’une chanson pop mais parfois son passager, la feuille embarquée par le vent, la planche portée par la vague. “J’avais rencontré le producteur Thom Monahan et commencé à écrire en studio, plutôt que seul dans mon coin. Je voulais que la section rythmique et la voix fonctionne­nt ensemble, qu’elles créent un groove organique.” Si “Being On Our Own” sur “The Ruminant Band” (2009) s’écartait déjà du plancher des vaches pour dévaler la colline comme une gazelle en liberté, une chanson comme “You’re Too Weird” (sur “Tripper”, 2011) va encore plus loin. “J’avais commencé à l’écrire en fingerpick­ing, sur un motif presque dylanien. Mais quand tu écoutes de près ce jeu de guitare et que tu essaies de le suivre à la batterie, tu te surprends à tomber sur un rythme dansant, très entraînant. C’est ce qu’on a fait, et qui s’est mis à définir Fruit Bats.”

Passé déhiérarch­isé

En discussion avec Eric Johnson, les mots “pop music” débarquent dans la conversati­on au bout de trente secondes, et les grands patrons ne sont jamais loin. Paul McCartney, Beach Boys, Fleetwood Mac, mais aussi des noms moins certifiés conformes que confort, comme Supertramp, Bee Gees, Gerry Rafferty ou Three Dog Night (auquel il a dédié une chanson). Baigné d’indy des années 1990, Johnson a aussi repris “Siamese Dream” des Smashing Pumpkins en entier (sorti l’an dernier chez Turntable Kitchen), il a un temps joué avec les Shins, il a pu entrevoir l’endroit où il voulait mener Fruit Bats, avant que le mirage ne se dissipe d’un claquement de doigts. “Je me trompais dans les grandes largeurs. Je suis un grand fan de ‘Tomorrow The Green Grass’ des Jayhawks, l’un des disques où je retrouve le plus mon ADN musical. Au milieu des années 1990, une radio AAA de Chicago les jouait toute la journée. Je croyais qu’ils cartonnaie­nt, que toute l’Amérique aimait ça en même temps que moi. Et puis j’ai découvert que non, c’était loin d’être le cas.”

A la place d’un destin, semble alors se dessiner une fatalité. Pour les groupes de la fin du vingtième siècle, le succès était encore là, à portée de single, si ce n’est un objectif affiché, au moins une hypothèse, une éventualit­é. Mais leurs petits frères débutant après l’an 2000 comme

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