Rock & Folk

“Quand j’ai vu les réactions, j’ai eu l’impression d’un deuil national”

Hubert Blanc-Francard

-

ON N’AVAIT PAS VU ÇA DEPUIS… LE SPLIT DES BEATLES ? LA MORT DE JOHN LENNON ? L’annonce de la liquidatio­n de la petite entreprise Daft Punk (deux employés pour un bilan qui se chiffre en millions d’euros) a mis en transe les radios/ télés/ journaux, qui tous ont sorti les violons pour pleurer la disparitio­n du duo parigot.

Daft punky trash

Tout avait commencé… avec du rock. Basique, le genre prisé dans les années 1990 par les lycéens fans des Stooges ou du MC5. Celui-là même que Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, tous deux élèves du lycée Carnot à Paris, proposent avec leur premier groupe Darlin’. “Cindy So Loud” et “Darlin’ ”, deux titres sur le double 45-tours anglais “Shimmies In Super 8” sorti en avril 1993, au son genre bubble gum Ramones au ralenti. Laurent Brancowitz, futur Phoenix, est de l’aventure. Début de la légende : Dave Jennings, journalist­e au Melody Maker décédé en 2014, chronique le EP et réserve sa plume assassine à Darlin’, dont le titre “Cindy So Loud” est qualifié de “daft punky trash” (daube punkisante et débile), donnant sans le savoir un nouveau nom au trio devenu duo, Daft Punk.

On connaît la suite, mais il est toujours utile de rappeler quelques fondamenta­ux. “Le déclic, c’est Manchester. Inutile de chercher plus loin” déclarait Guy-Man à David Blot quelques semaines avant la sortie du premier album “Homework”, déflagrati­on spectacula­ire de beats filtrés, de vocaux robotisés et de mélodies liquides. Les excursions dans les clubs house, leur première rave à Beaubourg (soirée Soma, leur futur label) en novembre 1992, avec le regretté Andrew Weatherall en DJ, le frisson du boom boom beat. C’est la mort des guitares. “Da Funk” est le marchepied d’un destin planétaire, une mélodie “à la limite du stupide” (Guy-Man), un succès sans limite, lui, mondial, logiquemen­t suivi par “Around The World”.

Que faire de plus ?

Mais Daft Punk, ça n’était pas que Thomas et Guy-Man. Ce fut aussi, pendant douze ans, Pedro Winter, boss du label Ed Banger, qui de 1996 à 2008 managea le groupe. Pedro : “On s’est rencontré à Londres, au Ministry Of Sound, en 1995. Daft Punk jouait live, version home studio, des tonnes de machines sur scène, un vrai bordel. A la fin de leur set, je suis allé les voir : ‘Hey salut, vous êtes français, moi aussi’, on a trinqué au champagne. Nous nous sommes revus chez Radio FG, on participai­t à la même émission. Je venais annoncer ma première soirée aux Folies Pigalle, les Daft sortaient leur nouveau maxi sur Soma Recordings, “Da Funk”. Thomas portait un T-shirt Beastie Boys, nous ne nous sommes plus quittés.”

Peu évoquée dans les médias lors de l’annonce du split, la collaborat­ion de Thomas au single du 113 “113 Fout La Merde” en 2001 montre son intérêt pour le hip-hop français. La mise en contact s’était faite via DJ Mehdi, producteur du 113 et fan de Daft Punk. “Mehdi était pote avec Guy-Man et toute la bande, Jeff Dominguez aussi, qui mixait pour eux, la connexion s’est faite naturellem­ent”, se souvient le rappeur Rim-K. “On était des artistes un peu loufoques, on cherchait l’originalit­é. Quand Mehdi a appelé Thomas pour venir sur notre morceau, trois quarts d’heure après, il était avec nous au studio. Ça l’éclatait de s’inviter dans notre univers.”

La vidéo annonçant la séparation du duo a généré une furie médiatique, analysée par Pedro comme “proportion­née à la disproport­ion que chaque fait et geste de Daft Punk provoque”. Hubert Blanc-Francard, moitié de Cassius et producteur sous le nom de Boom Bass, a quant à lui apprécié les adieux du duo : “Leur clip, c’était plus amusant qu’un communiqué ! Quand j’ai vu les réactions, j’ai eu l’impression d’un deuil national. Ayant moi-même cinquante-trois ans, je les comprends, place aux jeunes. Et puis Daft Punk, c’est un nom lourd à porter. Leur carrière n’a été qu’une progressio­n vers le haut, leur dernier album a été leur plus gros succès, c’est le sommet du groupe, que faire de plus ?”

Les cyniques (et les optimistes) tablent sur un retour. Pedro Winter ne dit pas le contraire : “Comme le rappait LL Cool J dans ‘Mama Said Knock You Out’: ‘Don’t call it a comeback, I’ve been here for years’. Oui, Daft Punk s’arrête, mais je suis sûr qu’on entendra bientôt du Thomas Bangalter ou du Guy-Manuel de Homem-Christo dans nos stéréos.”

“S’il y a un autre Daft Punk l’année prochaine, très bien. On s’arrêtera quand on arrêtera de faire de la bonne musique”, affirmait Guy-Man au Melody Maker en 1997. Une prophétie qui rejoint finalement la prédiction de Pedro. A bientôt les Robots, et merci pour les travaux.

H

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France