Jay-Jay Johanson
“Rorschach Test” 29MUSIC
Le monde peut bien charrier des flots de rage et de misère, les gilets peuvent bien jaunir, l’odorat se perdre à jamais, les Chinois chauves peuvent bien manger des souris dysfonctionnelles sur le plan endocrinien, achetées sur des marchés honteux, il y a des choses et des gens qui ne changent pas. Ou n’évoluent qu’à leur manière et tracent leur chemin avec aisance, grâce, élégance. Jay-Jay Johanson est devenu si important dans le paysage de la chanson intelligente qu’à force, il peut rivaliser avec ses idoles. Pour écrire à son sujet en 2021, alors que paraît son treizième album studio, plus besoin de mitrailler des références : Portishead, Massive Attack, Chet Baker et Frank Sinatra, il en est désormais très loin. Jay-Jay évolue comme une planète à part dont il serait aussi les anneaux qui tournent autour. Sa voix de conteur ébréché et désabusé, ses accords mineurs vaporisés dans la réverbe, ses arrangements comme de la dentelle et ses mélodies plus européennes que lui ne le sera jamais, font encore mouche ici ; on se demande bien quel mélomane digne de ce nom aurait le toupet de ne pas donner sa langue aux charmes de “Romeo”, “Why Wait Until Tomorrow” ou cette “When Life Has Lost Its Meaning” : elle a des allures de constat fatal, mais le refrain, l’air de trois fois rien, est gorgé d’espoir. Car ceux qui ont toujours confondu trip-hop et triste pop doivent se rendre à l’évidence : sur des rythmes qui sont le seul trait d’union entre son présent et la décennie qui l’a vu naître sur le plan musical, Jay-Jay Johanson fait chalouper sa nature sentimentale, qu’il chante avec l’expérience d’un vieux briscard, après avoir regardé, avec des yeux d’enfant émerveillé, ce que nous sommes devenus (“Amen”). JJJ