Rock & Folk

“J’aimais tout : la voix, les paroles, le son, les compositio­ns”

The Modern Lovers

- Sanctuary/ BMG (Import Gibert Joseph) Antoine Masy-Perier NICOLAS UNGEMUTH

“THE MODERN LOVERS”

“Pour moi, c’était l’un des plus beaux

albums du monde, à l’époque où je n’en avais pas beaucoup plus qu’une dizaine. J’aimais tout : la voix, les paroles, le son, les compositio­ns. Jonathan Richman avait les cheveux courts alors que tout le monde avait les cheveux longs, il aimait la poésie, était excentriqu­e et sonnait comme personne. Je crois que j’en ai entendu parler dans Rock&Folk par Philippe Garnier en 1976. Je suis même allé le rencontrer durant un enregistre­ment pour l’émission Chorus, et nous avons bu une limonade. J’étais aux anges, c’était mon héros.” Ainsi parle Antoine MasyPerier du premier album de Jonathan Richman, alors qu’il ne s’appelait pas encore Tony Truant et n’avait pas encore rejoint ni les Gloires Locales, ni les Snipers, ni les Dogs et encore moins les Wampas. Il avait alors quatorze ans. “Ce disque a été énorme pour beaucoup d’entre nous, y compris pour Dominique (Laboubée, nda).” Son histoire est incroyable : assemblage de démos qui sonnent comme des chansons finies, produites par John Cale entre 1972 et 1973, l’album n’est sorti qu’en 1976 et est devenu aussi culte que le premier Ramones, bien que très différent. Richman était un fan du Velvet Undergroun­d, dont il était le groupie numéro un et avec qui il avait sympathisé à force de traîner à leurs concerts à Boston (au Boston Tea Party, plus exactement) alors qu’il était encore adolescent. Il vénérait aussi le premier album des Stooges, le doo wop et le rock’n’roll des années 50. Fin 1972, donc, son héros John Cale (ancien Velvet et producteur de “The Stooges”), désormais employé chez Warner, lui trouve un contrat pour son prestigieu­x label, et décide de s’occuper de son premier disque avec ses Modern Lovers. Mais Richman est un être à part : romantique, excentriqu­e, délicat, straight — il ne boit pas une goutte d’alcool et ne prend aucune drogue, ce qui n’est pas le cas de son producteur à cette époque —, il n’a aucune intention d’enregistre­r pour son premier album avec son groupe la somme de ses influences. Cale souhaite lui concocter un album malade et brutal, Richman refuse obstinémen­t. Ernie Brooks, bassiste des Modern Lovers qui a plus tard enregistré avec Tony Truant, l’a déclaré à Legs McNeil, coauteur de l’indispensa­ble “Please Kill Me” : “Jonathan ne jurait que par le premier Stooges, mais la musique que nous faisions n’avait strictemen­t rien à voir avec la leur.” On peut, en revanche, trouver des points communs avec le Velvet Undergroun­d de la période “I Can’t Stand It” ou “Foggy Notion”, alors disponible­s uniquement en pirate. Les guitares de Jonathan sonnent comme celles de Sterling Morrison, dont il est devenu l’ami. Le plus grand morceau en deux accords de l’histoire du rock (avec, coïncidenc­e, “Heroin”), “Roadrunner”, sonne comme un négatif optimiste et naïf de “Sister Ray” (trois accords), surtout via l’orgue de Jerry Harrison, futur Talking Heads (le batteur David Robinson rejoindra plus tard les Cars) : l’histoire d’un jeune homme qui prend la route en écoutant la radio AM à fond et explique sans la moindre ironie qu’il adore le “monde moderne”. “Pablo Picasso” repose quant à lui sur un seul accord, et sera repris en personne par John Cale sur son grandiose “Helen Of Troy”. L’album est hypnotique, répétitif, plein de petites guitares claires épileptiqu­es (entre Sterling Morrison et les futurs Feelies qui ont dû beaucoup l’écouter), de paroles d’une simplicité impeccable, avec cette diction et ce timbre parfaits. Mais l’enregistre­ment est un vrai bazar : Cale ne comprend pas les réticences de Richman, qui souhaite baisser le son et la distorsion (voir le deuxième album des Modern Lovers, avec un changement complet de personnel). La collaborat­ion s’arrête, le contrat avec Warner est annulé, le disque sortira des années plus tard (des versions seront réenregist­rées avec Kim Fowley à la production et une autre version de l’album sortira sous la bannière “The Original Modern Lovers” avec une pochette différente), sur le même label californie­n que ses amis les Rubinoos, Beserkley Records. C’est un classique instantané qui paraît avec trois ans de retard (plus fort que le dernier Big Star), très différent des albums de son temps (Patti Smith, Ramones, sans même parler de Fleetwood Mac ou Eagles), qui marque durement les esprits : même les Pistols reprendron­t “Roadrunner” avec un Johnny Rotten qui n’en connaissai­t pas les paroles, ce qui laisse supposer que l’idée venait de Glen Matlock ou de Steve Jones. On comprend pourquoi quarante-cinq ans après sa sortie, avec cette réédition basique mais qui sonne très bien, alors que “The Modern Lovers” était introuvabl­e en CD depuis un moment : c’est un chef-d’oeuvre pur et simple.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France