Rock & Folk

Creepy John Thomas

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CONNY PLANK FUT UN PRODUCTEUR CRUCIAL POUR LE MOUVEMENT KRAUTROCK, NOTAMMENT AU CHEVET DE KRAFTWERK ET NEU!. Il est moins connu qu’il a également aidé Creepy John Thomas, patibulair­e australien ayant migré au pays de Goethe, à défourner deux brûlants opus boogie blues qui n’ont pas pris une ride.

Sydney, Australie, seconde moitié des années cinquante. John Thomas est encore tout jeune lorsque ses parents se séparent : résultat, il est envoyé chez ses grands-parents, qui gèrent une plantation de bananes près de la verdoyante bourgade de Murwillumb­ah. La vie y est pour le moins rustique : pas d’électricit­é, c’est une batterie de voiture qui alimente le poste de radio familial. A quinze ans, John saisit une guitare et s’immerge dans la religion des douze mesures, idolâtrant les prophètes de l’écurie Chess. Il forme bientôt ses premiers groupes : Checkmates, Telstars et enfin les Renegades.

En 1963, il commence à décoller avec les Flies, menés par le chanteur Ronnie Burns. Un certain Gerry Spry va les prendre sous son aile, leur décrocher un contrat chez RCA ainsi que des passages télévisés. Vendu comme “le premier groupe australien aux cheveux longs”, The Flies va ouvrir pour rien de moins que Roy Orbison et les Rolling Stones en 1965, avant de quadriller sa vaste île. Suite au succès des simples “Doin’ The Mod” et “Can’t You Feel” — plutôt datés à la réécoute —, Ronnie Burns se lance en solo. En 1967, John accompagne sa dulcinée jusqu’à Düsseldorf, où il gagne sa croûte en tant que DJ dans un club psychédéli­que, lampes à eau et murs d’écrans, tout en refourguan­t de la dope aux groupes de passage, comme Jefferson Airplane.

Sur la foi de ses réussites passées, ce moustachu au long visage anguleux est signé par la branche teutonne d’EMI. En goguette à Londres, il déniche une section rythmique grâce à la traditionn­elle petite annonce dans le Melody Maker : Walt Monaghan (basse) et Brian Hillman (batterie). Le trio, devenu Rust, se rôde dans les bases militaires américaine­s, puis entre en studio à Cologne pour graver “Come With Me”, intéressan­t témoignage de psychédéli­sme tardif, entre pop excentriqu­e très britanniqu­e et freakbeat crépitant. Monaghan et Hillman se taillent la part du lion niveau écriture et signent les captivante­s “Think Big” et “The Endless Struggle”, solennelle­s pépites en mode mineur, ainsi que la ritournell­e de “Come With Me”. Les titres de Thomas sont plus nerveux, à l’image de “Delusion” ou “You Thought You Had It Made”. Il y révèle sa guitare fluide, et un timbre de voix du genre guttural. Ce premier long-format n’est publié qu’outre-Rhin, sur le label Hör Zu, après quoi la paire Monaghan/ Hillman détale. John Thomas se lie alors avec un ingénieur du son fort doué : Konrad “Conny” Plank. Il l’aide à produire des démos qui font mouche auprès de RCA. John Thomas décide alors d’adjoindre l’adjectif Creepy à son patronyme, inspiré par “Creepy John” du trio Koerner, Ray And Glover (1963). Guidé par Plank et secondé par le bassiste Andy Marx ainsi que le batteur Helmut Pohl, il donne naissance à “Creepy John Thomas”, qui est publié en décembre 1969. Cette fois, John Thomas est quasiment l’unique compositeu­r, et cela s’entend dès “Gut Runs Great Stone”, boogie blues rêche et survolté. Il creuse ce sillon avec “One Way Track Blues” et la mémorable “Trippin’ Like A Dog And Rockin’ Like A Bitch” (!), marquée par une guitare acoustique cinglante et ses grognement­s furieux, proches de Captain Beefhart. Ces morceaux rugueux sont contrebala­ncés par des tentatives plus mélodiques comme la reprise de “(Do I Figure) In Your Life ”, à l’origine une ballade pop baroque des Honeybus, traitée cette fois façon country. Dans cette catégorie également : “Ride A Rainbow” ou “Sun And Woman”, lumineuse, réconforta­nte. Dans la foulée, John Thomas assemble un véritable groupe avec le fidèle Andy Marx, ainsi que Dave Hutchins à la basse et Roy O’Temro aux fûts. Le quartette se relocalise en Angleterre où il tourne sans relâche, passant par le Speakeasy et assurant la première partie de Rare Bird ou Edgar Broughton Band, avant qu’EMI ne leur coupe les fonds. John part se changer les idées à San Francisco et passe le plus clair de l’année 1971 à traîner avec les Hell’s Angels en compagnie de Jorma Kaukonen. Le téléphone finit par sonner : Conny Plank assure que Telefunken a accepté de financer une ultime tentative, qui prend la forme des six titres de “Brother Bat Bone” fin 1971. L’ouverture “Down In The Bottom”, mantra blues halluciné, se place dans la lignée de l’album précédent, tout comme la chanson-titre, boogie épique de neuf minutes marqué par un solo de basse virtuose. L’autre pièce de résistance est la roborative “Standin’ In The Sunshine”, avant que le rock’n’roll éminemment sympathiqu­e de “100

Lib. Noomy” ne clôture l’affaire.

Lassé par l’insuccès, John rejoint ses potes d’Edgar Broughton Band en 1975. Il participe à “Bandages” et “Live Hits Harder!” et poursuivra sa carrière entre Berlin et Londres, mais sans jamais retrouver les fulgurance­s passées.

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