Malcolm & Marie
DE SAM LEVINSON
Fils de Barry Levinson (réalisateur de “Rain Man” et “Good Morning Vietnam”),
Sam Levinson a commencé sa carrière comme pseudo-acteur en apparaissant brièvement dans quelques films de son géniteur. Un job qui, visiblement ne lui convenait guère. Etre derrière la caméra comme papa semble être en fait sa vraie destinée. Ainsi, en 2011, il s’attaque à son premier long, “Another Happy Day”, petit film indépendant sur les fêlures d’une famille dysfonctionnelle. Levinson Jr semble déjà y avoir trouvé son style fait de férocité sociale, d’humour noir et d’hystérie collective. Soit l’Amérique vu par le petit bout d’une lorgnette gentiment cynique. Mais c’est surtout avec son film suivant, tourné six ans plus tard, qu’il électrise son monde. Teen movie aussi badass que malpoli, “Assassination Nation” rentre également dans le lard d’une partie de l’Amérique d’aujourd’hui. Celle des selfies obscènes, des sextos trashs, et du piratage de réseaux sociaux qui amène une ville entière à une guerre civile improvisée. Avec, au passage, du militantisme LGBT et du pro-féminisme destroy. Sam Levinson est donc bel et bien dans l’air de son temps, bien éloigné, pour le coup, des films plus posés de son père. La consécration mondiale, il la trouve en 2019 en initiant l’incroyable série HBO “Euphoria”, véritable descente aux enfers d’une jeunesse névrosée en perte de repère et accro au sexe, à la drogue et aux réseaux sociaux. Une série boostée par une réalisation psychotropique dont le visuel évoque, dans des copier-coller de plans volontairement référentiels, les plus grands cinéastes rock contemporains. Du Scorsese de “Taxi Driver” au Tarantino de “Pulp Fiction” en passant par le Gaspar Noé d’ “Enter The Void”. Mais s’il y a un atout coeur qui compte beaucoup dans la force sentimentalodestructrice d’ “Euphoria”, c’est bien son incroyable (anti-)héroïne interprétée par l’hypnotisante Zendaya. Révélée du temps de son adolescence dans une série pour Disney Chanel, Zendaya est vite devenue une icône totale en cumulant les jobs avec succès. De mannequin à actrice en passant par chanteuse et productrice, elle finit par briser son statut de petite fiancée de l’Amérique proprette en s’émancipant façon kamikaze dans “Euphoria”, où elle synthétise à elle seule la jeunesse désoeuvrée. Ce qui lui vaut un ultra-mérité prix de la meilleure actrice aux Emmy Awards 2020. Comme Tom Cruise, Zendaya peut maintenant initier ses propres projets. Dont “Malcolm & Marie”, fabriqué à la hâte pendant le confinement alors que le tournage de la saison 2 d’ “Euphoria” est stoppé pour cause de Covid. Elle retrouve donc son cher Sam Levinson, qui est pour elle ce que Zulawski fut pour Sophie Marceau ou Josef Von Sternberg pour Marlène Dietrich : une muse, une actrice fétiche, une inspiratrice. Le pitch, simpliste, pourrait presque faire peur : une crise de couple dans une maison luxueuse avec engueulades, tension, pause, re-engueulades et réconciliation. Entre amour et haine. Enfer et paradis. Un huis clos à deux personnages shooté en à peine quinze jours en début d’été dernier. Vu le projet, “Malcolm & Marie” pourrait être redondant façon film français (ces films de règlements de compte familiaux ou amoureux dans un deux-pièces cuisine). Sauf que Sam Levinson enrobe cette longue confrontation par des plans en noir et blanc magnifiquement contrastés et des travellings majestueux qui retiennent toujours l’attention. Mais aussi grâce à la performance franchement hallucinante de Zendaya qui arrive à être à la fois craquante et détestable, paumée et forte, raisonnée et de mauvaise foi. Son amant, joué par John David Washington (le fils aîné de Denzel) n’est pas en reste. Bien moins amorphe que dans le compliqué “Tenet” de Christopher Nolan qui l’a révélé au monde entier l’année dernière, il donne la réplique à Zendaya en essayant de comprendre (avec tact puis énervement) tous les regrets et autres reproches bien enfouis de sa compagne. Les dialogues, nombreux mais brillants, résonnent alors comme un grand voyage intérieur dans la psyché humaine. Où chaque mot prononcé peut changer une relation amoureuse pour le meilleur et pour le pire. Puis de nouveau pour le meilleur. Puis une fois de plus pour le pire... (en diffusion sur Netflix).