PEU DE GENS LE SAVENT
MON MOIS A MOI
“MLK Dr” par Smino, “Fancy” par Amaarae, “Action” par Chai, “A Hero’s Death” de Fontaines D.C. (merci Cyril) : il y a de l’espoir.
Obsèques de Daft Punk : pas grand-chose d’intéressant dans la presse. Ces types débordent d’intelligence et de gentillesse et ils n’ont toujours suscité que des papiers idiots et snobs, comme Prince à son apogée. Le mystère de cette fin en eau de boudin provoque des conjectures du même tonneau que la hernie discale de Johnny, il ne manque que le défilé de livreurs Planète Sushi ou de Ferrari 400 sur les Champs. Giscard, inhumé à la sauvette comme un vagabond, n’en a pas eu autant. Guillaume
Fédou : “Enterrés de leur vivant. Qui n’en a pas rêvé ? Voir défiler les hommages, les RIP, les smileys qui pleurent, la une de Libé à votre propos tout en allant acheter une baguette au coin de la rue ? Tout cet amour digital sans que personne – ou presque – ne vous reconnaisse ? Expérience proprement surréaliste, comme cette blague qui circulait pendant leur tournée ‘Alive’ où, paraît-il, ils s’amusaient à placer des gens de confiance à l’intérieur des robots pour aller assister, dans la foule, à leur propre concert comme des milliers d’inconnus ? Ou cette histoire relatée dans le film ‘Eden’ au cours de laquelle nos deux rockers introvertis avaient du mal à entrer dans des discothèques qui allaient bientôt bastonner leurs tubes ! A l’heure où tout le monde est masqué, nos deux héros quadragénaires tombent le casque. Pourquoi avoir tout misé sur la disparition et la rareté bien avant que n’ait sonné l’heure d’Instagram et des perches à selfie ?”
Le plus bel éloge est ailleurs : “Bientôt, rien n’interdira aux ordinateurs de produire des titres inédits de n’importe quel artiste. Le jour où les machines pourront faire chanter les morts approche.” Olivier Richard dans Libération, à propos du projet OpenAI,
d’Elon Musk. “A 9 500 kilomètres de San Francisco, à Pékin, on a pris le problème à l’envers : au lieu de fabriquer des avatars de voix, le site de partage de vidéos iQIYI a créé l’évènement en mettant en ligne Dimension Nova, un télécrochet dont tous les candidats sont virtuels. Seules les voix de ces avatars étaient humaines. Pour combien de temps ?” Alors faut-il parler ici des Victoires de la Musique ? Cette cérémonie funèbre, aussi spontanée qu’une élection du Politburo, n’a jamais fait beaucoup de place à la musique, au rock (et encore, toujours du rock bourrin) et aux autres genres minoritaires. La première Victoire est souvent la dernière, tant certains engouements sont temporaires. Chaque année, l’organisation du scrutin, entre le conclave et le Comité Miss France, modifie les catégories en fonction des artistes en voie de développement que les grands habiles de la profession (certains gros zindés, particulièrement) souhaitent pousser. Cette farce a au moins le mérite de susciter des textes rafraîchissants, comme celui qu’a publié Marianne sur son site (“Victoires de la musique : Le bal des Nazes”,
par Anthony Cortes et Louis Nadau), qui souligne justement le côté avatar (de Barbara, Bashung, Daho, etc.) de certains lauréats, ou l’humour involontaire de ce chapô du Figaro : “L’émission est diffusée pour la première fois sans public. Avec l’ambition
de coller enfin à son époque.” Elle permet également de découvrir, à travers les nouveaux profils qu’elle sacre, des personnages carrément divertissants, telle l’Agenaise Yseult et ses proclamations fracassantes. Coiffée comme un oreiller de voyage (je ne fais jamais de remarque sur le physique ou le look mais cet attribut semble important dans sa démarche artistique), ce clone triste de la grande Lizzo, qui débite tous les poncifs démagos du moment, ferait presque regretter le coup de sang jeuniste de Balavoine face à Mitterrand en 1980. La romancière Nathalie Bianco : “Ça fait trois fois que je vois la chanteuse Yseult à la TV et à chaque fois, elle me fait penser à ces gens en soirée, complètement bourrés, qui vous harponnent et ne vous lâchent plus. La plupart du temps, ils vous parlent juste sous le nez en tenant des propos incohérents à propos d’un sujet qui a l’air de les mettre très en colère mais auxquels nous, on ne comprend rien.” Il serait assez tentant d’organiser une célébration concurrente le même soir, qui associerait tous les styles et générations. On pourrait vraiment faire un truc éclatant, mais j’ai bien peur que rapidement ça s’institutionnalise, et que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Soit il s’agit de couronner le succès, mais les disques d’or sont déjà là pour ça, soit c’est plus subjectif et c’est la porte ouverte aux grenouillages.
“On ne fait pas toujours ce que l’on veut, mais il
faut toujours vouloir ce que l’on fait”, Frédéric Rebet, “Propos D’Un Aspirant Gentleman” (Les Editions de l’Opportun, 12,90 €). Je n’ai jamais rien fait avec Rebet, un des directeurs artistiques les plus courtois et sympathiques de cette industrie, mais j’aurais bien voulu. Comment des types aimables comme lui sontils devenus l’exception dans un milieu qui s’est globalement beaufisé à partir des années 80 ? La littérature a aussi ses faux enfants terribles, faux rockers, faux insolents, mais il suffit de passer un moment avec Maurizio Serra pour respirer un autre air. Avec Pierre-Guillaume de Roux aussi. Sa maison d’édition allait fermer, il vient de mourir. Michel Crépu, dans Libération : “Christian Bourgois, le vieil ami, avait coutume de dire : ‘Editer, c’est publier des auteurs que les gens n’ont pas envie
de lire.’ On peut dire que Pierre-Guillaume
aura passé son temps à ça.” On n’a jamais autant gerbé sur l’industrie du disque, et pourtant nous rêvons encore que quelqu’un écoute nos morceaux et dise : “On y va.” Tous les jours, je dois dire : “On n’y va pas” à des artistes et des projets remarquables, et ça me pèse. Publier des disques que les gens n’ont pas envie d’entendre, ce n’est pas toujours un choix, mais c’est parfois une nécessité.