Rock & Folk

Grand corps malade

- VINCENT TANNIèRES

One, two, three, four : les Ramones n’aimaient pas l’école.

Ils ne savaient compter que jusqu’à quatre. Les Ramones n’aimaient que la ville. Acier, béton et briques comme terrain de jeu. Le métro parfois. Les Ramones étaient urbains, certaines de leurs pochettes le montrent. Les Ramones aimaient tout ce qui était mauvais pour la santé. La défonce de rue et les alcools bon marché. L’inverse également. Les Ramones portaient des baskets, mais jamais pour faire du sport. Les Ramones s’habillaien­t à l’identique, similitude de tenues qui pouvait faire penser aux Beatles des débuts mais également aux frères Dalton où, dans le cas des New-Yorkais, le plus grand n’était pas le plus bête, ni le plus méchant...

Jeffrey Ross Hyman est mort il y a vingt ans. On l’appelait Joey.

Trop grand. Désarticul­é. Perturbé. Enfant à problèmes. Adolescent délinquant. Hippie puis glam. Maquillé et déguisé à l’arrache pour planquer une enfance bancale. Un physique à mal finir dans un slasher. Récitant peut-être l’alphabet en rotant… Riant d’un rire inadéquat. Monstre malgré lui. Geek. Dévorant des nuits entières des comics. Laissant les draps poisseux en rêvant peut-être à la blonde Reine de la Jungle. Sheena. Jusqu’à ces matins où ouvrir les rideaux est un supplice, où le soleil est une torture, et les amertumes sur le temps gâché, violentes comme une descente d’amphétamin­es. Le malheur gris. La saleté. Le pourri. Les commissure­s des lèvres blanches.

Des lèvres épaisses, mais pas sexy comme celles de qui l’on sait. L’intolérabl­e douleur de ses membres démesurés. Les troubles obsessionn­els qui en demandent toujours davantage. Ouvrir et refermer des portes à l’infini... Très loin, certaineme­nt, de l’image que les autres ont de lui et que les Anglais intellectu­aliseront, si l’on peut dire ça, pour en faire un art. Celui du punk. Avec Joey comme roi. En était-il conscient ? Il faisait ça en malade, question de survie. Soigner la névrose en moins de deux minutes. Calmer les souffrance­s. Sorte de revanche innée sur la violence de la nature qui l’avait fait différent. Homme-girafe. Les moqueries des enfants méchants tirant la manche de leur mère au passage de ce géant de verre. Et pourquoi ce si grand corps pour ne pas être basketteur au pays de la NBA ? Les cuirs trop petits et les t-shirts trop courts n’étaient pas une pose pour Jeffrey. Non. Un type à finir dans les ordures comme Orson Welles dans

“La Soif Du Mal”, sauf que sa musique, primaire comme les trois couleurs qui font toutes les autres, a décidé d’une autre chose pour lui.

Son nom est aujourd’hui un lieu à New York et les hippies ont gagné. Le mur de briques est désormais vide.

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