Rhiannon Giddens
“They’re Calling Me Home”
Au temps où les soirées n’étaient pas un acte illégal réservé aux ministres et aux stars de télé-réalité, Rhiannon Giddens et Francesco Turrisi étaient en apparence le couple dont il faut éviter la conversation dans la pièce : lui collectionne les tambours à cadre et autres percussions traditionnelles italiennes, elle est l’Américaine capable de parler pendant des heures des enjeux culturels du banjo, instrument d’émancipation des esclaves noirs avant d’être annexé par le bluegrass et ses bouseux édentés. Mais c’est que ces deux musicologues (et elle a, en plus, une formation de chanteuse d’opéra) sont tout sauf pédants. Quand Rhiannon Giddens reprend un hymne dont on connaît pourtant des dizaines de variations, comme “Amazing Grace” ou “I Shall Not Be Moved”, c’est comme si elle en faisait tomber le vernis et la poussière. Epaulée par quelques accords de banjo ou d’accordéon (et ces fichues percussions folkloriques), elle n’essaye pas de reconstituer vainement les arrangements d’époque. D’une voix incroyablement puissante et précise, elle retrouve toute la force, voire la violence, que ces chansons d’un autre âge pouvaient avoir à l’origine, elle en recrée l’esprit, enfoui sous des siècles de tradition. “They’re Calling Me Home”, enregistré en Irlande en une semaine au début de la pandémie, n’a peut-être pas l’ampleur de son prédécesseur, “There Is No Other”, produit par Joe Henry. Il y a un ou deux instrumentaux sympathiques sans être essentiels, quelques traces de joliesse. Mais l’isolement, avec tout le sentiment de nostalgie qu’il peut susciter, contribue aussi à de belles fulgurances et aux charmes un rien morbides de cet album. ✪✪✪1/2