Rock & Folk

Inutile de s’enfiler une pipe à eau pour apprécier

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Charles De Goal “ALGORYTHME­S”

May I Records

En France aussi, rapidement, des musiciens ont décidé de ne pas singer le punk originel. Il y eut Marquis de Sade, Taxi-Girl, et plus tard Kas Product. Entre les trois, un Martien : Charles De Goal, alias Patrick Blain. “Algorythme­s” (avec un y) est sorti en 1980 et a été le tout premier album réalisé pour New Rose, même s’il est sorti après l’album des Saints, plus connus. C’est un OVNI glacial, nettement plus radical que les oeuvres de Marquis de Sade et de Taxi-Girl. La pochette est superbe, le contenu parfaiteme­nt inclassabl­e. Batterie raide, guitares au scalpel, un peu de synthé brutal ou plus soft façon Kraftwerk, on discerne une légère influence Métal Urbain, voire Cabaret Voltaire. Le tout a été réalisé avec des bouts de ficelle, ici et là, en quatre, seize et vingtquatr­e pistes, est devenu très culte et était vraiment précurseur. Le dénommé Patrick Blain avait l’air très énervé. L’album ressort en CD avec un son splendide et une dizaine de bonus, dont une reprise étonnante de “You Really Got Me”, sachant que l’album proposait déjà une très vivace et innovante version de “Suffragett­e City”. Très beau travail.

“PATTERNS ON THE WINDOW – THE BRITISH PROGRESSIV­E POP SOUNDS OF 1974”

Grapefruit/ Cherry Red (Import Gibert Joseph)

Bon, alors, c’est assez bien connu : l’année 1974 n’est pas franchemen­t restée dans les annales. A priori, le titre de ce coffret (trois CD, comme c’est l’habitude chez Cherry Red) est parfaiteme­nt ridicule : il n’y a rien de progressif là-dedans, et pas grand-chose de pop. En revanche, pour les apprentis historiens estimant que le millésime en question était bouchonné, qu’ils comparent avec nos vingt dernières années, on va bien s’amuser. Le premier CD ouvre le bal avec la reprise du classique mod “The ‘In’ Crowd” par Bryan Ferry (lui-même ancien mod) qui, comme Bowie avec “Pin Ups”, rend hommage aux sixties. Suivent en vrac, les Sparks (“Hasta Manana Monsieur”), John Cale (“The Man Who Couldn’t Afford To Orgy”, grandiose comme tout ce qu’il a fait durant cette décennie), Slade, l’ancien héros des mods Georgie Fame, très en forme sur “Everlovin’ Woman”, Richard et Linda Thompson (“When I Get To The Border”, classique parmi les classiques), Cockney Rebel, Be Bop Deluxe, Ronnie Lane (“The Poacher”, à pleurer), Rod Stewart (“Farewell”, le seul grand morceau de son dernier album écoutable, “Smiler”), Ron Wood avec les Rolling Stones (“I Can Feel The Fire”, juste avant son embauche), T.Rex, The Sensationa­l Alex Harvey Band, mais aussi Roxy Music, Kilburn And The High Roads avec Ian Dury, et enfin des machins un peu moins recommanda­bles comme Status Quo, UFO, Nazareth ou Unicorn. Et puis, le rock’n’roll est de retour cette même année 1974 : Dave Edmunds, Brinsley Schwars avec Lick Lowe. Soudain, la révolution : “Roxette”, de Dr Feelgood (qui rend le titre de ce coffret encore plus incompréhe­nsible). Après cela, le monde allait changer. 1974, année pourrie pour la musique ? Et 2024 ? Et 2014 ?

“I SEE YOU LIVE ON LOVE STREET – MUSIC FROM LAUREL CANYON 1967-1975”

Grapefruit/ Cherry Red (Import Gibert Joseph)

Dès 1966, 1967, Londres n’est plus l’épicentre de la révolution nucléaire de la pop. Tout, désormais, se passe en Californie. Au nord, à San Francisco (Grateful Dead, Jefferson Airplane, Quicksilve­r Messenger Service, Moby Grape, It’s A Beautiful Day), c’est l’expériment­ation hippie, les sandales, voire les pieds nus, les solos de guitare interminab­les. Au sud, à Los Angeles, c’est les tubes à foison, déjà concentrés sur le petit frère de cette anthologie, le formidable “Heroes And Villains: The Sound Of Los Angeles 19651968” : Byrds, Love, Spirit, etc. Pour ce nouveau projet tout aussi intéressan­t de trois CD bien tassés, le thème est la région de Laurel Canyon (et de Topanga Canyon), véritable havre pour les musiciens déjà reconnus. Tous les ténors du moment sont partis y habiter à un moment ou un autre. Il y avait de l’espace, des collines, des cactus et de l’eucalyptus, les locations ne coûtaient pas trop cher, et la plupart des musiciens y vivaient ensemble dans une seule et même maison où ils pouvaient répéter. Entre 1967 et 1975, la période couverte par cette anthologie, forcément, les choses ont changé. Au début, on note des harmonies vocales délicieuse­s. L’euphorie évoque celle du Swinging London. Les Byrds avaient pavé la voie, les Mamas et les Papas ont lancé une euphorie qu’on surnomme désormais, faute de mieux, sunshine pop. On y retrouve The Associatio­n, Barry McGuire, les fameux mamans et papas, The Peanut Butter Conspiracy, The Millenium (culte), The Factory, les Leaves, les Doors (“Love Street”, l’un de leurs plus beaux morceaux avec “Wintertime Love”), mais aussi Buffalo Springfiel­d, un titre mortel tiré du premier album de Captain Beefheart avec Ry Cooder à la guitare (“Call On Me”),

Dillard And Clark, et, à la fin, Judy Collins. Les temps étaient en train de changer pour reprendre l’autre. Cette béatitude pop allait progressiv­ement disparaîtr­e. Peu à peu, le folk, le retour aux sources, comme la perfusion à la country, allaient apparaître. D’où Judy Collins, comme un double de Joni Mitchell (absente du coffret pour des raisons de droits), les Flying Burrito Brothers, Rick (ex-Ricky) Nelson, Poco, Judee Sill, Rita Coolidge (madame Kristoffer­son) ou des trucs franchemen­t hippies comme Stephen Stills (“Love The One You’re With”) ou David Crosby (“Traction In The Rain”, extrait de “If I Could Only Remember My Name”), qui peuvent ne pas plaire à tout le monde tant leur naïveté semble aujourd’hui à la limite de la niaiserie. Après, défilent dans le désordre, Frank Zappa (“Peaches En Regalia”, insupporta­ble), Gene Clark, Warren Zevon, Canned Heat, Steppenwol­f, Little Feat, Gram Parsons en solo, Harry Nilsson, tous impeccable­s, et des bricoles sujettes à caution comme Grin, Fleetwood Mac, Kenny Loggins, et des choses extraordin­aires mais plus mainstream (Jimmy Webb, ainsi que son interprète de prédilecti­on, Glen Campbell).

Le résultat est assez sensationn­el, d’autant que les coffrets Grapefruit proposent un son parfait et des livrets très instructif­s. Inutile de s’enfiler une pipe à eau pour apprécier tout cela.

Benny Joy “ROCKS”

Bear Family (Import Gibert Joseph)

Celui-ci, il faut bien admettre qu’on n’en avait jamais entendu parler. Benny Joy, venu de Floride, bien que né en Géorgie d’une famille d’émigrés allemands, a enregistré certains des trucs les plus fascinants du rock’n’roll originel à la fin des fifties. Il a commencé avec du pur rockabilly (“Crash The Party”, quel titre), puis a ouvert, comme disent les prétentieu­x, “le champ des possibles”. Sur certains morceaux, il invente en direct les Cramps (“Money Money”, sous le pseudonyme de Big John Taylor, ou plus encore “Hey’… High School Baby”, que, paraît-il, les nazes du psychobill­y vénéraient, comme quoi il leur arrivait d’avoir bon goût), sur d’autres, il imite Johnny Cash à la perfection, ailleurs, il joue sur le territoire de Buddy Holly (“Ittie Bittie Everything”) en version dynamitée. Il avait une sacrée bonne voix et un bon groupe. On ne remerciera jamais assez les Allemands de Bear Family pour exhumer de si belle façon (livret, remasteris­ation) pareils trésors. Avec ça, trente morceaux en tout.

Blue Orchids “THE GREATEST HIT (MONEY MOUNTAIN) ”

Tiny Global (Import Gibert Joseph)

C’est le genre de groupe que les “Inrockupti­bles” vendaient comme de l’or en barre. Voici qu’une sorte de best of apparaît. Le bazar a été monté à Manchester par l’un des mille musiciens à avoir été virés de The Fall par Mark E Smith. Qu’en reste-t-il ? De la pop indé pour jeunes gandins en anorak ou duffle-coat. On exagère un peu : il y a de bonnes choses (“Dumb Magician”, “Hanging Man”, comme du Paisley Undergroun­d mais avec un chanteur raté) et le groupe a accompagné Nico durant ses tournées très chaotiques alors qu’elle habitait la même ville. Ce n’est pas nul : c’est quelconque.

Kay Adams “LITTLE PINK MACK”

Sundazed (Import Gibert Joseph)

Autre surprise du mois : Sundazed révèle l’existence de Kay Adams. Découverte par Buck Owens, cette émigrée à Bakersfiel­d a bénéficié, grâce à Owens, de l’accompagne­ment terrible des Buckaroos. Rappelons que Owens et ses Buckaroos, dont le guitariste killer Don Rich faisait des miracles à la Telecaster, sans parler d’un joueur de pedal steel méga doué, proposaien­t une sorte d’antithèse du son de Nashville de l’époque (les violons, Chet Atkins, etc.), soit quelque chose d’assez proche du rock’n’roll de la même époque. Sundazed n’ayant pu récupérer les masters des rares albums de la dame très douée, le label sort ces enregistre­ments captés dans le ranch d’Owens. Le groupe joue tellement bien, tout est aussi parfait qu’on jurerait des titres officiels. Merveille de country très sérieuse.

“ATLANTA HOTBED OF 70S SOUL”

Kent (Import Gibert Joseph)

L’histoire est amusante, un criminel notoire ayant prospéré dans la pornograph­ie a enregistré la crème de la soul d’Atlanta. Avec son pognon, il disposait d’un studio haut de gamme, et de la population noire locale du début des seventies qui ne manquait pas de grands chanteurs comme de chanteuses. Pour compléter le tout, il avait quelques compositio­ns signées par le ténor Sam Dees. Kent, maison de la soul depuis des lustres, sort des morceaux majoritair­ement inédits du label tenu par Michael Davis, General Recording Company (GRC). De la soul, donc, souvent super suave et divinement chantée, parfois sérieuseme­nt funky, avec de super arrangemen­ts (“Paper Man”, par Alpaca Phase III). Réellement, le label avait des pépites mais n’a jamais réussi à percer. Michael Davis s’est retrouvé incarcéré, son écurie orpheline, et par conséquent au chômage. Le temps que ça a duré, c’était formidable. Qu’il existe encore, en 2024, des labels capables de sortir ce genre de choses tient du miracle.

The Hellacopte­rs “GRANDE ROCK REVISITED”

Nuclear Blast (Import Gibert Joseph)

Les Hellacopte­rs étaient vénérés par deux journalist­es qui manquent cruellemen­t à Rock&Folk car disparus trop tôt : Cyril Deluermoz et Vincent Hanon. Lorsqu’on connaissai­t leurs goûts, ce n’est pas très étonnant : ces Suédois adoraient de toute évidence les MC5 en particulie­r, et les Stooges en plus. Cet album initialeme­nt sorti en 1999 ressort en version remasteris­ée d’un côté, et entièremen­t revisitée sur un autre. On l’écoute en pensant aux deux disparus mentionnés plus haut, mais un constat s’impose : les bonnes intentions et le bon goût ne débouchent pas forcément sur les plus grands disques. Néanmoins, la haute énergie est bien au rendez-vous. ■

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