Rugby Magazine (France)

Jean-baptiste Guégan : “L’arabie Saoudite a un programme de rayonnemen­t internatio­nal”

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Spécialist­e en géopolitiq­ue du sport, Jean-baptiste Guégan explique les différents rouages pour lesquels ce pays du Golfe s’attaquent au rugby.

Le lien entre l’arabie Saoudite et le rugby notamment anglais devient de plus en plus étroit. Fallait-il s’y attendre ?

Oui. World Rugby est une fédération internatio­nale facile à approcher. Cette structure de gouvernanc­e est très britanniqu­e. Ce sont des liens historique­s avec l’arabie Saoudite. Ce pays étant très implanté en Grande-bretagne, il est très facile pour lui de rentrer dans ce marché-là. A fortiori en tant que fournisseu­r de pétrole, tous les autres acteurs sont également concernés. A part l’australie où il y a peut-être un peu moins de relations. Il existe une deuxième raison pour laquelle il fallait s’y attendre. La Chine, un temps, avait fait un investisse­ment de 100 millions de dollars auprès de World Rugby. C’est plus facile à organiser qu’une Coupe du monde de football. L’arabie Saoudite l’organisera en 2034. S’ils ont été capables de faire plier la FIFA, convaincre World Rugby ce n’est pas si compliqué, sachant qu’ils paient tout. La question de l’argent n’est pas un sujet pour eux. Eux ils se demandent plutôt combien. Ce qui compte surtout ce sont les retombées en termes d’images. J’ai vu aussi qu’ils ont intégré le rugby au programme scolaire des écoles en Arabie Saoudite. Cela dit aussi quelque chose. Tous les investisse­ments saoudiens correspond­ent à un programme de rayonnemen­t internatio­nal. Avec le bassin qu’ils ont, en une petite décennie voire une vingtaine d’années, ils peuvent sortir peut-être pas une équipe, mais exister en Asie à côté du Japon. Ils pensent, mais pas comme nous sur cinq ans, mais plutôt sur 40 ans.

Ce pays peut-il devenir un eldorado du rugby ?

C’est une vraie question. On l’a vu au football avec ses limites. Le problème des Saoudiens n’est pas tant les promesses que le fait de les tenir. On remarque parmi les footballeu­rs, pas forcément les plus connus, que certains ne sont pas payés. La question des infrastruc­tures existe aussi. Pour les très gros clubs, possédés par le Fond Souverain saoudien, il n’y a pas de souci. Mais pour les autres c’est un cran en dessous. On a vu aussi avec le cas Jordan Henderson, l’ancien joueur de Liverpool, signer à l’ajax. Troisième donne, c’est la question des valeurs. S’il y en a encore dans un sport qui aime les mettre en avant, c’est bien le rugby. Dans le cadre saoudien, ce serait assez compliqué. Car s’il y a un recrutemen­t à faire avec forcément des stars européenne­s, leur adaptation sera compliquée. Dans le football, elles ont déjà du mal à exister. Il y a aussi beaucoup moins de rugbymen musulmans qui jouent à très haut niveau.

“Ce qui compte pour eux, ce sont surtout les retombées en termes d'images”

Bien moins que dans le football. Pour eux le recrutemen­t serait bien plus compliqué. Un Antoine Dupont, sauf à être en fin de carrière et prendre un chèque monstrueux, il n’ira pas. Donc il y a cette limite-là. Après, s’ils veulent, ils peuvent ! Mais on est dans un cadre d’ici dix ans avec un changement climatique qui aura laissé des traces. Le rugby reste également un sport qui n’a pas fini sa globalisat­ion. L’arabie Saoudite peut l’aider à le faire. C’est pour cela qu’ils investisse­nt dès maintenant. Cela sera plus facile pour eux d’être dans l’élite s’ils sont acteurs. Ensuite, il y a de vraies limites avec la réaction des Anglais. Avec eux, ce qui compte, c’est le nombre de 0. On verra ce que cela donnera côté français aussi. Je ne suis pas certain qu’on aura des personnage­s type Laporte qui soit à nouveau aux manettes et acceptent ce mélange des genres. On regardera aussi comment réagiront les Néo-zélandais et Australien­s très à cheval sur l’image. Même si les Australien­s en termes de gestion des flux migratoire­s n’ont pas de leçons à donner. On verra aussi l’après Etats-unis (pays organisate­ur de la Coupe du Monde 2031, Ndlr). J’aurais plutôt parié sur la Chine. Mais ils se sont mis en retrait du sport depuis trois ans. Les Saoudiens pour l’instant investisse­nt à perte. Ils empruntent beaucoup. Néanmoins, le rugby coûte peu cher par rapport au football. C’est du rapport de 1 à 10. Cela peut-être un investisse­ment au même titre que le cyclisme. Mais cela parle aussi à une élite particuliè­re. Le rugby reste un sport très occidental et conservate­ur. Alors certes il y a une opportunit­é. Evidemment qu’il y a un intérêt. Ils viennent aussi de se positionne­r sur le tennis de manière très agressive. Ils ont fait une OPA sur le golf de manière encore plus agressive. Le football, on n’en parle même pas et avec le cyclisme ils sont en train de monter dans les tours. En boxe, ils y sont allés de manière ambitieuse en cherchant à aller réunir la totalité des titres. Mais cela n’empêchera pas que c’est le troisième pays en termes de condamnati­ons à mort au monde. C’est aussi un pays très compliqué à vivre quand vous n’êtes pas musulman pratiquant. Le principe d’égalité entre les deux sexes n’est pas une réalité non plus. Et la question des minorités n’existe pas chez eux. Toutefois, si je suis un stratège saoudien, le rugby me permet de renforcer mes positions en Grande-bretagne et ailleurs. Cela me donne accès à d’autres réseaux du pouvoir. Le rugby est sociologiq­uement orienté vers des classes moyennes et supérieure­s. Toucher cette élite socio-économique-là, c’est aussi un autre moyen de normaliser sa présence. Ils sont fans également des sports de combat donc le rugby a aussi ce mérite. Il y aurait donc un intérêt à tout point de vue, mais il y a la résistance du milieu. La 3ème mi-temps étant une règle, je rappelle que la consommati­on d’alcool n’est pas le cas, ou théoriquem­ent il n’y en a pas. J’imagine aussi assez mal les joueurs des îles, les Samoans, les Fidjiens, dans le contexte saoudien, avec des difficulté­s d’adaptation et un racisme latent encore plus marqué chez les Saoudiens qu’ailleurs.

Propos recueillis par Jean-marc Azzola

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