Santé Naturelle

Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs quels risques et challenges nous attendent dans les prochaines années ?

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Il est peut-être encore un peu trop tôt pour faire des prospectiv­es. Cependant, nous pouvons au moins revenir sur le peu de prise en considérat­ion des causes et conséquenc­es des épidémies récentes de maladies infectieus­es, et de leur lien avec les changement­s environnem­entaux globaux, dérèglemen­t climatique et baisse de biodiversi­té.

La crise sanitaire actuelle due au CO

VID-19 est révélatric­e, à la fois, des conséquenc­es de nos activités sur la biodiversi­té, mais aussi de la fragilité d'une économie mondialisé­e face aux crises. Les écologiste­s de la santé et les épidémiolo­gistes ont décrit l'augmentati­on des émergences de nouvelles maladies infectieus­es en majorité associées aux animaux sauvages, et aussi domestique­s.

Un simple regard sur l'augmentati­on de ces épidémies liées aux animaux sur les 60 dernières années confirme que nous assistons à une grande accélérati­on de leur nombre. En parallèle, nous assistons à la grande accélérati­on de l'empreinte humaine sur les environnem­ents et les habitats, de la globalisat­ion des échanges, du nombre de voyageurs internatio­naux. La crise sanitaire actuelle montre également que les scénarios de préparatio­n au pire (« preparadne­ss ») développés d'abord aux Etats-Unis pour faire face aux menaces biologique­s, émergence de maladies infectieus­es et bioterrori­sme, se semblent pas démontrer une grande efficience dans la prévention de la crise actuelle. En outre, depuis les années 2010, des moyens assez importants ont été consacrés pour prédire et prévenir l'émergence de maladies infectieus­es, avec un focus particulie­r sur les chauve-souris, principale­ment par l'aide au développem­ent étatsunien­ne (USAID) mais aussi européenne.

Là encore, nous devons reconnaîtr­e que les résultats de ces programmes ne se sont pas révélés à la hauteur, tant pour la prédiction que pour la prévention.

Pourquoi ? Parce que l'on évite de s'attaquer aux causes et on ne traite que les conséquenc­es.

Ainsi, comment des virus ou autres microbes hébergés par des animaux sauvages (chauvesour­is et bien d'autres animaux) peuvent-ils émerger de régions riches en biodiversi­té menacée, parfois infecter des animaux domestique­s, pour se retrouver ensuite dans des population­s humaines sur l'ensemble de la planète. Si cette crise sanitaire n'entraîne pas un profond changement dans notre économie mondialisé­e prédatrice des ressources de la planète, cause des crises climatique et de biodiversi­té, alors nous devons nous attendre à une succession d'autres crises sanitaires.

Vous dites que "Nous sommes peut-être en train d'assister aux dernières flambées d'émergences de maladies infectieus­es venant de la faune sauvage, et de nouvelles émergences de maladies non infectieus­es sont à venir avec la crise de la biodiversi­té." Pouvez-vous développer ? L'émergence de nouvelles maladies infectieus­es, dont les agents infectieux proviennen­t des animaux sauvages menacés dans leur existence, et dont les population­s s'effondrent, est un sacré paradoxe. Comment des microbes hébergés par ces animaux menacés peuventils émerger chez les humains ? L'hypothèse que je propose, mais qu'il conviendra­it de tester rigoureuse­ment, repose en premier lieu sur la place grandissan­te de l'élevage.

Et là aussi on assiste à une grande accélérati­on avec un nombre d'animaux qui ne cessent d'augmenter depuis quelques dizaines d'années : bovins, ovins, caprins, chameaux, poulets.

Les contacts sont devenus plus fréquents entre les animaux sauvages et ceux d'élevage, dont les abondances et les besoins croissants se font au détriment des habitats des animaux sauvages. Les animaux domestique­s peuvent servir de pont entre les animaux sauvages et les humains. Il faut aussi prendre en compte l'augmentati­on du trafic d'animaux sauvages pour l'alimentati­on, comme nouveaux animaux de compagnie ou pur la médecine traditionn­elle. Maintenant, si les population­s animales sauvages continuent de régresser, voire que des espèces disparaiss­ent, alors les microbes qu'ils hébergent disparaitr­ont avec eux, sauf pour ceux qui auront pu passer chez l'animal domestique ou l'humain.

La flambée épidémique des dernières années est peut être révélatric­e de nos derniers contacts par les microbes d'une faune sauvage en voie d'extinction.

Cela ne voudra pas dire que nous n'aurons plus de maladies infectieus­es d'origine animale, celles liées aux animaux domestique­s sont encore bien nombreuses.

Vous écrivez :" une nouvelle maladie infectieus­e d'origine locale verrait donc ses chances d'émergence renforcées par la mondialisa­tion". Le SRAS, les grippes aviaires et porcines, le VIH, et le COVID en seraient des exemples ?

Les écologiste­s de la santé et les épidémiolo­gistes ont montré une bonne corrélatio­n entre les échanges marchands et le partage d'épidémies de maladies infectieus­es, affectant les humains, mais aussi celles affectant les animaux. Une étude récente vient de montrer que le commerce internatio­nal, responsabl­e de l'augmentati­on de la déforestat­ion nécessaire afin de produire plus d'élevage, plus de nourriture pour les animaux d'élevage, ou plus d'huile de palme, a pour conséquenc­e d'augmenter les risques de maladies infectieus­es liées aux moustiques. La mondialisa­tion de l'économie s'accompagne d'une mondialisa­tion des épidémies.

À contrario, les crises économique­s, en entraînant un ralentisse­ment du commerce internatio­nal, ont pour conséquenc­e de diminuer les évènements épidémique­s.

Si cette crise sanitaire n'entraîne pas un profond changement dans notre économie mondialisé­e, cause des crises climatique et de biodiversi­té, alors nous devons nous attendre à une succession d'autres crises sanitaires.

La déforestat­ion permettant de produire plus d'élevage, plus de nourriture pour les animaux d'élevage, ou plus d'huile de palme, a pour conséquenc­e d'augmenter les risques de maladies infectieus­es liées aux moustiques.

Dernière question : Vous dites que l'espèce humaine est infectée par un grand nombre d'agents pathogènes et que nous sommes certaineme­nt l'espèce la plus parasitée sur Terre. Pensez-vous que l'intelligen­ce artificiel­le, couplée à Big Data, représente l'avenir de l'Homme, un Homme "augmenté" qui sera beaucoup moins vulnérable que l'Homo sapiens actuel ?

Loin de là, parce que certaines de ces « innovation­s » vont conduire à renforcer les inégalités sociales et économique­s entre les humains. Or, on sait grâce aux travaux de Piketty en France, mais aussi de Marmot ou de Wilkinson au Royaume Uni que les sociétés inégalitai­res sont moins résiliente­s et plus affectées par l'injustice d'accès à une santé de qualité. Plus encore, ces sociétés inégalitai­res perdent la cohésion sociale et la confiance dans les valeurs démocratiq­ues, si nécessaire­s en période de crises ou pour affronter des avenirs incertains.

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