L’homme pressé
Militaire, correspondant de guerre, écrivain, dans sa jeunesse, Churchill mène tous ces métiers de front. Pour l’argent, mais aussi pour la gloire. Il n’a qu’une ambition : devenir célèbre, et rapidement.
D« epuis ma plus tendre enfance, je pensais aux soldats et à la guerre », se souvient Churchill dans son autobiographie, « Mes jeunes années ». Comment expliquer ce goût pour les armes ? Tradition familiale ? Pas vraiment. Le souvenir du dernier Marlborough mort au combat remonte à plus d’un siècle, et ses descendants ont depuis choisi de fréquenter les champs de courses plutôt que de bataille.
L’obsession d’une mort précoce
Mais il y a tout de même le souvenir de son plus lointain ancêtre, le premier duc, John de Marlborough, dont les exploits hantent la famille. Et puis aussi Blenheim, le château familial. Churchill enfant en a arpenté les enfilades de salons décorés d’armes, d’armures, d’étendards. Il a beaucoup rêvé en contemplant les tableaux de batailles qui en ornent les murs. Il en a observé et mémorisé chaque détail. Lorsqu’il quitte l’école de Sandhurst, son diplôme d’officier en poche, Winston est donc bien décidé à poursuivre une carrière miliaire. Mais quelque chose le travaille. Il a remarqué que, dans sa famille, on meurt jeune. Son père vient de décéder à l’âge de 46 ans. Son oncle George, le marquis de Blandfort, en avait 48. Et puis lui-même a une santé fragile. Bronchites, maux de tête, crises de foie, rages de dents ne lui laissent pas de répit. Il a déjà failli mourir d’une pneumonie double quand il avait 12 ans, et, plus tard, deux autres fois par imprudence. La première en jouant avec ses cousins : ce cassecou a fait une chute de neuf mètres dans le vide qui l’a plongé dans le coma ! La deuxième quand il a manqué se noyer dans un lac. Il en tire la conclusion qu’il mourra jeune. Il va donc devenir un homme pressé, impatient d’imprimer sa marque.
Sur tous les fronts
Winston ressemble beaucoup à son père. Pas très grand, 1,66 m, rouquin, le visage poupin animé d’un regard malicieux. Il est, comme son géniteur, affublé d’un défaut de parole qui l’empêche de prononcer les S. Et surtout, il a le même sacré caractère. Impétueux, va-t-en-guerre, contestataire, c’est un hyperactif qui peut aller de l’exaltation la plus incontrôlée à l’abattement le plus total. Avec ses hommes, il sera rude mais direct et proche. Pour creuser une tranchée, déplacer du matériel, il sait retrousser ses manches et montrer l’exemple. C’est un leader-né. Il va trouver dans l’action, les voyages et un certain art de se mettre en danger le moyen d’évacuer les chagrins et les doutes de l’enfance. C’est dans une vie au combat qu’il recherche avec âpreté qu’il commence sa thérapie. À 21 ans, alors sous-lieutenant chez les hussards, il fait des pieds et des mains pour rejoindre les troupes espagnoles parties mater une rébellion à Cuba. Puis il part en Inde avec son armée. En 1897, ne tenant décidément pas en place, il se fait muter au Malakand, dans l’actuel Pakistan, où il combat courageusement contre les rebelles
pachtounes. Il adresse au « Daily Telegraph » des comptes rendus de batailles remarqués. Il poursuivra un certain temps ce second métier de correspondant de guerre qui lui assure des revenus plus conséquents que sa solde de sous-lieutenant.
Célèbre à 26 ans
Ses articles précis et pleins de verve sont appréciés du public, moins de ses supérieurs qui y découvrent souvent des critiques à peine voilées de l’armée. Pour obtenir les ordres de mission qui l’intéressent, il a la chance de pouvoir s’appuyer sur l’important réseau de relations de feu son père lord Randolph, mais aussi sur… celui des amants de sa mère ! Churchill combattra ainsi lors de la campagne d’Égypte sous les ordres du général Kitchener. En 1898, il participe à ce qui est considéré comme la dernière charge de cavalerie de l’histoire à la bataille d’Omdurman, au Soudan. Souffrant d’une épaule, il est incapable de tenir une lance et doit se défendre armé d’un simple Mauser. Son courage fait l’admiration de tous. L’année suivante, il participe à la seconde guerre des Boers en qualité de correspondant de guerre pour le « Morning Post ». Il est fait prisonnier mais parvient à s’échapper dans des conditions rocambolesques dont il tire un récit, qu’il publie naturellement. À son retour à Londres, il est accueilli comme un héros. À partir de juin 1900, il entame une seconde vie : élu à Oldham, il entre à la chambre des Communes. Il a 26 ans. Il est déjà célèbre. Il écrit, anime des conférences et jouit désormais de revenus confortables. Il va bientôt rencontrer la femme de sa vie.