Le Saint-Sépulcre Le dernier souffle du Christ
Le lieu où le Christ a été enterré, à Jérusalem, revêt dans plusieurs religions une importance primordiale. Objectif des croisades du Moyen Âge, il n’a jamais cessé d’être un but de pèlerinage malgré les tensions. Autour du tombeau initial se sont multipl
Dans la chaleur de l’été 1099, les croisés conquièrent Jérusalem. Après être entrés dans la ville par la porte de Damas, au nord, qui cède sous les coups de boutoir de leurs béliers et la pluie de flèches décochées depuis leur tour d’assaut, ils laissent libre cours à leur furie vengeresse contre les musulmans et les juifs. À la fin de la journée, ils se réunissent autour du tombeau du Christ, qui est le but principal de leur expédition, et y tiennent une messe d’actions de grâces. Si le Saint-Sépulcre est alors capable de mobiliser les énergies de toute l’Europe chrétienne, il n’en a pas toujours été ainsi. Après la mort du Christ, le tombeau n’est pas entretenu, et tout est mis en oeuvre
pour en effacer la mémoire. C’est que pour les dirigeants de l’époque, les Romains, Jésus de Nazareth n’est qu’un hors-la-loi, justement livré aux prêtres du Sanhédrin qui l’ont condamné à mort. Sa sépulture se trouve en périphérie de la ville, la loi interdisant d’enterrer les défunts à l’intérieur des murs. Ce n’est qu’une dizaine d’années après la mort du Christ, lorsque Hérode Agrippa étend le périmètre des murailles, que son tombeau entre dans la ville. Certains empereurs romains s’ingénient à brouiller davantage les pistes, en bâtissant à cet emplacement un sanctuaire dédié à une des déesses de leur panthéon, Vénus. Il faut attendre trois siècles et la conversion au christianisme de l’empereur Constantin pour que le SaintSépulcre fasse l’objet de soins éclatants. Mais il a d’abord été nécessaire de le retrouver ! C’est la mère de l’empereur, Hélène, qui se charge de cette mission. Elle se rend sur place pour identifier le lieu exact du supplice. La légende prétend que son informateur, le juif Judas, ne révèle le lieu qu’après avoir été menacé de mort. Une fois déterrées les trois croix, il faut distinguer celle du Christ de celles des larrons. La pieuse Hélène les fait poser, l’une après l’autre, sur le corps d’un homme mort : celui-ci ressuscite au contact de la Vraie Croix. Au-dessus des lieux saints, Hélène fait bâtir l’église de la Sainte-Croix. On n’oubliera plus jamais l’emplacement du tombeau !
Transformations à travers les siècles
La première basilique romaine ouvrait à l’est sur le cardo, la principale voie de Jérusalem, et était séparée du Sépulcre par un jardin. Cet espace vert est devenu le Catholicon, la salle de prière. La basilique elle-même a été plusieurs fois remaniée mais sa disposition n’a guère évolué depuis la reconstruction menée par les croisés en 1149, pour fêter le jubilé de la reconquête des lieux saints. Aujourd’hui, on entre dans le dédale du Saint-Sépulcre par le
côté sud : après avoir passé une cour ouverte, on se trouve face à deux portes, dont l’une est murée depuis le départ des croisés à l’issue de leur défaite en 1187. Les clés de la seconde sont détenues par les deux familles musulmanes (Joudeh et Nusseibeh) qui s’en partagent la responsabilité depuis qu’elles ont été données à leurs ancêtres par Saladin il y a plus de 800 ans ! En des époques anciennes, il fallait surmonter le vertige et avoir le corps souple si l’on officiait dans l’église. On s’en convaincra en levant les yeux vers les fenêtres qui surplombent les portes. Une échelle y est encore appuyée, qui rappelle que, sous les Ottomans, jusqu’au milieu du xixe siècle, on n’ouvrait rarement les portes. Pour se rendre en ville, les prêtres devaient jouer les acrobates et passer par les fenêtres. Aujourd’hui, l’entrée est plus facile mais la gestion du lieu est épineuse. Six communautés religieuses (grecs orthodoxes, catholiques franciscains, arméniens, coptes, syriaques, éthiopiens) s’en partagent l’utilisation selon des règles… byzantines. Les espaces dévolus à chacune, les horaires des messes et les trajets à l’intérieur sont codifiés.
Première étape, la chapelle du Golgotha
Tirant son nom d’un mot araméen signifiant « lieu du crâne » (traduit par « calvaria » en latin, qui a donné « calvaire »), le Golgotha matérialise l’emplacement présumé de la crucifixion. C’était à l’époque du Christ une colline bordée de carrières de pierre. Cet environnement n’est plus identifiable mais l’actuelle chapelle reste l’un des lieux les plus élevés de la vieille ville. D’autres soutiennent – et l’écrivain Mark Twain y croyait dur comme fer – qu’Adam est lui aussi enterré à cet endroit. Comme pour la Via Dolorosa, élaborée après les croisades
La basilique elle-même a été plusieurs fois remaniée mais sa disposition n’a guère évolué depuis la reconstruction menée par les croisés en 1149.
par des moines européens, la localisation des derniers moments du Christ est vivement discutée. Ainsi, selon une version anglicane défendue depuis une étude poussée des sources bibliques à la fin du xixe siècle, la crucifixion serait advenue au Jardin de la Tombe, en dehors de la vieille ville, au nord de la porte de Damas. L’éloignement des faits justifie ces interrogations, mais aussi le destin agité de la ville. Ainsi, peu de temps après le supplice de Jésus éclata la grande révolte juive de 66. Elle fut matée, après une guerre sans merci, par Titus en 70, mais entraîna, outre l’incendie du Temple, la destruction d’une bonne partie de la ville. Cependant, pour les croyants qui fréquentent par milliers le Saint-Sépulcre, les doutes ne sont pas permis et chaque indication de la Via Dolorosa est prise pour intangible. En sortant du Golgotha, la Pierre de l’Onction est le siège d’une ferveur visible : c’est ici, à la treizième station, que le Christ aurait été enveloppé dans son linceul. Le thème même de la crucifixion, abondamment traité par les peintres
Comme pour la Via Dolorosa, élaborée après les croisades par des moines européens, la topographie des derniers moments du Christ est vivement discutée.
européens (avec de rares variations : jusqu’au xiiie siècle, chaque pied était transpercé par un clou différent, puis l’iconographie a choisi de réunir les deux pieds sous un seul clou) suscite d’intéressants débats. Il est clair que ce supplice, tel qu’il est représenté en peinture, aboutit rapidement à la mort par asphyxie. Restauration du tombeau fragilisé On peut supposer que, pour prolonger la souffrance, les condamnés étaient soutenus par des planches ou attachés par des cordes. Il sera difficile de conclure : le seul témoignage archéologique disponible à ce jour a été découvert
en 1968 près de Jérusalem. Il s’agit des ossements d’un homme dénommé Yehohanan Ben Hagkol (son nom était écrit sur l’urne qui contenait ses restes), exécuté par les Romains au milieu du Ier siècle et dont l’os du talon conservait un clou. Le tombeau proprement dit est au centre de la rotonde, entourée d’un déambulatoire toujours noir de monde, sous un édicule avec un dôme à la russe. La plaque qui recouvre la tombe fait l’objet d’une grande dévotion : on la baise, on y pose le front, on y dépose des bibles, des croix… L’édicule est en danger : sa structure métallique, qui aide à soutenir l’ancienne armature de marbre du sanctuaire, est brinquebalante. Au mois de mai 2016, une campagne de restauration a été engagée par une équipe grecque. Pour la première fois depuis au moins deux siècles (et le grand incendie de 1808), on a pu soulever cette dalle de marbre et accéder à la partie de la roche où le Christ a été déposé après sa crucifixion. Les matériaux étudiés feront l’objet d’analyses. Ce n’est certes pas la première fois que des travaux d’urgence doivent être entrepris au SaintSépulcre. En 1927, un tremblement de terre l’avait fragilisé. Les Britanniques, qui avaient alors mandat sur la Palestine, se chargèrent de consolider l’édicule au-dessus de la tombe, mais aussi de reconstruire la grande coupole. Mais la Seconde Guerre mondiale, puis les événements qui suivirent, avec la proclamation de l’État d’Israël et l’occupation de Jérusalem à l’issue de la guerre de 1967, compliquèrent le chantier, qui n’a été achevé qu’en 1997.
L’ambiance bigarrée de l’intérieur
la quantité de chapelles, de lampes suspendues, les fumées d’encens, les chants, les mélodies de l’orgue franciscain (rénové et réinstallé il y a un quart de siècle au milieu de polémiques en raison de sa trop grande puissance) indiquent que le lieu est convoité et partagé, pas toujours de manière pacifique. Depuis le Statu quo de 1831, confirmé en 1852 sous l’autorité ottomane, la basilique du Saint-Sépulcre est régie selon les règles des fondations pieuses de l’islam, le Waqf (donation perpétuelle). Trois communautés détiennent l’essentiel du pouvoir : l’église arménienne autocéphale, le patriarcat grec orthodoxe et la Custodie franciscaine de Terre Sainte. Les trois autres – coptes, syriaques et éthiopiens – ont été marginalisées au cours du temps et parfois repoussées vers des lieux moins centraux. L’étonnant « village éthiopien » qui occupe le toit de la chapelle d’Hélène en est l’illustration. Des disputes demeurent ou naissent : la plus actuelle concerne le toit du Saint-Sépulcre luimême, que se contestent Coptes et Éthiopiens, dont les églises, autrefois réunies, se sont scindées en 1948… L’enjeu symbolique est tellement fort : le Saint-Sépulcre est un espace religieux historique, politique et artistique. On y célèbre la mémoire du Christ, mais aussi celles de Joseph d’Arimathie, d’Adam, de Godefroy de Bouillon, on y vénère des reliques et l’on y trouve aussi des chefs-d’oeuvre de l’art universel. C’est l’heure de la fermeture. Comme chaque soir, le cérémonial se répète. Un des trois sacristains (le franciscain, l’arménien ou le grec) ferme le battant qu’il a ouvert le matin. Mais s’il s’est agi d’un jour de « grande ouverture », le maniement du deuxième battant, celui de droite, incombe au portier musulman. Le général de Gaulle parlait de « l’Orient compliqué ». Le Saint-Sépulcre en est un parfait résumé.
Le Saint-Sépulcre est un espace religieux historique, politique et artistique.