Royal Affair
La vie… ce n’est pas toujours du cinéma. Les films ou séries historiques prennent parfois leurs aises, volontairement ou non, avec la réalité. Erreurs historiques, anachronismes, trucages font partie du jeu cinématographique. Saurez-vous démêler la fictio
Brillante fresque historique et amoureuse, le film de Nikolaj Arcel revient sur un épisode peu connu de l’histoire du Danemark. Vingt ans avant que la Révolution n’emporte la monarchie en France, Johann Friedrich Struensee, médecin et conseiller du roi Christian VII, exerce sur ce dernier une influence déterminante qui fait entrer le pays dans la modernité. Lecteur assidu des philosophes des Lumières, Struensee profite de la faiblesse d’un roi fou pour mener de nombreuses réformes avec le soutien de celle qui devient sa maîtresse : la reine Caroline-Mathilde. Ami du roi, amant de la reine et libre-penseur au pouvoir, Struensee s’aliène les conservateurs. L’entreprise politique pleine d’enthousiasme des deux amants finit dans le sang…
La folie du roi
Récompensé par un Ours d’argent au festival du film de Berlin en 2012, l’acteur Mikkel Boe Følsgaard restitue avec justesse et fidélité les crises de folie du roi Christian VII. Épilepsie, schizophrénie, paranoïa, plusieurs explications circulent. Le roi peut, comme dans le film, se lever en plein conseil pour faire des déclarations hors de propos, piquer des crises de colère, faire des caprices d’enfant. Amoureux des arts, il aurait voulu ne pas être roi et ne se sent bien que sur une scène ou dans un rôle, comme dans le film. La disparition de Struensee et de CarolineMathilde, les deux seules personnes qu’il appréciait à la cour, le plonge dans l’hébétude et une folie irréversible.
La lettre de Voltaire à Christian VII
Si le film semble suggérer que l’influence de Struensee fut déterminante pour faire de Christian VII un « despote éclairé » et traduire en actes son soutien à la philosophie des Lumières, en réalité, le roi entretient des liens avec ces auteurs avant la rencontre avec son
UN FILM PASSÉ AU DÉTECTEUR DE MENSONGES
médecin. Il correspond avec Voltaire et a soutenu une souscription lancée par ce dernier en 1766 dans l’affaire Sirven*. Il a profité d’un passage à Paris pour rencontrer Diderot et D’Alembert en novembre 1768, accompagné de Struensee qui venait de rejoindre son service. Voltaire adresse notamment une lettre de félicitations à Christian VII au sujet de la liberté de la presse en 1771. On peut imaginer que c’est celle dont il est question dans le film.
L’exécution de Struensee
Reconnu coupable de lèse-majesté, Struensee est exécuté ainsi que son ami Brandt (accusé d’avoir attenté à la vie du roi en le mordant au doigt !). Chacun à son tour, comme dans le film. Mais leur châtiment fut en réalité plus horrible : on leur coupa d’abord la main droite avant de les décapiter. Leurs corps furent ensuite démembrés. Détail macabre, le bourreau s’y reprend à deux fois pour décoller Struensee, ajoutant à sa souffrance. Des détails laissés de côté par le film. Caroline-Mathilde, quant à elle, finit bien ses jours auprès de son ancienne dame de compagnie, la comtesse von Plessen, à Celle (en Allemagne).
La lettre de Caroline-Mathilde
Cette épître est un ressort dramatique qui ouvre le film et le clôt, et introduit un récit à la première personne, mais on n’a pas de trace d’une telle lettre. Confiée à la comtesse von Plessen par la reine pour être remise à ses enfants devenus grands, elle permet à la jeune femme, alors malade, de dire « la vérité avant qu’il ne soit trop tard ». D’expliquer les événements, et d’encourager ses enfants qu’elle n’a jamais revus après son exil, Frédéric et Louise-Augusta, à être l’ « espoir d’un avenir radieux pour le Danemark » et de porter les idéaux réformistes de leur mère et de Struensee. Ce qu’accomplit Frédéric, en menant un coup d’État à 16 ans, et en restaurant les lois de Struensee. Si la lettre n’a pas existé, il semblerait que l’héritage idéologique des deux amants soit bien passé.
Les lieux du tournage
Le palais royal de Christiansborg, lieu de résidence de Christian VII et Caroline-Mathilde, a disparu dans un incendie en 1794. Et Copenhague a été en partie détruite en 1801 par la Marine anglaise. Les lieux tels que les ont connus les protagonistes du film n’existent plus. Le film a donc été tourné en République tchèque, à Prague et ses alentours, ainsi qu’en Allemagne, du côté de Dresde, dans des décors qui restituent assez fidèlement le Copenhague de l’époque.