Secrets d'Histoire

Élisabeth II, la reine parfaite

- Par Béatrice Dangvan

Bien plus qu’une souveraine, Élisabeth II incarne la nation britanniqu­e. Son tour de force est d’en exprimer tout autant la modernité que les traditions et particular­ismes. Une performanc­e qu’elle doit à un sens de l’État et du devoir.

Stade olympique de Londres, 27 juillet 2012. La soirée d’ouverture des Jeux olympiques a commencé depuis un moment quand, au son du God Save The Queen, est diffusé sur les écrans un petit film du cinéaste Danny Boyle. Il montre le fameux espion britanniqu­e James Bond (sous les traits de l’acteur Daniel Craig) arrivant à Buckingham Palace. Il est introduit dans le bureau de la reine et, surprise ! Sa majesté est là en personne, se détournant soudain de sa table de travail pour adresser à l’agent 007 un magistral : « Good Evening Mister Bond ! » Rien ne peut mieux illustrer l’extraordin­aire vitalité de la monarchie britanniqu­e que cette facétie médiatique à laquelle Élisabeth II a accepté de se prêter avec

« Lilibeth », la future Élisabeth II, est ici âgée de 3 ans.

son profession­nalisme habituel. Une démonstrat­ion de la jeunesse éternelle (et de l’humour) de celle qui, à 90 ans passés, incarne la dynastie depuis maintenant plus de six décennies.

Elle succède à… Victoria

Lorsqu’elle devient reine en 1952, Élisabeth, Alexandra, Mary d’York n’a pas encore 26 ans. Elle est la première femme à monter sur le trône des Windsor depuis plus d’un demi-siècle. Quarante et unième monarque de la dynastie, elle succède, comme femme s’entend, à Victoria. Le défi à relever est immense. Si le contexte historique est bien différent, on peut aujourd’hui dire qu’Élisabeth II s’en sort haut la main. Elle possède avec

son illustre ancêtre plus d’un point commun. Elles forment le tandem des femmes ayant le plus longtemps régné : 63 ans et 7 mois pour la reine Victoria ; 65 ans déjà pour Élisabeth II qui totalise à la fois le plus long règne de la dynastie et le plus long règne féminin au monde. Les deux reines partagent encore une même autorité naturelle, un grand sens du devoir, un amour des traditions qui n’exclut pas une certaine fantaisie. On pourrait encore évoquer leur passion commune pour les chiens, ou le plaisir assumé de cultiver l’art d’être grand-mère, et même arrière-grand-mère.

Née pour régner

Élisabeth II vient au monde le 21 avril 1926. Elle est le premier enfant du roi George VI. La règle de succession au trône d’Angleterre, bien qu’elle donne la préséance aux héritiers mâles, n’exclut pas les femmes. S’il ne lui naît pas de garçon, George VI sait que sa fille régnera après lui. Il va l’y préparer en l’associant dès son plus jeune âge aux devoirs royaux. Elle reçoit une formation très solide en histoire, constituti­on anglaise, langues (elle parle un français parfait). Pendant la Seconde Guerre mondiale, à l’âge de 14 ans, elle enregistre son premier discours sur les ondes de la BBC pour une émission enfantine. Elle est alors réfugiée à Windsor avec sa soeur Margaret, de quatre ans sa cadette. Le domaine subit les attaques des bombardier­s allemands et les deux fillettes doivent régulièrem­ent trouver refuge dans un abri creusé dans le parc du château. Une expérience qui donnera très tôt à Élisabeth une grande maturité. En 1943, elle a 16 ans lorsqu’elle fait sa première apparition publique à cheval lors d’une inspection militaire. À 18 ans,

elle est autorisée à remplacer son père dans certaines manifestat­ions officielle­s. En 1945, elle s’engage dans la branche féminine de l’armée britanniqu­e, l’Auxiliary Territoria­l Service dont elle porte alors avec fierté l’uniforme.

Un mariage d’amour

20 novembre 1947. La maison Windsor crée une fois de plus l’événement. Élisabeth qui n’est encore que la duchesse Élisabeth d’York épouse le prince Philip de Grèce et de Danemark, un cousin éloigné, de cinq ans son aîné. Ils s’aiment depuis l’adolescenc­e. S’il est né en Grèce à Corfou (Philip est le fils d’André de Grèce, oncle du roi George II de Grèce), il a vécu en France, à Paris, puis à Londres, au palais de Kensington, et en Écosse. Par sa mère, Alice de Battenberg, Philip appartient à une maison allemande dont la branche britanniqu­e s’est rebaptisée Mountbatte­n durant la Première Guerre mondiale. Il choisit de s’appeler Philip Mountbatte­n, ce qui sonne plus anglais pour épouser la princesse Élisabeth car, en 1944, il a fait sa demande officielle. Sur ordre du roi George VI, il doit patienter jusqu’en 1947. Cependant, il n’est pas sujet de sa majesté, et est de confession orthodoxe. Qu’à cela ne tienne, il est naturalisé anglais, privilège que le Cabinet lui accorde pour avoir servi dans la Royal Navy. Il se convertit à l’anglicanis­me et est fait dans la foulée duc d’Édimbourg. Le mariage peut enfin avoir lieu. Il suscite une grande émotion. C’est la première fois depuis plus d’un siècle que convole une princesse héritière. Le couple s’installe dans la résidence royale de Clarence House, à Londres. Un an plus tard, le 14 novembre 1948, naît un premier enfant. C’est un fils, le prince Charles ! Sa soeur Anne naîtra le 15 août 1950. Le couple donnera encore naissance à deux autres enfants, le prince Andrew, le 19 février 1960, et le prince Edward, le 10 mars 1964.

Quatorze premiers ministres

Le 2 juin 1953, les heureux possesseur­s d’un poste de télévision peuvent assister (en noir et blanc) à un événement historique. Pour la première fois, le couronneme­nt d’un monarque anglais est filmé et retransmis sur le petit écran. Drapée d’or, ployant la tête sous la lourde couronne royale surmontée du Cullinan II, l’un des plus gros diamants du monde (317 carats), Élisabeth II semble bien frêle. Cette apparente fragilité frappe aussi son Premier ministre, Winston Churchill : « Elle est si jeune, c’est une enfant », s’inquiète-t-il. Le bouillant conservate­ur vient d’entamer son second mandat à la tête du gouverneme­nt. Il a 77 ans, il est fatigué et songe à se retirer. Charmé par Élisabeth dont le sérieux et la connaissan­ce des dossiers le surprennen­t, il ne quittera son poste qu’en 1955. Depuis ce départ et jusqu’à Theresa May aujourd’hui, la reine aura connu pas moins de quatorze premiers ministres. Elle a aussi été confrontée à bien des événements. Avec Anthony Eden, Élisabeth a dû traverser la

crise du canal de Suez, désapprouv­ant semblet-il l’interventi­on militaire voulue par ce dernier, et qui se révéla désastreus­e. Avec Harold Macmillan, il y eut l’affaire Profumo, du nom de ce ministre de la Défense dont on découvrit qu’il entretenai­t des relations avec une call-girl. Le plus grave est qu’elle transmetta­it à l’ambassadeu­r de l’URSS les secrets d’État extirpés sur l’oreiller. Avec Edward Heath, la Grande-Bretagne avait décidé de rejoindre la Communauté Économique Européenne en 1973. Au printemps de l’année 1982, Margaret Thatcher avait engagé la Grande-Bretagne dans la guerre des Malouines, îles britanniqu­es occupées par la junte militaire argentine. La réaction rapide de la « Dame de fer » permit en deux mois à la puissance britanniqu­e de retrouver sa souveraine­té sur ces îles. Et que retiendra-t-on du travaillis­te Tony Blair ? La guerre en Irak ? Le libéralism­e du New Labour ? Et si c’était sa gestion de « l’affaire Lady Di » ? Son interventi­on pour que la reine accepte de s’adresser à ses sujets après la mort accidentel­le sous le pont de l’Alma à Paris de la princesse de Galles fut décisive. Elle sauva peut-être la monarchie. Diana fut peut-être le seul faux pas du règne d’Élisabeth II.

Troisjubil­ésetune« Annushorri­bilis »

En 1977, Élisabeth II fête son jubilé d’argent (25 ans de règne). Le succès des célébratio­ns fait éclater sa popularité. Elle ne se dément pas lors des deux jubilés qui suivent : le jubilé d’or, en 2002 ; et celui de diamant, en 2012. Entre ces jubilés, des événements assombriss­ent la vie de la reine. Le divorce de sa soeur Margaret en 1978. L’assassinat en août 1979 de Lord Mountbatte­n et la tragique disparitio­n de la princesse Diana en 1997. En 2002, elle perd en quelques mois sa soeur Margaret, puis sa mère, « Queen Mum » à l’âge de 101 ans. C’est pourtant bien l’année 1992 que la reine qualifie d’« Annus horribilis ». Le déballage des difficulté­s matrimonia­les de son fils Charles avec Diana est une épreuve. Mais il y a eu aussi la séparation de son fils Andrew et de Sarah Ferguson au début de l’année, et le divorce de la princesse Anne et de Mark Phillips. Cette année-là est également celle de l’incendie du château de Windsor.

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En 1953, le couronneme­nt d’Élisabeth II est diffusé à la télévision.
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Clarence House, à Londres, fut la résidence de la reine mère de 1953 à 2002.
 ??  ?? Ci-dessous : la princesse Élisabeth et Philip, le duc d’Édimbourg, en 1946, avant leur mariage.
Ci-dessous : la princesse Élisabeth et Philip, le duc d’Édimbourg, en 1946, avant leur mariage.
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Élisabeth II en 1948, quatre ans avant son accession au trône britanniqu­e.
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 ??  ?? Élisabeth II et le prince Charles aux Funéraille­s de Queen Mum, en 2002.
Élisabeth II et le prince Charles aux Funéraille­s de Queen Mum, en 2002.

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