« Tout le monde savait »
La passion qui se dessine dès 1947 entre la vice-reine et le futur Premier ministre de l’Inde est ancrée dans la tourmente qui bouleverse l’échiquier politique du pays. Edwina, totalement investie dans sa mission, gagne l’estime de ses compatriotes et des
Edwina Mountbatten est une aristocrate élégante, rompue à son rôle d’hôtesse, mais qui a prouvé tout au long de son existence qu’elle est capable d’une incroyable radicalité. Elle a déjà exploré des contrées hasardeuses, disparaissant pendant des mois dans la jungle. Elle se démène sans compter durant la Seconde Guerre mondiale pour secourir les blessés et les rescapés des camps japonais. Elle applique la même politique dans ses nouvelles fonctions. Amoureuse de l’Inde, avant même de comprendre qu’elle l’est de Nehru, elle révolutionne le palais en allégeant le protocole, invitant des Indiens « quelle que soit leur position ».
Unis par la même passion pour l’Inde
Nehru est présent aux dîners officiels, mais leur complicité évidente n’éclate qu’en 1948. Tout au plus, leur entourage note que lady Mountbatten aime souvent s’arrêter dans la modeste demeure de Nehru, « pour profiter de la fraîcheur de la véranda ». Pour l’instant, le sort de l’Inde, déchiré par les rivalités politiques qui la mènent tout droit vers la scission et
la création de deux États (l’Inde et le Pakistan) est la priorité. Le pays, au bord de la rupture, est sans cesse menacé par les émeutes. Lady Mountbatten, âgée alors de 46 ans, soit de 13 ans la cadette de Nehru, se lance dans une entreprise politique et humanitaire avec la même ferveur que pendant la guerre. Opération charme pour convaincre les antibritanniques de faire confiance au vice-roi et opération de secours pour aider les populations affolées, dans un pays meurtri par la division entre musulmans et hindous. Edwina n’hésite pas à se déplacer d’un bout à l’autre du territoire pour apporter son aide, et Nehru, lorsqu’il ne l’accompagne pas dans ses tournées dans des camps de réfugiés, écrit qu’il a besoin de la voir, de s’entretenir avec elle « en toute confiance. Vous seule savez m’écouter ».
Une relation particulière
Les liens entre Nehru et la vice-reine témoignent indirectement du bouleversement qui s’opère dans les mentalités. Même si des rumeurs discrètes sous-entendent qu’en son temps, la reine Victoria se serait entichée de son domestique indien, l’idée qu’une aristocrate britannique, qui plus est représentant la Couronne, puisse avoir une liaison avec un Indien est révolutionnaire et significative du tournant historique de l’Inde. Car « tout le monde le savait ». À commencer par ce cher Dickie, habitué aux infidélités de sa femme, et qui appréciait Nehru. Il confirmera par écrit à Edwina qu’il « connaissait la nature
Les Mountbatten et Nehru, partant pour une expédition à Narkanda, dans les montagnes du nord de l’Inde.
de la relation très particulière entretenue avec Jawarharlal ». N’étant pas jaloux et ne désirant que son bonheur, il ne voyait pas de raison à s’y opposer.
Une liaison très diplomatique
Les adversaires de Nehru et de Mountbatten prétendent, encore à ce jour, que leur relation servait leurs intérêts. L’un et l’autre auraient ainsi accédé à des informations obtenues « sur l’oreiller ». Mais il est probable que l’amitié et le respect qu’entretenaient les deux hommes suffisaient pour mener à bien leurs négociations. Le 30 janvier 1948, le mahatma Gandhi est assassiné. La guerre civile fait rage. Le vice-roi et sa femme ne peuvent éternellement prolonger leur séjour dans un pays qui n’appartient plus à l’Empire. En juin 1948, ils quittent l’Inde, leur mission officiellement terminée. Nehru et Edwina s’échangent des cadeaux symboliques. Une médaille de saint Christophe pour lui. Une pièce de monnaie pour elle, qui restera accrochée à son bracelet jusqu’à sa mort.
La relation entre Nehru et la vice-reine des Indes témoigne du bouleversement s’opérant dans les mentalités.