Stéphane Bern : « Le public est fasciné par les destins tragiques car il y voit la main de Dieu »
Le présentateur vedette de l’émission Secrets d’Histoire sur France 2 a étudié de nombreux cas de dynasties « maudites ». Il nous aide à en déterminer les contours.
Est-il possible d’établir un portrait-robot de ces dynasties « maudites » ?
C’est malaisé dans la mesure où toutes les familles ont leur lot d’histoires dramatiques. Ceux qui croient aux contes de fées aiment aussi croire aux malédictions, mais ce n’est pas mon cas ! Il est vrai que certaines dynasties semblent davantage touchées par l’exil, la folie, la violence. Cet acharnement du sort fascine d’autant plus le grand public qu’il a le sentiment que ces destins hors du commun servent de paratonnerre en concentrant en eux tous les malheurs.
Dans le registre des dynasties marquées par le sort, le nom des Stuart ou et celui des Romanov revient souvent. Pouvez-vous en citer d’autres ?
Il y en a beaucoup d’autres, par exemple les Obrenovitch serbes, qui ont vécu une succession de morts violentes. Une famille qui m’a toujours fasciné est celle des Wittelsbach de Bavière, à laquelle on attribue un gène de folie et de neurasthénie. Elisabeth d’Autriche, plus connue comme Sissi (qui a été assassinée), l’aurait transmis à son fils Rodolphe, qui se suicidera à Mayerling. Ce gène aurait aussi marqué le frère de Sissi, Charles Theodore, qui fera un mariage morganatique et deviendra ophtalmologue, ou sa soeur, la duchesse d’Alençon, qui fera scandale par une liaison adultérine avant de périr dans l’incendie du Bazar de la Charité à Paris. Non, il n’y a pas de gène du malheur ! Mais ces généralités sont rassurantes, comme celles qui prétendent que les Hollandais sont avares ou que les Anglais aiment le jardinage…
Certains pays semblent plus prédisposés que d’autres à ces enchaînements fatals. Comment se situe la France dans ce domaine ?
Pour la France, on pense aux « rois maudits », dont le nom résume la destinée. La malédiction lancée par le grand-maître des Templiers, Jacques de Molay, à l’encontre de Philippe le Bel sur sept générations ne semble ne pas avoir porté chance à ce dernier ni à ses descendants, puisqu’on assiste à la fin des Capétiens directs. Catherine de Médicis est elle aussi au coeur d’une violence étonnante : son époux meurt dans un tournoi, deux de ses fils couronnés décèdent jeunes de maladie (François II et Charles IX) et le troisième, Henri III, est assassiné. Si l’on y ajoute le massacre de la Saint-Barthélemy, c’est un cocktail sanglant… Mais, à mes yeux, c’est dans la fureur de la Révolution que ce sentiment de malédiction s’applique le plus, avec le régicide de Louis XVI et de Marie-Antoinette.
Une famille qui m’a toujours fasciné est celle des Witteslbach de Bavière, à laquelle on attribue un gène de folie et de neurasthénie.
Dans les différents facteurs qui peuvent provoquer ces destins funestes, les désordres psychiques ne sont pas les moindres…
La névrose joue évidemment une grande part dans ces trajectoires dramatiques : si Freud s’est d’abord intéressé aux familles royales, il y a une raison ! Aliéner votre liberté pour complaire à des millions de gens, avoir un sentiment d’omnipotence alors que vous ne jouez qu’un rôle de représentation : il y a une véritable dimension sacrificielle dans le rôle du souverain, qui peut provoquer ou accentuer les désordres psychiques. Les exemples abondent, de la tsarine Alexandra Feodorovna à Sissi, souffrant d’anorexie, de Catherine de Médicis, mère castratrice, à Marie Tudor, dite la Sanglante.
Quel est pour vous le destin le plus émouvant ?
Ce qui me glace d’horreur, c’est la prison du Temple et la fin de Louis XVII, particulièrement tragique car il ne s’agit que d’un enfant. J’ai moins de passion pour les Romanov, qui étaient des autocrates, sous leurs dehors de famille bourgeoise très anglaise villégiaturant dans leur palais de Livadia en Crimée.
Peut-on retrouver cette fatalité dans les régimes modernes, même non monarchiques ?
Je pense aux dynasties politiques, comme celle des Gandhi, avec l’assassinat d’Indira puis de son fils Rajiv, ou des Kennedy, où Robert connaît le même sort que son frère John. Comment ne pas citer les Pahlavi, chassés d’Iran, avec le calvaire de l’impératrice Farah, qui voit deux de ses enfants se suicider en exil ? Dans une certaine mesure, des dynasties industrielles, comme celle des Agnelli, marquée par des accidents, des suicides, entrent aussi dans cette catégorie. On a le sentiment que ces familles vivent tout au paroxysme, les succès et les malheurs.
En définitive, pourquoi ces parcours fascinentils tant le public ?
Ces destins hors du commun ont contribué à générer un certain nombre de légendes, comme celle de la Dame blanche, qui aurait rôdé chez les Habsbourg à la veille d’un événement funeste. De plus, ces drames sont souvent entourés de mystères. Ils alimentent un fantasme permanent, même chez des historiens très sérieux comme Marc Ferro qui nous dit qu’à Ekaterinbourg, le 17 juillet 1918, la tsarine et les filles de Nicolas II auraient survécu. S’ils fascinent autant, c’est que le public n’y voit pas un destin personnel malheureux mais la manifestation du doigt de Dieu.