Philippe le Bel, ou la fin de la lignée des Capétiens
Le 18 mars 1314, Jacques de Molay, grand maître du Temple, son bras droit, Geoffroy de Charnay, et quelques autres frères sont arrachés à la sordide cellule où ils croupissent, jetés dans une charrette brinquebalante et traînés devant la cathédrale Notre-
Àl’aube du 13 octobre 1307, l’ordre du Temple, puissant et mystérieux, s’écroule. Ainsi en a décidé Philippe IV, dit Philippe le Bel ou le roi de fer. Dans tout le royaume de France, c’est un gigantesque coup de filet qui laisse les victimes abasourdies. Hier encore, les moines guerriers tenaient rang parmi les princes de sang. À présent, ils sont brutalement accusés d’hérésie, de sacrilège et de sodomie.
Les templiers, créanciers du roi
Comment en est-on arrivé là ? À vrai dire, ce sont bien plus les problèmes matériels que spirituels qui ont motivé la vindicte du monarque. Dès le début de son règne, Philippe le Bel doit faire face à de lourds déboires financiers. Il lui faut entretenir les nombreuses guerres contre les grands féodaux, la Flandre et l’Angleterre. Il recourt donc périodiquement à des expédients : augmentation des taxes, spoliation des Juifs, réforme du Trésor, mais rien n’y fait. Le peuple et les nobles se révoltent contre la mise en place de nouveaux impôts. Le souverain va alors jusqu’à diminuer, procédé douteux, le poids de métal fin dans la monnaie. Mais cette altération ne sert à rien. Il lui faut emprunter toujours plus et les templiers deviennent bientôt ses plus importants créanciers. L’Ordre a accumulé une fortune considérable par la voie de ses opérations financières, inventant la banque moderne. Leurs commanderies servent de coffres-forts et de lieu de dépôt, ils assurent les transports de fonds et sont les
L’Ordre a accumulé une fortune considérable par la voie de ses opérations financières, inventant la banque moderne.
Tortures et infamies se succèdent. Certains avouent pour ne plus souffrir. Même Jacques de Molay faiblit et confesse ses supposées fautes.
premiers à diffuser le chèque sous forme de « lettre de change ». Philippe enrage de cette richesse et, lorsqu’il s’avère incapable de rembourser ses créanciers, décide de les frapper au coeur. Mais la puissance de l’Ordre possède de multiples ramifications. Inaugurant la première « opération de police » de l’Histoire de France, le roi et son garde du Sceau, Guillaume de Nogaret, décident d’investir les commanderies non pas une par une, mais toutes ensemble, sur tout le territoire.
Sept ans de tortures et d’horreur
15000 inculpés, sept ans de procédure, les interrogatoires se font sous le commandement de l’Inquisition. Il s’agit moins de connaître la vérité sur les pratiques hérétiques de l’Ordre que d’étayer l’accusation par des aveux. Tortures et infamies se succèdent. Certains avouent pour ne plus souffrir. Même Jacques de Molay, grand maître des templiers, faiblit et confesse ses supposées fautes. Mais, ce 18 mars 1314, devant Notre-Dame de Paris, au grand dépit de Philippe IV et de Nogaret, Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay se rétractent. Le soir même, ils sont brûlés vifs face aux jardins du palais de la Cité. Brave jusqu’à la mort, le grand maître se serait écrié : « Pape Clément, roi Philippe, je vous assigne avant un an au tribunal de Dieu. Maudits, tous maudits jusqu’ à la treizième génération de vos races ! » Une prédiction qui va vite se réaliser. Un mois après éclate l’affaire des « brus du roi » qui va engloutir les mariages des trois fils du souverain, signer la fin des Capétiens directs et marquer le début de la guerre de Cent Ans.
L’affaire des brus du roi
Près de dix années se sont écoulées depuis que Philippe le Bel, soucieux d’agrandir le royaume et de s’allier les deux Bourgogne (le Duché et la Comté-Franche qui deviendra par la suite la Franche-Comté), a marié ses trois fils à Marguerite, fille du duc bourguignon et à Jeanne et Blanche, ses cousines. Ces deux dernières sont les héritières de Mahaut d’Artois. Philippe peut se réjouir. La couronne, par ces mariages a fait ce que l’on appelle une bonne affaire. Les trois princesses sont jolies, gaies, pleines d’allant et leurs rires résonnent dans les sombres couloirs du palais, rendant ces derniers presque agréables. Le roi lui-même, pourtant peu enclin à la légèreté, se prend à sourire à leurs plaisanteries, lui dont un contemporain affirme pourtant : « C’est le plus bel homme du monde mais il ne sait que regarder fixement les gens, sans parler. Ce n’est pas un humain, ni une bête, c’est une statue ! » Mais, si le roi cède à tous les caprices de ses brus, elles ont, dans l’ombre, deux ennemis implacables, Isabelle, la seule fille de Philippe le Bel mariée à Edouard II d’Angleterre et Robert, comte d’Artois. Pour celui-ci, la chose est simple, la haine qu’il voue aux princesses découle de celle, plus intense encore, qu’il éprouve pour leur mère Mahaut, sa propre tante qui, profitant de son jeune âge, l’a spolié de l’héritage d’Artois. Depuis, il lui intente procès sur procès. En vain, le roi la protège.
Marguerite et Blanche sont jugées, condamnées à être tondues, et conduites à la forteresse de Château-Gaillard
Pour Isabelle, les choses sont plus compliquées. Marguerite est une intruse qui l’a comme dépossédée. Mal mariée, alors qu’elle voit les favoris de son époux plonger à pleines mains dans sa cassette, elle enrage de voir la future reine de France (Marguerite a épousé Louis, l’aîné des fils du roi) vivre dans le luxe aux côtés d’un époux qui la couvre de cadeaux. Entre la Bourguignonne, brune déesse sensuelle, et la blonde capétienne, c’est la haine au premier regard. Dès qu’elles en ont l’occasion, elles se toisent, se défient, se jalousent. On s’est donc étonné lorsqu’en hiver 1313, Madame Isabelle ayant passé le « Channel » pour rendre visite à sa famille, a fait cadeau à ses belles-soeurs de magnifiques aumônières brodées. Nul ne se doute alors qu’il s’agit là d’un plan minutieusement fomenté par Artois et la reine. Chacun sait en France que Marguerite déteste son mari Louis qui d’ailleurs le lui rend bien. Et qu’elle est prête à toutes les folies pour s’étourdir et oublier les désagréments de cette union avec le « Hutin », le « disputeur ». Elle a donc vite trouvé des consolations à ses déboires conjugaux dans les bras de quelques-uns de ces damoiseaux enamourés qui se pressent autour d’elle, entraînant dans ces désordres la jeune Blanche, épouse un peu naïve de Charles. Jeanne semble n’être que complice. Bien entendu, des bruits courent, mais Philippe le Bel, accaparé par les ordonnances d’impositions et l’affaire des Templiers, n’y prête pas garde.
Du scandale à la malédiction
Avril 1314, un mois après le supplice de Jacques de Molay, Isabelle, en visite en France, se rend compte que deux des aumônières naguère offertes, pendent à la ceinture des chevaliers Gauthier et Philippe d’Aunay. Dès cet instant, elle suspecte des rapports illicites entre les deux hommes et ses belles-soeurs. Son intuition est bientôt confirmée. Elle s’ouvre de sa découverte à son père qui diligente immédiatement une enquête. La conclusion tombe rapidement. Marguerite et Blanche ont des amants. Pour Jeanne, le doute subsiste. Philippe Le Bel entre dans une rage froide. Les frères d’Aulnay sont arrêtés, torturés, châtrés, écorchés vifs, écartelés, éviscérés et enfin décapités. Marguerite et Blanche sont jugées, condamnées à être tondues, et conduites à la forteresse de ChâteauGaillard. Jeanne est placée sous surveillance au château de Dourdan. Le scandale engloutit les mariages des trois fils du souverain. Pis encore. La malédiction du grand maître va bientôt signer la fin des Capétiens directs et le début de la guerre de Cent Ans.