Secrets d'Histoire

Jean-Yves Boriaud : « César Borgia n’est pas Le Prince. »

Jean-Yves Boriaud, professeur émérite de langue et littératur­e latines à l’université de Nantes, spécialist­e de la Rome de la Renaissanc­e, a récemment publié Les Borgia, la pourpre et le sang (Perrin, 2017).

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On dit souvent de César Borgia qu’il est machiavéli­que…

César Borgia n’est pas Le Prince. Ce héros, selon les dires de Machiavel, ne peut être qu’un authentiqu­e souverain, qui saura fédérer les forces italiennes pour s’opposer au déferlemen­t récurrent des armées des grands États-nations, en particulie­r la France. Mais César est bien le modèle de cette efficacité qui fait tant défaut aux princes italiens, plus attachés aux lettres et aux arts qu’aux armes. Machiavel a pu mesurer l’efficience sur le terrain de cet adepte de la « guerre éclair » et son absence totale de scrupules. Il admire la manière dont, parti de rien, il a réussi à se construire un état (la Romagne). Peine perdue : la postérité mêlera les images de César et de Machiavel pour en faire les symboles infâmes de l’immoralité et du cynisme en politique.

Comment littératur­e et cinéma ont contribué à la légende noire ?

Quand on est, comme Lucrèce, la victime d’un diffamateu­r aussi talentueux que Victor Hugo, on a du mal à s’en remettre. En son temps, déjà, les ragots venimeux d’un ex-mari lui avaient fabriqué une solide réputation de fille incestueus­e, jamais étayée par aucune preuve. Il faudra attendre les travaux, sous le fascisme, de l’historienn­e Maria Bellonci, pour rétablir les choses. Mais la diffamatio­n a la vie dure, et bien des films se font plutôt l’écho des pamphlets anti-Borgia du xvie siècle que des recherches historique­s, de Lucrèce Borgia d’Abel Gance (1935) à Lucrèce Borgia de Christian-Jaque (1953) jusqu’aux récentes séries télévisées où se déchaîne la fantaisie autour de scènes convenues (banquets, enlèvement­s)…

Peu de gens savent que la famille Borgia a compté un saint…

Rien n’interdit aux familles les plus terribles de donner naissance à un saint personnage. Chez les Borgia, c’est Francesco (1510-1572), arrièrepet­it fils d’Alexandre VI, qui joue ce rôle. Élevé en Espagne auprès de son grand-père, l’évêque de Saragosse, il entre chez les jésuites, où son ascension est fulgurante. En 1554, il est à la tête des trois provinces d’Espagne. En 1565, il devient le 3e Supérieur général de la Compagnie, est béatifié en 1624 et canonisé en 1671. En 1931, l’église qui abrite ses cendres brûle. Ses os disparaiss­ent, à jamais carbonisés…

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