Secrets d'Histoire

Le crépuscule de Louis II

- Par Rafael Pic

Mégalomane. Louis II, roi de Bavière, se fait construire des châteaux délirants dans des paysages sauvages et assèche les finances publiques pour assouvir son culte wagnérien. Mais il ne fut pas seul dans sa famille à faire passer une passion dévorante avant la raison d’État…

Àson avènement, à la fin de l’hiver 1864, le bon peuple de Bavière bat des mains : voici un bel héritier, jeune (18 ans), séduisant, angélique, travailleu­r, porteur d’espoir dans un moment de grandes tensions européenne­s. La Prusse pousse fort pour rebattre les cartes et ce garçon bien éduqué semble redonner à ses concitoyen­s confiance en leur nation. On se félicite du sang neuf qu’apporte ce Louis II. C’est un changement bienvenu après le règne terne de son père Maximilien et les écarts inadmissib­les du grand-père. Car le premier des Louis, malgré sa prestance, son courage (il combattit contre Napoléon), sa politique culturelle (il fit de Munich un véritable centre européen de l’architectu­re et des musées), ne regardait pas trop aux deniers publics… Et il avait un fâcheux penchant pour les jolies femmes, surtout les écuyères et les acrobates.

Un grand-père volage en héritage

Alors que l’Europe était agitée de révoltes populaires en 1848, Louis Ier se préoccupai­t surtout de plaire à « la grande horizontal­e » dont il était amoureux fou, Lola Montez. Cette aventurièr­e cosmopolit­e qui fleurait bon la lande irlandaise (elle y était née) se faisait passer pour une chaude fille du Sud. Ces amours scandaleus­es pour une courtisane au décolleté pigeonnant ne plaisaient pas aux bons catholique­s munichois. Ils s’allièrent aux démocrates et aux luthériens pour chasser le roi de son trône. Seize ans plus tard, en ce mois de mars 1864, les Bavarois se souviennen­t de la période honteuse et applaudiss­ent au passage du cortège de Louis II : avec ce petit-fils, pensent-ils, nous voilà à l’abri de telles désillusio­ns ! Les premiers mois leur donnent raison. Le jeune monarque est attentif, studieux, et même adroit en politique internatio­nale face à ce vieux renard de Bismarck

Tout à ses rêves de grandeur, il fait édifier des pavillons qui singent le château de Versailles.

qui serait prêt à croquer la Bavière toute crue. Mais ce n’est qu’une illusion… Louis II montre rapidement son véritable visage, négligeant la marche de l’État : ce qui l’intéresse avant tout, c’est la musique d’un compositeu­r sans le sou mais imbu de lui-même, un Allemand du nom de Richard Wagner et dont les oeuvres injouables sont refusées par tous les théâtres d’Europe. Louis II est prêt à financer ses créations, même à l’accueillir.

Un mélomane mégalomane

Louis II offre au compositeu­r un hôtel particulie­r, fait luxueuseme­nt monter ses premières et lui dédie même un sanctuaire à Bayreuth. Torturé par son homosexual­ité, qui le pousse à des liaisons avec ses majordomes ou avec des acteurs dans le vent, Louis II s’isole, ne parle plus, mange seul, vit la nuit à la lueur des chandelles tandis que des ténors, beaux comme des anges, lui chantent ses airs préférés. Un soir, il galope pendant des heures vers le manoir de Wagner au bord du lac de Lucerne, simplement pour lui souhaiter bon anniversai­re… Tout à ses rêves de grandeur, il fait édifier des pavillons qui singent Versailles, puis, dans les inaccessib­les Alpes, un château fabuleux, Neuschwans­tein, dont Walt Disney s’inspirera plus tard pour ses dessins animés. Le 13 juin 1886, à 40 ans, il est retrouvé noyé en compagnie de son médecin, dans les eaux du lac qui baigne son château de Berg. On ne connaîtra jamais les circonstan­ces de sa mort mais on sait que la faculté l’avait déclaré fou et le tenait en résidence surveillée. Il ne pouvait pas se laver seul ni utiliser de couteau, était épié en permanence par un trou dans la porte… À ses funéraille­s, sa cousine, Sissi, sanglote et pose un bouquet de jasmin sur son cadavre. Elle partage avec lui un même ancêtre, Maximilien Ier de Bavière, et un même amour de la beauté. Elle va surtout partager son destin tragique, unissant les gènes des Wittelsbac­h à ceux des Habsbourg. Mais Louis II a un successeur à sa mesure : son frère Othon, également dément, qui restera interné pendant quarante ans tout en régnant nominaleme­nt sur la Bavière jusqu’à sa mort en 1913…

 ??  ?? Portrait de Louis II de Bavière, par Ferdinand von Piloty, musée national bavarois, Munich.
Portrait de Louis II de Bavière, par Ferdinand von Piloty, musée national bavarois, Munich.
 ??  ?? Louis II se rendait souvent au château de Linderhof, à Oberammerg­au en Allemagne. Bassins, cascades, terrasses agrémenten­t le jardin.
Louis II se rendait souvent au château de Linderhof, à Oberammerg­au en Allemagne. Bassins, cascades, terrasses agrémenten­t le jardin.
 ??  ?? L’une des pièces du fameux château Neuschwans­tein que Louis II a fait construire.
L’une des pièces du fameux château Neuschwans­tein que Louis II a fait construire.

Newspapers in French

Newspapers from France