Marius Jacob et les Travailleurs de la nuit
Abbeville (Somme), dans la nuit du 21 avril 1903. Trois hommes quittent en toute discrétion une villa de la place Saint-Pierre qu’ils viennent de « visiter », en direction de la gare de Pont-Rémy. Ça drache dru, les rues sont désertes. Le premier train pour Paris est au petit matin. Le trio attend dans la pénombre, lorsque deux policiers en planque lancent les sommations d’usage. L’arrestation tourne mal, un agent est tué. Un des bandits, Marius Jacob, est arrêté et jeté en prison.
Alexandre Marius Jacob, dit Marius Jacob, n’est pas un inconnu pour la justice. Ancien ouvrier imprimeur, né à Marseille en 1879, c’est un militant libertaire et un théoricien de l’illégalisme. À la tête des Travailleurs de la nuit, une association anarchiste, il mène son combat contre le capitalisme. Et pour ce faire, il s’ingénie à prendre l’argent là il se trouve. Belle originalité… Dans les pages de l’hebdomadaire Voilà, le grand reporter Alexis Danan décrit Jacob, comme « un homme d’infinies ressources, ouvrier d’une adresse rare, au surplus chef à la tête froide et organisateur de génie ». solides pas se retrouver nez à nez avec de éclaireur forces de police. Ordinairement, un sur a « marqué » et mis des scellés une dizaine de demeures momentanément deux inhabitées. Le jour J, Jacob et habiles « monte-en-l’air » débarquent
Dès ses débuts, en 1900, Jacob constitue réparties sa bande qu’il organise en brigades, en trois grandes zones géographiques des dans tout le pays. Le mode opératoire voleurs repose sur une grande mobilité, des repérages minutieux et l’utilisation les du réseau ferré, dont ils apprennent horaires par coeur. En choisissant d’écumer églises les villas et propriétés, ainsi que les villes (Jacob déteste le clergé!), des petites de ne de province, la bande est certaine et Le 8 mars 1905, le procès de Jacob débute de ses 23 Travailleurs de la nuit Le devant la cour d’assises de la Somme. pièces dossier est lourd de quelque 20 000 pages; et l’acte d’accusation compte 161 Les 106 cambriolages leur sont imputés. sommes du butin amassé donnent le vertige. les par le train du soir; se rendent dans objets villas « marquées », les vident des et de valeurs, percent les coffres-forts… repartent tranquillement par le premier forfaits train du matin. Le temps que leurs soient découverts, les bijoux, métaux argent précieux et autres ménagères en ! massif ont déjà rejoint la fonderie maison ils sont Quant aux actions et autres titres, passant vite écoulés via un astucieux circuit par l’étranger.
Dès le début des débats, Jacob revendique les deux meurtres de policiers, seuls crimes de sang de la bande, bien que les expertises balistiques le disculpent. L’homme aime les gens du peuple. Devant son auditoire venu en masse, il fait le spectacle. Dans L’Illustration, l’envoyé spécial écrit : «Son attitude est extraordinaire. Il raille, il bafoue ses victimes dont la richesse, dit-il, est une insulte permanente à la misère. (…) C’est un type peu banal, malfaisant, dangereux mais curieux. Il ironise, plaisante, parfois pas sottement, cynique, jamais à court de réparties. » D’accusé, Jacob se fait accusateur, dénonçant le « vol légal », l’héritage, la propriété. Il se livre à un plaidoyer en faveur des victimes de l’inhumain capital. Il réussit son coup. Le public l’ovationne. Des « Vive l’anarchie ! » fusent, tandis que Jacob et ses comparses rejoignent sous président protection la prison de Bicêtre. Le terminera le procès en l’absence Le des accusés, afin d’éviter l’émeute. les procureur requiert la peine de mort, atténuantes, jurés accordent les circonstances la cour. malgré les pressions de au À 25 ans, Marius Jacob est condamné bagne à perpétuité. Il en sortira dix-neuf années plus tard. Le 28 août 1954, l’ancien en Travailleur de la nuit met fin à ses jours compagnie de son chien. Libre enfin.