Charles VI, un règne entre drames et folie
La légitimité de Charles VI, qui régna près de trente années en alternant périodes de folie et de rémission, ne pouvait être remise en question de son vivant. La cause des tourments du roi, élu de Dieu, ne pouvant venir que de l’extérieur, il s’agissait forcément d’un maléfice ou d’une malédiction orchestrés par une faction rivale. La faiblesse de Charles le Bien Aimé allait causer le malheur du royaume.
En ce 5 août 1392, Charles VI s’engage avec sa suite dans la forêt du Mans. Un misérable se précipite alors audevant du roi de France pour le prévenir d’un péril : on va le trahir ! Les chevaliers, le prenant pour un fou, le chassent et tous poursuivent leur chemin. La troupe sort des sous-bois quand un éclat retentit : un page mal éveillé a laissé échapper sa lance qui s’est abattue avec fracas sur le casque de celui qui le précède. À ce bruit, Charles VI est saisi de folie furieuse. Persuadé qu’on l’attaque, il brandit son épée et se précipite sur ceux qui l’entourent, parmi lesquels son propre frère, Louis d’Orléans, qui parvient à s’échapper. Le roi tue quatre hommes avant qu’on ne parvienne à le maîtriser et à le ramener, ligoté à une charrette. Passé cet épisode de frénésie, le forcené sombre dans un état d’inconscience et son entourage le croit perdu. Il finit cependant par revenir à lui. Sa vie ne sera plus, dès lors, qu’une succession de phases de lucidité, où il essaie de gouverner aussi bien qu’il le peut, et de folie, où il en est bien incapable. Il délègue de fait le pouvoir à son entourage : ses oncles et sa femme, Isabeau de Bavière, pour le plus grand malheur du royaume…
Une politique de paix
À son avènement, Charles VI portait tous les espoirs du temps. Pourtant, comme le décrit Bernard Guenée, il est « un esprit absent dans un corps vigoureux » (La Folie de Charles VI, éditions du CNRS). Couronné à la mort de son père Charles V, survenue en 1380, il prend réellement le pouvoir le 3 novembre 1388, par un
coup de force, écartant ses oncles régents, les ducs de Berry, de Bourgogne, de Bourbon et d’Anjou. Il a alors 20 ans. Il rappelle les conseillers de son père, surnommés les Marmousets, et mène une politique de paix civile et diplomatique, de modération des impôts, à l’opposé de celle de ses oncles.
Châtiment divin ou ensorcellement
Le jeune Charles VI, dont les débuts s’inscrivent dans la sagesse, se fait rapidement aimer de ses sujets. Le coup de folie imprévisible de 1392 choque d’autant plus ses contemporains. On évoque un empoisonnement mais la récurrence des crises écarte cette hypothèse. On suggère alors une malédiction et un envoûtement. Pour les combattre, des sorciers sont sollicités. Tous échouent. Aussi, raconte Bernard Guenée, sont-ils exécutés, parce qu’après tout… ce sont des sorciers ! La population blâme l’entourage du roi plus que ce dernier, auquel elle reste attachée : il garde son surnom de Bien Aimé (même si Le Fol finira par s’imposer). Il est le souverain légitime et il n’est pas question de le renverser. Ses périodes de lucidité ne lui permettent pas, malgré les efforts qu’il déploie, de défendre le royaume. Le clan Valois finit par se déchirer. Bientôt, la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons ensanglante le règne et favorise la reprise des hostilités avec l’Angleterre. Henri V profite de cet état de faiblesse pour débarquer en France et s’emparer de la Normandie, après la bataille d’Azincourt (1415). Les Bourguignons s’allient aux Anglais et s’entendent sur le Traité de Troyes (1420) qui prévoit le mariage d’une fille de Charles VI avec le roi d’Angleterre, et l’accès de ce dernier au trône de France à la mort de Charles VI – ce qui revient à nier les droits du Dauphin, futur Charles VII. Charles VI signe ce traité, auquel il n’est pas en mesure de s’opposer, abandonnant ainsi le royaume aux Anglais.