Nouveaux aliments, révolutions de palais
Composons un menu à travers les âges ! Du plat de résistance en passant par les légumes, sans oublier les délicieux fromages, jusqu’aux desserts les plus gourmands. Un festin digne de nos rois, savoureux et créatif.
Le Moyen Âge fut le siècle des épices, fort onéreuses, grâce auxquelles les villes qui en eurent le monopole, Gènes ou Venise pour la cannelle ou le poivre, bâtirent des fortunes immenses. Tout ou presque, en matière des plaisirs de la table, commence à la Renaissance, période faste, colorée, contrastée, qui pousse notre pays à vivre d’une autre manière. Passant les cols des Alpes, la suite luxueuse qui accompagne une jeune princesse venue de Florence et destinée à épouser Henri, duc d’Orléans, second fils du roi de France, François Ier, va changer profondément la donne.
L’exotisme entre en cuisine
Catherine n’est pas de sang royal et pourtant son oncle, Clément VII, un Médicis comme elle, a l’idée judicieuse de déposer dans la corbeille nuptiale… des haricots ! Est-ce manière de se moquer ? Que nenni ! Sa Sainteté est convaincue, et comme elle a raison, que ce trésor des jardins deviendra très vite une panacée contre la famine. « Dieu m’est témoin, écrit Clément, que ces graines multicolores seront de véritables joyaux. » François Ier, dans ses châteaux, donne des fêtes somptueuses. Le luxe s’italianise. Catherine a fort bel appétit. Elle manquera un beau jour de mourir d’une indigestion de ragoût poivré aux crêtes et rognons de coq ! Elle raffole du veau, considéré comme chair délectable et plus précieuse que celle du boeuf, et les artichauts n’ont plus de secrets pour elle. Déjà connu des Grecs et des Romains, le cardon, ou chardon, passe pour avoir des pouvoirs aphrodisiaques. Originaire d’Afrique du Nord – certains auteurs évoquent
l’Éthiopie ou encore l’Égypte – c’est Philippe Strozzi qui le conduit de Naples où sa culture a été nettement améliorée par les Arabes, jusqu’à Florence. Sous l’impulsion de la jeune reine, on découvre un agrume, le cédrat, tandis que les pâtes et les sauces s’allègent.
Le sorbetto de Catherine
La table est jonchée d’étoiles de sucre, de romarin et de fleurs de lavande, le linge lavé à l’eau de nèfle. Henri II déguste ses escargots soigneusement retirés de leurs coquilles et frits à la broche comme des rognons ! Catherine demande aussi à ses cuisiniers de leur mitonner des ragoûts de brocolis aux amandes ou à l’ail, autre découverte pour les palais français et dont le nom, dérivé du latin bracchium signifie branche. Pour les desserts, la reine de France en est folle, place aux sorbets. Rapporté d’Orient par les croisés, le sorbetto est revisité par l’Italie et la souveraine connaît sa piquante onctuosité depuis l’enfance. Ses pâtissiers glaciers réalisent des prouesses et lui concoctent le fameux tutti frutti, à base de fruits et de sabayon crémeux…
Conquêtes et découvertes
Le chocolat est servi sans sucre et à toute heure de la journée. Il connaît et connaîtra une vogue immense. Rapporté par Cortès dans ses malles de conquistador avec recette et ustensiles de préparation, il séduit Charles Quint, le grand rival de François Ier. L’aventurier Cortès vante ses effets : « lorsqu’on en a bu, on peut voyager toute une journée sans fatigue et sans besoin de nourriture ». Plus tard, à la cour de Louis XIII, il sera dégusté accommodé de pastilles d’ambre, de crème, de cannelle, de poivre, de vanille et de sucre râpé en quantité si importante que la cuillère tient debout dans la tasse ! Anne d’Autriche, en bonne Espagnole, le fait servir à ses dames dans ses appartements privés ainsi qu’à Richelieu qui en est friand.
Éprise de nouveautés, Catherine de Médicis n’hésite pas à faire proposer, lors du mariage de son fils Charles avec Élisabeth d’Autriche, de la dinde tout droit rapportée des Amériques. Un autre banquet sera proposé aux jeunes mariés par la ville de Paris. Lors de ce jour faste, furent servis exclusivement des plats de poisson. C’était un vendredi, jour maigre, et furent immolés à la gourmandise des convives : 1 000 grenouilles, 200 harengs frais, autant de fumés, 18 turbots de belle taille, autant de barbues, 50 livres de baleines, 18 truites, 50 carpes, 18 lamproies et 200 lamprillons, une variété de petite lamproie !
Poule au pot, fromage et potager royal
Henri IV, le nouveau souverain, va bientôt devoir faire face à une situation dramatique. Le royaume, épuisé par les guerres de religion, subit de plein fouet la famine. Selon la légende, il souhaite ardemment que chaque foyer bénéficie d’un plat national français. « Si Dieu me donne encore de la vie, s’exclame-t-il, je ferai qu’il n’y aura point de laboureur de mon royaume qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot le dimanche. » Il s’agit de la fameuse, et délicieuse, recette venue tout droit du Béarn, une poule de Gascogne, servie farcie et cuite avec douceur et tendresse dans un bouillon de boeuf béarnais et de bons légumes du potager. En France, pas de repas digne de ce nom sans fromage ! Déjà au siècle précédent, Charles VI, fou de roquefort, d’ailleurs comme un certain Jules César, octroie au bourg de Roquefortsur-Soulzon l’exclusivité de l’affinage de ce fromage persillé. Le succès est si grand que les pains de roquefort deviennent monnaie d’échange. Louis XI lui préfère le saint-marcellin… et la légende s’en mêle ! Attaqué par un ours, défendu par de braves chasseurs, il se remet de ses émotions avec un peu de vin, du pain et du fromage. Il le trouve si délicieux
Dans le potager du roi, le jardinier se met au travail, acclimate la figue et le melon, cultive orangers, multiplie des prouesses à contre-saison…
qu’il en demande le nom, saint-marcellin, et introduit vite à sa Cour cette petite merveille onctueuse au lait de vache. Demeurent les légumes et les fruits, véritable institution élevée au rang d’art ! On se souvient de la reineclaude, cette prune charnue et parfumée, nommée ainsi en l’honneur de l’épouse du roi François Ier et cultivée à partir d’un prunier venu d’Asie. Ayant hérité du formidable appétit de ses ancêtres, Louis XIV demande au très génial Jean-Baptiste de La Quintinie de faire des prouesses. Dans le potager du roi, le jardinier se met au travail, acclimate la figue et le melon, cultive orangers, multiplie des prouesses à contre-saison : laitues en janvier, fraises en mars, met en place la culture en espalier pour les arbres fruitiers. Louis, gourmand, raffole des petits pois quand son médecin Fagon les accuse de perturber l’estomac royal. Madame de Sévigné s’amuse de cet engouement furieux. « Le chapitre des pois dure toujours, écrit-elle ; l’impatience d’en manger, le plaisir d’en avoir mangé, et la joie d’en manger encore sont les trois points que nos princes traitent depuis quatre jours. »
À la fin de l’Ancien Régime, afin d’éradiquer définitivement le spectre de la famine, Louis XVI se décide à faire apprécier la pomme de terre aux Français. D’abord mal-aimé, on l’accuse de transmettre la peste, ce tubercule rapporté du Nouveau monde connaît un engouement sans précédent. Antoine Parmentier, apothicaire militaire, découvre la bouillie de pommes de terre en Allemagne alors qu’il y est prisonnier. Séduit, il n’aura de cesse de s’en faire l’apôtre et d’en conseiller les cultures.
Champagne !
Les caves royales sont assurément magnifiques et fort abondamment fournies. Si Louis XIV boit du bourgogne, Fagon l’a déclaré « tonique, astringent et
plus généreux », le siècle des Lumières est celui du champagne ! Madame de Pompadour assure que « ce nectar est le seul à laisser les femmes belles après l’avoir bu ! » Un décret de Louis XV, daté de 1728, autorise son expédition en bouteilles et non plus en tonneaux : voici qui renforce sa qualité et assure sa garantie d’origine. Il peut aisément s’exporter, séduire les cours européennes et jusqu’à l’empereur de Chine. Louis XVI boit des vins de Languedoc, Vauvert, Frontignan, Graves, Sauternes, Chablis, Malaga, Malvoisie ou Fronsac, Meursault, Tonnerre, Irancy, sans oublier des vins du Rhin et même de la bière. Dernier clin d’oeil gourmand, Napoléon III découvre le camembert, l’invention de Marie Harel, sur la ligne de chemin de fer qui traverse le Pays d’Auge. Le petit-fils de la belle fermière, Victor Paynel, lui en offre lors d’un arrêt à une station. Quoi de meilleur qu’un bon verre de vin rouge accompagnant un généreux morceau de ce fromage. Il le trouve si délicieux qu’il décide d’en assurer le succès aux Tuileries comme en Europe. En somme, une promotion impériale.
Les caves royales sont assurément magnifiques et fort abondamment fournies. Antoine Parmentier, apothicaire militaire, découvre la bouillie de pommes de terre en Allemagne alors qu’il y est prisonnier.