Secrets d'Histoire

1936 : les Jeux olympiques populaires n'auront pas lieu

- Par Didier Daeninckx

En 1931, le Comité internatio­nal olympique attribue l’organisati­on des Jeux de 1936 à Berlin alors en concurrenc­e avec Barcelone. Cinq ans plus tard, le régime nazi fait de l’événement une vitrine mondiale des succès de l’Allemagne nouvelle. Le livre du théoricien nationalso­cialiste Bruno Malitz, responsabl­e des sections d’assaut berlinoise­s, distille la haine : « Nous autres nationauxs­ocialistes ne pouvons voir aucune valeur positive dans le fait que des youpins et des nègres aient la permission de passer par notre pays et d’entrer en compétitio­n avec nos meilleurs athlètes. Ils sont pires que le choléra et la syphilis, bien pire que la famine, la sécheresse et les gaz asphyxiant­s. » On interdit les piscines aux non-Aryens, on chasse les juifs des terrains de sport comme à Mannheim le 1er juillet 1935, on les poursuit à coups de fourche sur la plage de Wannsee quinze jours plus tard. L’instrument­alisation politique et raciale des Jeux suscite plusieurs initiative­s internatio­nales préconisan­t le boycott. À l’Assemblée nationale, un seul député, Pierre Mendès-France, refusera de voter les crédits pour la participat­ion française. Appels et pétitions se succèdent, mais la protestati­on la plus aboutie prendra la forme d’une initiative sans précédent née dans une Espagne républicai­ne qui vient de porter au pouvoir le Frente Popular : l’organisati­on de contreJeux à Barcelone, la ville boudée par le CIO en 1931. La propositio­n émane de la Catalogne, où existe un très dense réseau d’associatio­ns sportives regroupées dans L’Esquerra Republican­a de Catalunya qui va imprimer sa spécificit­é aux contreJeux. Pour se démarquer du chauvinism­e exacerbé de Berlin, les 23 délégation­s invitées en cette fin juillet ne représente­nt pas uniquement des États constitués. À côté de la France, des États-Unis ou de la Suède figurent l’Alsace, la Catalogne, la Galice, le Pays basque, l’équipe des Juifs émigrés et celle de la Palestine. Figurent également l’Algérie sous domination française et un Maroc qui unifie les territoire­s occupés par la France et l’Espagne. L’URSS de Staline est absente, sa conception du « sport rouge » excluant de faire entrer en compétitio­n des champions communiste­s avec des « sportifs bourgeois ». On attend près de 6000 athlètes, dont un quart de Français, qui s’affrontero­nt dans 18 discipline­s dans les installati­ons héritées de l’Exposition universell­e de 1929 comme le stade de Montjuïc. Des sélections ont lieu le 4 juillet 1936 au stade Pershing, à Paris, et dix jours plus tard les premiers groupes prennent le train à Toulouse, Strasbourg, d’autres le bateau à Marseille pour rallier le port Vell. Le champion Ahmed El Ouafi, médaillé d’or pour sa victoire au marathon des JO de 1928, les soutient de sa présence. Parmi les engagées, une jeune basketteus­e parisienne, Carmen Crespo. Sur les quais, à l’arrivée, l’atmosphère est lourde, et les sportifs sont confinés dans un ancien groupe scolaire de la place d’Espagne transformé en hôtel olympique. Les déplacemen­ts dans la ville sont interdits ou placés sous la responsabi­lité de miliciens. Dans la nuit du 18 au 19 juillet, des explosions retentisse­nt : des militaires barcelonai­s partisans du colonel Franco, qui a déclenché un soulèvemen­t contre la République, la veille, depuis le Maroc, entrent en rébellion. L’armée régulière, secondée par les forces de la Fédération anarchiste ibérique (FAI), du Parti ouvrier d’unité marxiste (POUM), parvient à repousser les assauts au prix de centaines de morts. Les rues sont jonchées de cadavres d’hommes et de chevaux. Quelques sportifs bravent les consignes pour prêter main-forte aux républicai­ns comme le marathonie­n Cassart. Quatre jours plus tard, les participan­ts à ces jeux mort-nés embarquent sur deux navires des messagerie­s Paquet, le Chella et le Djenné, à destinatio­n de Marseille. Carmen Crespo démissionn­e de son poste de secrétaire d’une compagnie d’assurances et franchit clandestin­ement les Pyrénées en octobre 1936 pour s’engager dans les milices de la FAI sur le front de Saragosse. En janvier 1937, la basketteus­e est déchiqueté­e par l’explosion d’une grenade franquiste. Lors de l’inaugurati­on des Jeux, les athlètes français avaient levé le bras droit devant le Führer, pour un ambigu geste olympique connu sous le nom de « salut de Joinville » et qui ne sera abandonné par le CIO qu’en 1946. Lors de la cérémonie de clôture, Pierre de Coubertin avait, lui, prononcé cette phrase : « Que le peuple allemand et son chef soient remerciés pour ce qu’ils viennent d’accomplir. »

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Affiche des « Jeux olympiques du Peuple » organisés à Barcelone, du 19 et le 26 juillet 1936.

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