Au commencement était l’enfance
La vocation de Thérèse est précoce et plonge ses racines dans une enfance marquée par l’exemple édifiant de la foi sincère et généreuse de ses parents, aspirants à la sainteté, par l’amour de ses soeurs et de son père chéri, Louis Guérin, mais aussi par des deuils, au premier rang desquels celui de sa mère, disparue alors que Thérèse est toute petite. Une épreuve qui changea le caractère de l’enfant, mais qui, de crises en révélations, lui dessinera un chemin.
Dernière-née d’un couple aimant et très pieux, la jeune Thérèse réalise en quelque sorte la destinée d’une famille tout entière tournée vers la foi et l’amour : cette enfance et cette éducation seront déterminantes dans sa vocation. Lorsque Thérèse voit le jour le 2 janvier 1873, elle arrive dans un foyer ébranlé par la disparition de quatre enfants, décédés entre l’âge de 2 mois et 5 ans et demi. Quatre autres filles ont cependant survécu: Marie, née en 1860, Pauline, née en 1861, Léonie, en 1863 et Céline en 1869.
Louis Martin (1823-1894) et Zélie Guérin (1831-1877). Mariés le 13 juillet 1858, ils eurent neuf enfants dont Thérèse. Ils furent béatifiés en 2008 à Lisieux pour l’exemplarité de leur vie de couple et canonisés à Rome en 2015 par le pape François.
Des parents dévoués et dévots
Louis Martin, leur père, est un bel homme, élégant, athlétique, plutôt grand pour l’époque. Né en 1823, fils d’officier, il a bénéficié d’une éducation soignée et envisage assez tôt de devenir horloger. La disparition brutale de sa petite soeur Sophie, en 1842, le bouleverse: il fait une retraite à l’hospice du Grand-Saint-Bernard et demande à devenir moine. Sa candidature est rejetée car il ne parle pas le latin, indispensable pour célébrer la messe. Il poursuit donc son apprentissage professionnel, vit un temps à Paris avant de s’installer à Alençon où il ouvre son propre commerce d’horlogerie, puis de bijouterie, bientôt florissant. Ses parents viennent finalement vivre auprès de lui après la mort de ses trois autres frère et soeurs. Ces deuils successifs renforcent la foi de Louis et l’encouragent à mener une vie monastique, toute dévouée à la communauté, et rythmée par de nombreux pèlerinages et retraites, habitude qu’il conservera tout au long de sa vie. Son épouse, Zélie Guérin, a elle aussi voulu devenir religieuse. Très intelligente, vive, énergique, extrêmement dévouée et généreuse, elle est également une femme d’affaires aguerrie. Formée au point d’Alençon, un artisanat qui fait
la renommée de la ville, elle devient rapidement l’une des dentellières les plus recherchées, notamment par les grandes maisons de haute couture parisiennes. Elle monte son entreprise, avec ses ouvrières, et apporte sa dextérité à la délicate étape finale de l’assemblage. Lorsqu’ils se croisent sur le pont Saint-Léonard, un jour d’avril 1858, chacun a déjà construit en partie sa vie, et de manière accomplie. Pour Zélie, c’est un coup de foudre. Quelques mois plus tard, ils se marient. Mais les époux, tous les deux très pieux, décident de rester chastes et de vivre comme frère et soeur. Il semblerait que la nuit de noces ait en réalité traumatisé Zélie, pas du tout préparée à la sexualité et que cette dernière lui ait semblé bien incompatible avec la sainteté. Au bout d’un an, l’intervention de leur confesseur les encourage à fonder une famille, but du mariage chrétien selon lui. Très uni, le couple aura ainsi neuf enfants en treize ans.
Une enfant entourée de soins
Et Louis comme Zélie vont être des parents éperdus d’amour pour leurs enfants. Louis est fou de ses filles. Il leur donne des surnoms : Thérèse sera sa « petite reine ». Et les filles adorent leurs parents. Débordée de travail, épuisée par les grossesses, Zélie ne se départit pourtant jamais de sa bonne humeur, cache sa fatigue et bientôt les douleurs du mal qui la ronge et l’emportera bientôt. Louis finit même par abandonner sa propre activité pour apporter son aide au commerce de sa femme.
Atteinte d’un cancer du sein qui couve pendant des années, Zélie ne peut allaiter ses enfants qui sont envoyés en nourrice à la campagne. Plusieurs d’entre eux meurent en bas âge et les parents culpabilisent en se demandant si, loin d’eux, leurs enfants chéris ont bien bénéficié de tous les soins nécessaires. La mortalité infantile est alors élevée, mais chaque deuil est pour Louis et Zélie une tragédie, et la plaie est chaque fois plus profonde. Alors quand arrive Thérèse, ils veulent à tout prix la garder auprès d’eux. N’est-elle pas la deuxième petite Thérèse? La première, qu’ils adoraient, était morte à deux mois… Malheureusement, la seconde Thérèse ne prend pas le sein, tombe malade, s’affaiblit, refuse de s’alimenter. Zélie est obligée de la confier à une nourrice, car seul le lait maternel peut la sauver. Thérèse passe donc sa première année à la campagne et y reprend rapidement des forces. Ses parents s’arrangent pour la voir souvent. Elle grandit et devient une enfant solide, rayonnante et espiègle. De retour dans sa famille, elle se montre très attachée à sa mère et ne la quitte pas d’une semelle. La jeune fille a un caractère assez affirmé, obstiné, et peut être colérique. Elle est très intelligente, affectueuse avec ses soeurs qui la couvent d’attentions même si elles se chamaillent parfois! Marie, sa soeur aînée, lui fait la classe ainsi qu’à Céline, et les deux plus jeunes deviennent inséparables. Alors qu’elle est toute petite, Thérèse tombe soudain malade, sa respiration est sifflante et ses parents s’alarment… Si elle finit par se rétablir, elle reste fragile des poumons.
Bientôt orpheline
De plus en plus malade, Zélie se décide à consulter le médecin fin 1876. Le verdict tombe, c’est une tumeur fibreuse. Le praticien lui propose une opération sans lui cacher qu’il y a peu d’espoir de réussite. Zélie est profondément persuadée qu’elle ne s’en réveillera pas et refuse l’intervention. De retour à la maison, elle ne cache rien de son état à sa famille. Louis et les enfants plongent dans la désolation. Les deux plus jeunes ne comprennent pas trop. Zélie, pragmatique, prépare l’après : son aînée, Marie, devra assumer le rôle de maîtresse de maison auprès de son père. Thérèse angoisse et souffre de crises d’asthme dès qu’elle est loin de sa mère. Elle collectionne les « pratiques », ces bonnes actions qu’elle accomplit au quotidien pour plaire à Dieu. Ces efforts de dévouement et de sacrifices personnels annoncent sa spiritualité de la « petite voie »: rechercher la sainteté non pas par de grands actes, mais par de petits gestes du quotidien, accomplis pour l’amour de Dieu. L’exemple de ses parents, qui font oeuvre de charité, se montrent généreux et l’élèvent dans la
La jeune fille a un caractère assez affirmé, obstiné, et peut même se montrer colérique.
foi, la pétrit profondément. Ils vont ainsi tous les matins à la messe de 5h30, pratiquent le jeune et la prière en famille, prennent soin des malades, accueillent des mendiants à leur table… En juin 1877, Zélie effectue un pèlerinage à Lourdes en espérant guérir, mais elle en revient épuisée et le mal ne fait que progresser. La douleur devient insupportable, et elle ne peut plus bouger ni s’habiller seule. Son agonie est terrible, extrêmement douloureuse, et Zélie rend finalement son dernier soupir le 28 août 1877. Thérèse n’a que 4 ans et demi.
Une seconde mère
Thérèse, après la mort de Zélie, change totalement: joyeuse, vive, enjouée auparavant, elle se renferme, devient timide et angoissée. Louis, désemparé et éperdu de chagrin, demande l’aide du frère de Zélie, Isidore Guérin, pharmacien à Lisieux, qui est nommé tuteur. Il décide de vendre tous leurs biens à Alençon et de s’installer avec ses filles auprès d’Isidore et sa famille, dans une grande maison dotée d’un vaste parc, les Buissonnets. C’est là que l’équilibre familial va se recomposer. Si Céline s’attache à sa soeur Marie comme à une seconde maman, Thérèse se tourne spontanément vers Pauline. Comme l’avait prévu Zélie, Marie, qui n’a pourtant que 17 ans, assure l’intendance du foyer. Léonie et Céline sont envoyées en classe chez les bénédictines de Lisieux avec leurs deux cousines Jeanne et Marie, les filles d’Isidore. Et Pauline prend en main l’éducation de Thérèse. Ses filles vénèrent et adorent leur « roi chéri », ce père débordant de tendresse pour elles et qui les couvre d’amour. Louis a fermé
toutes les entreprises familiales et se dédie complètement à ses filles. Il ne peut résister à Thérèse, avec qui il sillonne les allées du jardin, prend le thé fait avec les plantes qu’elle a ramassées et préparées en infusion…
Le double abandon
Thérèse a grandi et son père l’envoie à l’école de l’Abbaye. Mais elle ne s’entend pas avec les autres enfants qui se moquent d’elle et jalousent ses bons résultats. Si Thérèse pense au début nouer quelques amitiés, celles-ci s’épuisent, ses camarades étant bien trop superficielles. La petite fille en conçoit déception et chagrin. Et sitôt que Céline quittera l’école, Thérèse lui emboîtera le pas. Elle reçoit alors des cours particuliers. Cet épisode scolaire ne lui laissera pas de bons souvenirs et elle se rapproche d’autant plus de ses soeurs, de Céline avec qui elle est fusionnelle, et de Pauline, qu’elle chérit comme une seconde maman. Thérèse aime absolument. Le choc est violent lorsqu’elle surprend une conversation entre Pauline et Marie. Sa soeur chérie annonce à son aînée son projet de rentrer au carmel. La décision elle-même, les circonstances de sa découverte, comme une trahison, mettent Thérèse au désespoir. C’est un second abandon, sa mère de substitution va la laisser. Cajolée par ses soeurs et par Pauline qui lui explique ce que sera la vie au carmel et ce que représente l’Amour de Dieu pour elle, Thérèse accepte peu à peu cette décision. Marie, après Pauline, rejoint le carmel, et Léonie le monastère des clarisses. Cet élan, Thérèse va bientôt le partager, et sa communion puis sa confirmation vont être les premières étapes.