Secrets d'Histoire

Thérèse vers la gloire

- Par Virginie Girod

Grâce au succès inattendu de ses Mémoires intitulés Histoire d’une âme, Thérèse devient une véritable star catholique. Face à cet engouement populaire, le Vatican décide de la béatifier puis de la canoniser. Reconnaiss­ance ultime de son aura, le pape Jean-Paul II en fait la troisième femme Docteur de l’Église à l’occasion du centenaire de sa mort.

Histoire printanièr­e d’une petite fleur blanche. La voix de Thérèse ne résonne plus dans le cloître de Lisieux, mais elle trouve encore un écho dans ce qu’elle a couché sur le papier. L’usage veut qu’à la mort de chaque carmélite, un récit de sa vie soit envoyé à tous les carmels. Pauline et Marie de Gonzague décident de diffuser les manuscrits de la jeune fille après avoir obtenu la permission de Monseigneu­r Hugonin. Le prélat, armé de sa plume de censeur, a dévoré les écrits de Thérèse en une nuit. La plume est restée dans l’encrier. Il n’y a rien à supprimer. L’aspirante à la sainteté raconte avec candeur le cheminemen­t de son âme dans la foi. Le manuscrit au titre bucolique est donc rebaptisé Histoire d’une âme par le prélat avant d’être porté à l’imprimerie. La somme des trois manuscrits (A, B et C) fait 475 pages. Pour un tel volume, l’imprimeur exige de tirer à 2 000 exemplaire­s minimum. Cela fait beaucoup pour une jeune fille qui n’a rien accompli dans sa vie comme le murmurent certaines soeurs songeuses. Peu importe, l’oncle Guérin finance l’impression et Thérèse s’en va symbolique­ment raconter sa vie dans tous les carmels de France et de Navarre.

Le texte universel de Thérèse

Au bout de quelques jours, les soeurs de Lisieux croulent sous les courriers. Un exemplaire par carmel, c’est bien trop peu. Les soeurs et les frères font la queue pour le lire! Comment ne pas être emporté par la vivacité et l’exaltation de Thérèse? Histoire d’une âme est bientôt demandé en dehors des murs des carmels. Le texte est même traduit en anglais en 1901 et diffusé à plus de 211000 exemplaire­s au début de la Première Guerre mondiale. Thérèse voulait être une sainte… la voilà auteure d’un best-seller et nouvelle star catholique. Sa sincérité et sa simplicité émeuvent. Elle prie en s’adressant à Jésus comme à son amoureux. Sa foi est si pure qu’elle n’a pas besoin de la médiation d’un prêtre et elle s’érige ainsi en exemple pour de nombreux catholique­s. L’Église comprend vite la nécessité de reconnaîtr­e l’aura de Thérèse et commence dès 1910 le procès diocésain en vue de sa béatificat­ion. Le 6 septembre, sa modeste tombe est rouverte. Le cadavre est corrompu. Il ne reste que quelques morceaux de chair attachés aux os sous une robe de bure maculée de poussière mais une douce odeur émane du cercueil ouvert : une émouvante fragrance de violette. Un parfum angélique. Thérèse est en odeur de sainteté! La dépouille est déposée dans un nouveau cercueil de chêne et de plomb et ensevelie dans un caveau en briques pour la protéger. Le même phénomène olfactif se reproduira en 1917 alors que sa bière est à nouveau sortie de terre.

Miracles et canonisati­on

La popularité de « la petite sainte » croît exponentie­llement d’année en année alors qu’elle ne sera officielle­ment bienheureu­se (hiérarchiq­uement inférieure à une sainte) qu’en 1923, date

à laquelle son corps – embaumant la rose cette fois – est transféré au carmel de Lisieux. On la prie désormais comme si elle pouvait accomplir des miracles. Pendant la Première Guerre mondiale, de nombreux poilus s’adressent à elle dans l’espoir de survivre à l’enfer des tranchées. L’un d’eux offrira même à la basilique de Lisieux des bijoux qui ornent encore aujourd’hui la clé du tabernacle. En outre, il se dit partout que Thérèse est thaumaturg­e et, au début de l’année 1920, un étrange cortège vient se recueillir devant son tombeau. Plusieurs jeunes femmes vêtues de robes chamarrées s’agenouille­nt pieusement. L’une d’elles saisit une poignée de terre et en frotte le front de l’enfant chétive âgé de 6 ou 7 ans qui les accompagne. « Qu’Édith recouvre la vue ! », murmurent ardemment ces prostituée­s en pèlerinage! La kératite de l’enfant guérit miraculeus­ement en quelques jours. Une vingtaine d’années plus tard, la lumière des feux de la rampe éclaire le visage de Thérèse reproduit sur une médaille dorée. Édith Piaf ne quitte jamais ce bijou à l’effigie de celle qui lui a rendu l’usage de ses yeux. Pour le clergé, canoniser la petite Normande est devenu une urgence. S’il ne le fait pas, ce sont les catholique­s eux-mêmes qui le feront ! Les prêtres entament une enquête dans le but de lui attribuer des miracles, conditions sine qua non à sa canonisati­on. Après l’attestatio­n de guérison de religieux ayant prié la jeune fille, Thérèse devient officielle­ment une sainte le 17 mai 1925. La basilique Saint-Pierre est entièremen­t illuminée en son honneur. Sa petite voie de l’humilité a conduit la jeune fille, comme elle le rêvait, au firmament. Pie XII la proclamera même patronne secondaire de la France, à l’égale de Jeanne d’Arc.

Des voyages dans le monde entier

En 1929, la première pierre de la basilique SainteThér­èse de Lisieux est posée. Elle sera achevée en 1954 et deviendra l’un des principaux centres religieux de France avec 600000 visiteurs par an. Mais l’ascension de la petite sainte ne s’arrête pas au sommet de la colline de sa commune. Lors de la célébratio­n du centenaire de sa mort en 1997, Jean-Paul II la proclame Docteur de l’Église (lire encadré cicontre), privilège rare pour une femme.

Bien qu’enfermée dans son carmel, Thérèse, de son vivant, s’imaginait missionnai­re: « Je voudrais parcourir la terre, prêcher ton nom […] dans les cinq parties du monde ». Elle le devient après sa mort. Dès 1947, ses reliques réparties dans différente­s châsses (le reliquaire du centenaire, le reliquaire gothique, la châsse du Brésil, etc.) voyagent à travers les diocèses nationaux où le catholicis­me est encore très présent dans presque toutes les familles. Elle est même vénérée par la foule parisienne au Stade de France. En 1994, alors que le reliquaire fait le voyage entre Lyon et Lisieux, le président François Mitterrand demande au convoi de faire un crochet par son quartier. Il s’offre ainsi le privilège de se recueillir seul devant les restes de la petite sainte. La popularité de Thérèse est telle qu’on la fait bientôt voyager à travers le monde. Du Cambodge jusqu’en Inde, ses dévots se bousculent pour toucher du bout des doigts sa châsse ou y déposer un baiser, manière presque païenne de se rapprocher du divin. La petite dernière des Martin est rejointe en 2015 par ses parents dans le céleste carré VIP des saints. Zélie et Louis forment le premier couple canonisé ensemble. Le procès en béatificat­ion de Léonie, une de leurs cadettes, est en cours. Les Martin ont assurément leur entrée au paradis !

 ??  ?? Depuis près de quinze ans, à l’occasion de la fête de Thérèse le 1er octobre, le sanctuaire Sainte-Thérèse aux Apprentis d’Auteuil (Paris) organise , la « semaine Thérésienn­e ». Ici, des reliques de sainte Thérése sont exposées lors de la messe d’ouverture.
Depuis près de quinze ans, à l’occasion de la fête de Thérèse le 1er octobre, le sanctuaire Sainte-Thérèse aux Apprentis d’Auteuil (Paris) organise , la « semaine Thérésienn­e ». Ici, des reliques de sainte Thérése sont exposées lors de la messe d’ouverture.
 ??  ?? Louis et Zélie Martin, parents de Thérèse et de ses quatre soeurs, toutes religieuse­s, furent canonisés le 18 octobre 2015 par le pape François à Rome.
Louis et Zélie Martin, parents de Thérèse et de ses quatre soeurs, toutes religieuse­s, furent canonisés le 18 octobre 2015 par le pape François à Rome.
 ??  ?? Les reliques de sainte Thérèse de Lisieux et de ses parents ont déjà traversé plus de 60 pays sur les cinq continents et continuent de voyager dans leurs reliquaire­s protecteur­s. Sainte Thérèse d’Avila (15151582), mystique et carmélite espagnole, de José de Ribera (1591-1652) l’une des quatre femmes Docteur de l’Église.
Les reliques de sainte Thérèse de Lisieux et de ses parents ont déjà traversé plus de 60 pays sur les cinq continents et continuent de voyager dans leurs reliquaire­s protecteur­s. Sainte Thérèse d’Avila (15151582), mystique et carmélite espagnole, de José de Ribera (1591-1652) l’une des quatre femmes Docteur de l’Église.
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 ??  ?? Seconde exhumation du cercueil de Thérèse en présence des autorités ecclésiast­iques, le 10 août 1917. Des médecins experts identifièr­ent les ossements, qui furent déposés dans un coffret de chêne sculpté, contenu lui-même dans un cercueil de palissandr­e doublé de plomb.
Seconde exhumation du cercueil de Thérèse en présence des autorités ecclésiast­iques, le 10 août 1917. Des médecins experts identifièr­ent les ossements, qui furent déposés dans un coffret de chêne sculpté, contenu lui-même dans un cercueil de palissandr­e doublé de plomb.

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