L’amazone écarlate
Belle, passionnée, aussi adulée qu’exécrée, Théroigne de Méricourt se bat, jusqu’à se perdre, pour la reconnaissance des droits civils et politiques des femmes. Mais raillée par ses ennemis, insultée par les pamphlétaires, déçue par la Révolution et publiquement outragée, la Belle Liégeoise, abandonnée de tous, sombre dans la folie.
Après le 4 août 1789, qui scelle l’abolition des privilèges et donc de l’ancien statut des femmes, de nouvelles figures féministes se dressent, armées de leurs revendications. Parmi elles, Théroigne de Méricourt, l’une des pionnières du féminisme. « Théroigne, c’est l’histoire d’un malentendu, souligne l’historien Philippe Séguy. Toute sa vie, on la fait passer pour ce qu’elle n’est pas, c’est atroce. Et il y a de quoi devenir folle ! »
À l’école de l’humiliation
Née Anne-Josèphe Terwagne le 13 août 1762 à Marcourt, dans l’ancienne principauté de Liège, elle perd sa mère à l’âge de 5 ans. Sa vie bascule alors dans le malheur. Son père la confie à des tantes puis au couvent des Ursulines de Liège, « un vrai bagne où elle est sans cesse humiliée », raconte Philippe Séguy. Après le remariage de son père, sa belle-mère la maltraite et en fait sa domestique. Elle fuit alors chez des grands-parents, chez une tante, mais ne subit que brimades et mauvais traitements. Par chance, une femme du monde,
Mme Colbert, la prend sous son aile. Théroigne vit ensuite une existence de demi-mondaine entre Paris et Londres, séduite d’abord un jeune lord anglais, puis manipulée et escroquée par un chanteur d’opéra, Giacomo David. Persuadée qu’une carrière de cantatrice lui assurera l’indépendance dont elle rêve, elle le suit jusqu’en Italie et attrape la syphilis. C’est là que lui parviennent les frémissements de la Révolution française. Portée par ses idéaux d’égalité et de liberté, c’est décidé, elle sera une femme de la Révolution. Elle se précipite à Versailles pour assister aux débats de l’Assemblée.
Catin terroriste
Brune, des yeux bleus, une belle peau, une taille menue et des traits délicats : Théroigne est séduisante. Sa voix et son exaltation la rendent rapidement populaire. Fin octobre 1789, elle suit l’Assemblée à Paris. Elle fréquente les clubs de la Révolution, rencontre Danton, Marat, Desmoulins. Elle fonde un club avec Charles-Gilbert Romme, la Société des Amis de la Loi. Elle sait gagner le coeur des foules. « Elle adopte alors une tenue d’amazone écarlate, porte un petit sabre, décrit Philippe Séguy. Elle a un côté très théâtral, et se révèle excellente oratrice. Mais dès qu’elle parle des femmes, tout le monde s’esclaffe. Rapidement, on se détourne d’elle, on la caricature. » Moquée par les révolutionnaires, elle s’attire également les foudres des royalistes : « Elle qui est issue d’une gauche modérée, respectueuse de la propriété, est dépeinte comme une goule immonde, une catin qui couche avec tous les révolutionnaires, une dangereuse terroriste qu’on accuse de vouloir tuer la reine. On raconte qu’elle a mené les femmes lors des journées d’octobre, alors qu’elle n’y était même pas ! »
Emprisonnée, Théroigne devient une héroïne
Déçue, blessée, Théroigne retourne à Liège. Mais les troupes de l’empereur d’Autriche l’arrêtent dans la nuit du 15 février 1791. Conduite sous le nom de Mme de Théobald jusqu’au fort de Kufstein, dans le Tyrol, elle y est interrogée pendant des semaines sans savoir ce qu’on lui reproche. Elle est libérée neuf mois plus tard. Elle revient à Paris où sa détention fait d’elle le symbole de la tyrannie. Elle est invitée à monter à la tribune des Jacobins où elle est longuement applaudie. Ce triomphe ne sera que passager.
La fessée publique
Théroigne veut réparer les injustices, pour elle et pour les femmes, réduire la misère et la pauvreté, et permettre aux filles et aux plus démunis d’accéder à l’éducation. Elle revendique le droit de porter les armes pour les femmes et crée une légion d’amazones. Mais leurs rangs sont clairsemés : ce demiéchec est à nouveau l’occasion, pour la presse, de la tourner en ridicule. Le 10 août 1792, Théroigne participe à la prise de Tuileries et à la chute de la monarchie. Lors des événements, l’un de ses pires ennemis, le journaliste royaliste Suleau, est massacré par la foule. L’ a-t-elle dénoncé aux assaillants après l’avoir reconnu ? L’ a-t-elle directement frappé ? Elle est désormais dépeinte comme un monstre sanguinaire par ses détracteurs. Qui sont de plus en plus nombreux. Théroigne va en effet se voir de plus en plus menacée à mesure que la Révolution bascule dans la Terreur. Ses
amis sont arrêtés. Et le 15 mai 1793, alors qu’elle se rend à la Convention, elle est agressée par les Tricoteuses, sbires de Robespierre, qui lui reprochent ses amitiés girondines. Elles l’attrapent, lui soulèvent la jupe, la déculottent et la fouettent en public. C’est Marat, passant par là, qui intervient et met fin à l’humiliation. Dans les mois qui suivent, la répression s’abat : Brissot, Olympe de Gouges, Manon Roland, les époux Desmoulins puis Danton sont guillotinés.
Une fin misérable
On raconte que l’épisode de la fessée fait basculer Théroigne dans la folie. Au printemps 1794, son frère adresse aux autorités un courrier pour signaler que sa soeur est devenue folle. Ainsi pense-t-il lui épargner la guillotine. Elle est tout de même arrêtée le 27 juin, puis internée dans plusieurs établissements, dont l’Hôtel-Dieu, puis à la Salpêtrière. C’est là qu’elle passera une bonne partie de ses dernières années. « Elle y vit nue, dans un délire perpétuel lié au sang de Suleau dont elle s’imagine souillée, se déversant sans cesse des baquets d’eau froide sur le corps, raconte Philippe Séguy. Cette femme courageuse, généreuse, à la sensibilité exacerbée, finit victime de celles dont elle a toujours farouchement défendu les droits : les femmes. Dans les dernières années, elle est méconnaissable, et les bourgeois viennent la visiter comme au zoo, pour se donner des frissons : elle est le contre-exemple, celle qui prouve aux femmes que leur place est au foyer et non dans l’arène politique. » Elle meurt le 8 juin 1817.