Le bonheur avec Clémentine
« En septembre 1908, je me mariai, pour couler ensuite des jours heureux. » C’est par ces mots simples et pudiques que Churchill évoque à la dernière ligne de « Mes jeunes années » sa nouvelle vie avec la femme qu’il vient de rencontrer.
Lorsqu’il se rend au dîner qu’organise en son honneur, ce soir de mars 1908, une vieille amie de la famille, lady St Helier, Winston Churchill ne peut imaginer que Cupidon a décidé qu’il y rencontrerait la femme de sa vie. Elle s’appelle Clémentine Hozier. Elle lui a déjà été présentée à un bal quatre ans auparavant. Il l’a alors à peine regardée. Ce soir-là, pourtant, c’est différent…
Coup de foudre à Portland Place
Clémentine Hozier, une petite-nièce de lady St Helier, a 19 ans et elle est on ne peut plus charmante : grande, élégante, cultivée. Ses admirateurs la comparent à un « yacht de course ». En plus, elle se passionne pour la politique. À table, ce soir, le destin l’a placée à côté de Winston. Il n’a d’yeux que pour elle et l’éblouit du récit de ses combats à Cuba, en Afrique du Sud, au Soudan. Dès le lendemain, il la fait inviter chez sa mère, à Salisbury, pour la mi-avril. En août, il convainc son cousin Sunny de l’inviter à Blenheim, et c’est dans le palais familial qu’il la demande en mariage. Le 12 septembre, ils se passent la bague au doigt. Et dire qu’ils ont failli ne jamais se rendre à ce fameux dîner à Portland Place… Clémentine n’y a été conviée qu’à la dernière minute pour éviter d’être treize à table ! Quant à Winston, il ne s’est extrait de son bain chaud pour y venir que sur l’insistance de son secrétaire particulier.
Un couple modèle
Clémentine, élevée par une mère divorcée, a fait de brillantes études en s’ouvrant aux idées progressistes de justice
sociale. Intelligente, dotée d’une forte personnalité, elle sera une conseillère précieuse pour la carrière politique de Winston auquel elle sait tenir tête quand il le faut. Elle l’appelle « Pug » (« carlin », un petit chien à poil ras), et lui « Clemmie » ou, plus tendrement, « kat ». Ils s’entendent à merveille et Clémentine donne rapidement naissance, en juillet 1909, à une première fille, Diana. En 1911 naîtront leur fils Randolph, puis une petite Sarah à la veille de la guerre de 1914. Quatre jours après la fin de la guerre, le couple aura une autre fille, Marigold, qui succombera d’une septicémie à l’âge de 2 ans et demi. Leur dernière fille, Mary, naîtra un an plus tard. Ils achètent alors une propriété dans le Kent, Chartwell, 32 hectares de terres avec ferme, dépendances et un lac, où la petite famille s’installe quand les fonctions de Churchill ne les obligent pas à demeurer à Londres. Famille, amis, la maison est toujours pleine. Les relations des Churchill sont
éclectiques. Y figurent bien sûr une ribambelle d’aristocrates parmi lesquels nombre de politiciens, tels Lloyd George ou Herbert Asquith, un avocat, Frédéric Smith, le meilleur ami de Winston, et des célébrités plus surprenantes, Lawrence d’Arabie ou Charlie Chaplin. Les années passent sans altérer la complicité qui unit Winston et Clémentine. Pour elle, le Lion a su s’attendrir. Lorsqu’elle est en voyage, il lui écrit des lettres d’amoureux transi : « Ma chérie, tu m’as beaucoup manqué… Ton pauvre Pug piaule sans pouvoir se consoler. »
L’impossible Mr Churchill
Chez les Churchill, on déménage souvent, au gré des nominations ou des défaites électorales. Clémentine, en parfaite maîtresse de maison, veille à tout : décoration du nid, scolarité et vacances des enfants… Winston, toujours très pris, s’absente souvent, et, lorsqu’il est là, il est la priorité pour Clémentine. « Winston est un pacha ! » l’excuse-t-elle. De son éducation aristocratique, il a conservé des habitudes de seigneur. Il aime être servi. Toute sa vie, il aura à son service un valet, un maître d’hôtel et un secrétaire particulier. Enfin, il a toujours une nouvelle lubie en tête. À Chartwell, chiens, chats et tous les animaux de la ferme envahissent la propriété. Il est également fou des cygnes noirs dont il a peuplé le lac. Le personnage est aussi plein de fantaisie. Il adore se déguiser. Dans leur propriété du Kent, il adopte la salopette, bien pratique pour les travaux de maçonnerie qu’il entreprend entre ses pages d’écriture. Activités qu’il résume par ces mots aux amis de passage: « 2 000 mots et 200 briques par jour ! » Toujours le sens de la formule.