Napoléon III Les ailes foudroyées
Il fut le dernier souverain de France. Et rarement homme d’État n’aura été à ce point critiqué, caricaturé, détesté par nombre d’adversaires de plume et de tout poil. Le temps est peut-être venu de rendre justice à celui qui porta le pays à son zénith.
ne caricature le représente, lui, le nouvel empereur des Français sous la forme d’un aiglon déplumé, bec ouvert, lamentable sous le poids d’un livre, Les Châtiments. La légende noire de Napoléon III doit beaucoup à la force implacable d’un poète, Victor Hugo. Pourquoi tant d’acharnement ? À l’issue du coup d’État du 2 décembre 1851, qui porte au pouvoir le fils de la reine Hortense, l’écrivain brigue le portefeuille de l’Éducation nationale. Refus catégorique du prince-président. Le futur exilé de Guernesey ne lui pardonnera jamais. L’écrivain tente de soulever le peuple, n’y parvient pas, et finalement saute dans un train pour Bruxelles. Un long bannissement commence. Alors ? Est-ce donc à ce point atroce de vivre sous le Second Empire ? La France est-elle entrée en décadence sociale, économique ou politique ? La police secrète nuit-elle à tous ? Il s’agit de nuancer, et de quelle manière, ces jugements aussi rapides qu’insensés et qui dépassent la raison…
Une ère moderne
Napoléon III est un homme consciencieux, qui a eu le temps de réfléchir à la situation globale de la France. Il possède une vision de ce que le pays attend et espère avant tout, une stabilité politique. En effet, quelle autre nation européenne a connu des régimes différents, parfois aléatoires, sanglants et dont la succession si rapide a provoqué des conséquences à ce point dramatiques ? Avant tout, l’empereur souhaite
Paris n’a guère bougé depuis l’Ancien Régime. Le baron Haussmann va offrir à la France une Ville lumière élégante.
donner à l’économie un élan indispensable. Pas de prospérité sans un argent qui circule librement et qui profite à toutes les couches de la société. Les banques, les compagnies d’assurances, de chemin de fer, de navigation, la poste, les télégraphes sont autant de rouages qui vont métamorphoser un pays en retard, ainsi sur le voisin britannique, et le faire entrer de plain-pied dans l’ère moderne.
Une capitale digne de ce nom
Sous le Second Empire, l’argent coule à flots. La science apparaît comme l’alliée sûre de la croissance économique, un tremplin si efficace que l’empereur l’encourage également grâce à une idée géniale et novatrice, les fastueuses Expositions universelles. Elles drainent, dans la capitale française, l’élite des nations et un public enthousiaste. À nouvel Empire, il faut une ville digne de ce nom. Tordons une fois encore le cou à cette méchante rumeur : non ! les grands boulevards, si larges, n’ont pas été seulement percés afin d’empêcher que le peuple de Paris n’y dresse des barricades comme il le faisait dans des ruelles étroites. Paris n’a guère bougé depuis l’Ancien Régime et le baron Haussmann offre à la France une Ville lumière, élégante, ponctuée de parcs et de jardins. L’eau, saine, coule dans Paris et rejoint les robinets des immeubles et les fontaines des places. Paris, la France, deviennent d’évidentes destinations touristiques. Les théâtres, les restaurants, les cafés ne désemplissent plus. Paris, comme la France, est d’ailleurs plus libre qu’il ne l’a jamais été. Les Républicains acharnés contre le régime, Gambetta, Ferry, Grévy, hurlent à la dictature et à la privation drastique des libertés. Comment le régime de Napoléon III, depuis 1860, a-t-il pu être comparé avec les heures impitoyables de la Terreur ? La presse bénéficie d’une réelle liberté et l’empereur demande une véritable révision de la loi. Ironie suprême, c’est de cette libération, concédant à des polémistes d’affûter leur plume, que sombrera le régime.
Faux blasé, vrai sentimental
Napoléon III veut sincèrement le bonheur de ses peuples. Mais son éducation, son milieu d’origine, les aléas de sa vie, lui ont forgé un caractère que ses ennemis jugent impénétrable. Les paupières lourdes, les yeux souvent
baissés et fuyant l’interlocuteur, ce masque qu’il s’est créé et qui lui permet de ne pas trahir ses émotions, l’ont fait paraître comme un homme froid et méprisant. Mystérieux. Avide de plaisirs immédiats. Peu franc… Il parle lentement, avec un léger accent bavarois et suisse-allemand. De plus, ce moderne préfère les petites phrases aux grandes diatribes. Et pourtant, la fascination qu’il exerce sur ses interlocuteurs est réelle. Moins charismatique que son oncle mais plus diplomate, plus tendre qu’égoïste, moins autoritaire que libéral, LouisNapoléon est sincèrement passionné par les grandes questions humaines. En somme, ce faux blasé, si peu cynique, est un sentimental.
Lutte contre la misère et agrandissement du territoire
Avec Eugénie de Montijo, ils ont déclaré la guerre à la pauvreté. Si celle-ci refuse la parure estimée à 600 000 francs qui lui est offerte par la Ville de Paris lors de son mariage avec Louis Napoléon (célébré le 30 janvier 1853), c’est pour faire construire, avec l’argent, un établissement scolaire réservé aux jeunes filles nécessiteuses : le savoir permet de lutter contre la misère. L’empereur veille aussi à l’agrandissement du territoire. Voilà pourquoi, et dans une allégresse générale, il rattache la Savoie et le comté de Nice à la France. Les détracteurs du Second Empire préfèrent retenir de l’époque sa vulgarité ostentatoire, son goût de nouvelle riche, les heures de Compiègne réduites à la caricature d’une Cour étriquée, minable et petite-bourgeoise. C’est oublier les somptueuses soirées aux Tuileries, les feux d’artifice, les revues militaires, les bals parés qui aimantent les membres de l’élite étrangère. Les grandes familles aristocratiques ou royales
Eugénie veut faire construire un établissement réservé aux jeunes filles nécessiteuses : le savoir permet de lutter contre la misère.
trouvent dans la Ville lumière tout ce qui se fait de mieux. C’est Paris, plus encore que jamais, qui dicte les modes et donne le bon ton.
Il reste français
La fin du règne, en 1870, et l’exil cruel montreront, si besoin était, la véritable dimension de l’homme. L’empereur ne se plaindra ni de sa maladie qui fait des ravages et lui cause des souffrances atroces, ni de son sort. En chef d’État, il assume, pleinement, ne revendique aucune circonstance atténuante. Il a perdu le Trône. Il ne cherchera jamais à se venger de ceux qui l’ont trahi. Il reste français. Parfois, des larmes coulent sur ses joues ; il serre les poings et calme son épouse, plus prompte que lui à s’émouvoir. Pour détruire Napoléon III, certains n’hésitent pas à calomnier l’impératrice, la disant bigote, ambitieuse, dépensière… Relent nauséabond de xénophobie, pourtant issu de la gauche (Eugénie est d’origine espagnole). Ainsi, c’est elle seule qui serait à l’origine de la campagne du Mexique, comme de la tragédie de Sedan, point d’orgue à la guerre franco-prussienne. « C’est ma guerre », aurait-elle affirmé. Rappelons simplement les mots formulés dans une colère légitime, bien après les faits, à l’ambassadeur de France en Russie, Maurice Paléologue : « C’est à monsieur Thiers que revient la paternité de cette odieuse légende ; il s’est permis d’affirmer que, le 23 juillet 1870, recevant à SaintCloud monsieur Lesourd, Premier Secrétaire de notre ambassade à Berlin, je lui aurais dit “Cette guerre, c’est moi qui l’aie voulue, c’est ma guerre !” Or, jamais, vous m’entendez, jamais cette parole sacrilège ni aucune autre analogue n’est sortie de ma bouche. » Cette lettre, connue, a été publiée en 1930.
Le Tigre et la dame en noir
La Première Guerre mondiale rappelle cette femme presque aveugle et très âgée à ses devoirs d’impératrice catholique. Elle se souvient d’une dépêche qui lui était adressée, en 1870, lorsqu’elle était régente de France. Guillaume Ier, roi de Prusse, assurait que l’Alsace et la Lorraine n’avaient, et bien logiquement, aucun intérêt réel stratégique pour son pays. Eugénie, avec courage, parviendra, malgré les premiers refus, à joindre Clemenceau. Elle pèse de tout son poids afin que ces deux départements fussent enfin rattachés à la France. Impressionné, le Tigre écrira à la dame en noir au parfum de violette une lettre enthousiaste. La reconnaissance méritée d’un monde que tout opposait à un autre.
Son éducation, son milieu d’origine, les aléas de sa vie, lui ont forgé un caractère que ses ennemis jugent impénétrable.