Charles II l’Ensorcelé
Affligé de nombreuses tares, incapable de donner un héritier à la Couronne, le roi d’Espagne Charles II est si lourdement affaibli que ses contemporains le disent maudit ou envoûté. El Hechizado (« l’Ensorcelé ») est le dernier rejeton d’une lignée minée par la consanguinité. Son règne, agité par les difficultés économiques, les guerres et les rivalités autour de sa succession, précipite la chute des Habsbourg d’Espagne.
Né le 6 novembre 1661, quelques jours seulement après la mort de Philippe, son frère aîné et héritier du Trône, Charles montre, dès son plus jeune âge, des signes de retard préoccupants : malgré sa grande taille à l’âge adulte (plus d’un mètre quatre-vingt-dix), il restera toujours malingre et maladif. Il est atteint de prognathisme. Sa langue, énorme, le fait baver en permanence et l’empêche de s’exprimer distinctement. Il parle à 4 ans seulement, marche à 8, et commence à lire à 10 : il ne saura même jamais écrire. Mentalement déficient, il est en outre stérile et aurait contracté la syphilis in utero. Il souffre de crises d’épilepsie, de plus en plus
fréquentes avec l’âge. Enfin, il souffre d’hallucinations et aurait assassiné, dans un délire, un courtisan qu’il avait pris pour un loup.
Maudit ou malade ?
Ses contemporains, face à tant de disgrâces, n’hésitent pas à le dire maudit, possédé par des démons ou victime de sorcellerie. Les difficultés et les calamités que traverse l’Espagne sous son règne renforcent ce soupçon. Il est surtout l’héritier d’une longue tradition de mariages consanguins. Le père de Charles II, Philippe IV, avait en effet épousé en secondes noces sa propre nièce, Marie-Anne d’Autriche. Cette dernière était déjà le fruit d’une telle union et ces liens de sang entre époux étaient
extrêmement fréquents et rapprochés chez de nombreux aïeux de Charles II. L’impuissance et la stérilité du roi, bien qu’il ait convolé à deux reprises, plongent le royaume dans le chaos.
Une période sombre pour l’Espagne
Charles n’a que 4 ans à la mort de son père, Philippe IV. Sa mère exerce la régence jusqu’à sa majorité, qui advient en 1675. Cependant, l’incapacité manifeste de Charles II à gouverner, les guerres incessantes, ainsi que la situation économique et financière catastrophique du royaume, provoquent une instabilité du régime, dont les pays voisins vont profiter. Le mauvais état de santé du souverain laisse présager une succession rapide et l’absence d’héritier attise toutes les convoitises. Au premier rang, celle de Louis XIV qui a des prétentions sur des terres espagnoles : son épouse n’est-elle pas la fille de Philippe IV, issue d’un premier lit ? À ce titre, elle a la priorité sur Charles II, selon le RoiSoleil. Marie-Thérèse avait certes renoncé à ses droits lors de leur mariage, mais ce renoncement était conditionné au versement à la France d’une dot jamais réglée. Profitant de la faiblesse de l’Espagne, déjà engagée dans la guerre d’indépendance portugaise, Louis XIV s’empare, entre 1667 et 1697, de nombreux territoires en Flandre, en Franche-Comté et avance jusqu’en Catalogne.
Un royaume en péril
Charles II n’ayant pas eu d’enfant, deux prétendants se mettent sur les rangs sans même attendre sa mort: le petit-fils de Louis XIV, Philippe, duc d’Anjou, et l’archiduc Charles, soutenu par l’Autriche. Charles II leur préfère le duc Joseph-Ferdinand de Bavière, descendant d’une de ses soeurs aînées. Malheureusement, celui-ci meurt le premier. Les souverains européens se rapprochent pour sceller le sort de l’Espagne et s’en partager les morceaux. Charles II, voulant préserver son royaume du péril d’un démembrement, choisit le prétendant le plus solide pour le protéger : le duc d’Anjou et le camp français. À sa mort, le 1er novembre 1700, le testament de Charles II provoque une grave crise. À l’issue d’une nouvelle guerre de Succession, Philippe d’Anjou peut accéder au trône madrilène, sous le nom de Philippe V. La fin des Habsbourg d’Espagne signe l’avènement d’une nouvelle dynastie, les Bourbons, dont est issu l’actuel roi Felipe VI.